• Aucun résultat trouvé

◊Stahl comme celui qui s’approche à la métaphysique

Examinons d’abord une section dans le Mémoire sur la décomposition de la

pensée dans laquelle nous pouvons trouver le point de vue spécifique de Biran sur le

courant physiologique.

A propos du rapport du moral et du physique, Biran résume dans ce texte les avancées physiologiques de son temps. Il remarque d’abord la tendance des physiologistes à l’étude de la sensibilité. Selon lui, la sensibilité est maintenant

« l’expression des propriétés les plus générales des corps vivants, et tient, parmi les phénomènes de la matière organisée, la place de l’attraction dans les lois de la matière morte. »6 3 Pour étudier la sensibilité, selon Biran, il faut l’aborder d’une

autre manière qu’avec la physique, car les formules fondées sur les lois physiques traitent uniquement des effets expérimentaux de la combinaison et de la succession. Le parti que les vitalistes ont pris est, aux yeux de Biran, le rapprochement avec les métaphysiciens. Biran considère que cette science mixte de physiologie et de métaphysique trouve son origine dans Stahl.

« C’est à Stahl qu’il faut rapporter la première union contractée entre les deux sciences. Entraîné par un génie impatient, hors de la sphère trop circonscrite des faits, ce physiologiste célèbre semble vouloir pénétrer jusqu’à la cause première qui réalise les phénomènes de la vie. »6 4

Biran introduit la théorie de Stahl, l’animiste. Il estime que si Stahl s’approche de

6 3 M aine de Biran, Œ uvres. Tom e III. M émoire sur la décomposition de la pensée. Paris,

J.VRIN , 1988, p.318. Biran souligne.

N ous nous référons aux Œ uvres complètes de M aine de Biran, publiées sous la direction de François Azouvi, qui ont été publiées entre 1984-2001 en 13 tom es, 19 volum es, par J.VRIN . N ous indiquerons la source de la citation en m ettant « Biran, le num éro de volum e, le num éro de page ». Par exem ple pour la citation au-dessus, Biran, III, p.318 En voici la liste

Biran, I, Ecrits de jeunesse

Biran, II, Influence de l’habitude sur la faculté de penser Biran, III, M émoire sur la décomposition de la pensée Biran, IV , D e l’aperception immédiate

Biran, V , D iscours à la société médicale de Bergerac Biran, V I, Rapports du physique et du moral de l’homme

Biran, V II-1-2, Essai sur les fondements de la psychologie et sur ses rapports avec l’étude de la

nature

Biran, VIII, Rapports des sciences naturelles avec la psychologie

Biran, IX , N ouvelles considérations sur les rapports du physique et du moral de l’homme Biran, X -1, D ernière philosophie : morale et religion

Biran, X -2, D ernière philosophie : existence et anthropologie Biran, X I-1, Commentaires et marginalia : X V IIe siècle Biran, X I-2, Commentaires et marginalia : X V IIIe siècle Biran, X I-3, Commentaires et marginalia : X IX e siècle Biran, X II, L’homme public

Biran, X III, Correspondance

la métaphysique, ce n’est pas seulement par l’utilisation de mot métaphysique de l’âme, mais aussi par son intention d’éclaircir la cause première de la vie. Mais le problème de Stahl selon Biran est, comme les vitalistes l’affirment, la réalisation de la substance de l’âme hors du moi. Aussi longtemps qu’elle est hors du moi, « le rapport de causalité est donc pris dans un sens purement imaginaire »6 5, et on ne

peut pas connaître l’efficacité de la force du moi, parce qu’au « dehors », « il n’y a plus aucun moyen réel de le concevoir »6 6. Nous trouvons ici une résonnance entre

les vitalistes et Biran. Voici la critique de Ménuret envers Stahl, que nous avons évoquée : « couper le nœud et non pas le résoudre, c’est éloigner la question et l’envelopper dans l’obscurité, où est plongé par rapport à nous cet être spirituel. »6 7 Nous pouvons y ajouter celle de Barthez aussi : « ils y supposent ce

qui est en question »6 8. Leurs critiques sont exactement dirigées vers le même

point. Pour Biran aussi, comme les vitalistes l’ont pensé, Stahl est celui qui l’a initié, et sur ce point il est apprécié, mais ce qu’il a fait n’est pas encore suffisant.

◊ Les vitalistes comme « les successeurs de Stahl »

Ainsi, Biran introduit les vitalistes comme « les physiologistes, les successeurs de Stahl, mais en même temps disciples de Bacon et sectateurs fidèles de sa méthode »6 9. Ceux-ci « ont écarté […] la notion obscure et systématique

d’une cause première qui n’entre jamais […] dans l’observation et le calcul des phénomènes. »7 0 La manière qu’a Biran de les introduire se rattache à sa

compréhension des vitalistes. Biran confirme d’abord qu’ils ont « déchargé l’âme

6 5 Biran, op.cit., p.320 6 6 Biran, op.cit., p.321

6 7 M énuret, l’article “Œ conom ie anim ale”, xi. 364b. 6 8 Barthez, op.cit., p.29

considérée comme sujet de la pensée, de toutes ces fonctions obscures »7 1. Mais

parmi ces « successeurs », il y a deux groupes, selon leur manière de surmonter le problème de Stahl.

D’abord, Biran cite ceux qui conservent « l’idée de semblables fonctions » et qui « en ont attribué l’exercice à un agent inférieur particulier »7 2. Ce groupe

trouve l’âme dans les phénomènes du corps vivant. Barthez et Ménuret se comptent dans ce groupe, sans doute. Puis, Biran cite un autre groupe qui « se tenant plus près des résultats sensibles de l’observation ou de l’expérience, ont cru devoir rejeter tout intermédiaire, tout agent mystérieux » et « ne trouvent aucune difficulté d’attribuer immédiatement et exclusivement au jeu des organes tout cet ensemble d’actes, de fonctions et de résultats »7 3. Quoique Biran ne cite pas les

noms de ces derniers, nous apercevons sans doute ici les ombres de Bordeu et Bichat. Dans ces deux groupes, c’est le dernier qui suggère à Biran la nécessité de « l’intervention d’une cause ou force hyper-organique »7 4. C’est lui qui conduit à la

conception fondamentale de la pensée biranienne.

Ce bref rappel des positions de Biran nous aide à comprendre son avis sur le courant physiologique. Ce que Biran tente de mettre en relief ici est, premièrement, la tendance au rapprochement entre la physiologie et la métaphysique. Mais que veut-il nous montrer par cette tendance ? En situant Stahl à l’origine, et surtout en considérant Barthez comme son successeur et sans doute Bordeu ou Bichat comme plus favorables que Barthez, Biran voit ici la descendance de la force mystérieuse, la tendance de l’intérêt physiologiques vers l’intérieur ou le corps de l’homme. Ce corps n’est plus semblable au corps des mécanistes. Il faut admettre une force irréductible aux lois de la physique. Mais contrairement à Stahl

7 1 Biran, op.cit., p.322 7 2 ibidem

7 3 ibidem. Biran souligne

qui l’a supposée hors du moi, il faut la trouver dans le corps. Ce corps doit être donc le corps vivant. Si Biran estime Barthez plus avancé que Stahl, et le deuxième groupe des vitalistes plus avancés que Barthez, c’est parce qu’il apprécie ceux qui supposent que la force vitale est plus proche du corps de l’homme. Et si Biran apprécie ces doctrines, c’est parce qu’il y a pour lui la nécessité d’introduire la force hyper-organique, en tant qu’origine de la sensation et de la volition. Ici commence l’originalité de Biran. Mais pourquoi a-t-il besoin d’introduire cette force ? Qu’est-ce qui manque à la théorie vitaliste ? Afin de comprendre ce point, analysons la lecture de Barthez et de Bichat par Biran.