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de Nestlé en zone sylvopastorale

I. Le système Nestlé en zone sylvopastorale

La firme Nestlé est présente dans la « sphère laitière » (CORNIAUX, 2005) du Ferlo depuis 1991. Elle a exploré les élevages traditionnels de la zone sylvopastorale pendant une dizaine d’années pour appro-visionner son unité de fabrication de laits condensés. La collecte de lait frais, en onze années, n’a guère atteint plus de 450 000 litres par an (à peu près 205 tonnes de lait concentré), dont 80 % de la collecte étalés sur trois à quatre mois, soit 3 000 à 4 000 litres par jour (BROUTIN & DIOKHANÉ, 2000). Cette pro-portion est très faible par rapport aux besoins de fonctionnement et de rentabilité de l’unité laitière. Elle représente moins de 5 % de la production. Sur plusieurs années, la contribution du lait du Ferlo à l’usine de Dakar ne dépassait pas 1 %, au moment où l’entreprise traversait une crise financière sans précé-dent (VATIN, 1996). Le dispositif était fondé sur un système de collecte industriel qui n’a pas manqué de connaître des difficultés.

I. 1. LES CENTRES DE COLLECTE :

ORGANISATION SPATIALE ET FONCTIONNEMENT

La firme Nestlé a établi en 1991 un réseau de collecte de lait frais dans le Ferlo, après une étude de fai-sabilité menée par un agronome sénégalais (devenu par la suite chef du Service agricole de Nestlé).

L’investissement de départ est évalué à 187 millions de francs CFA. Le schéma mis en place par Nestlé était fondé sur un système de collecte à l’intérieur d’un vaste ensemble géographique fragmenté en dif-férents groupes de villages et hameaux de production laitière dans le Département de Linguère.

L’objectif était de mettre en place un « rayon de collecte » du lait local pour approvisionner l’unité indus-trielle basée à Dakar. Dans chaque sous-ensemble, était placé un centre de refroidissement avec un rayon de polarisation de 5 à 12 kilomètres.

Le système de collecte industriel a marqué l’ère de l’industrialisation d’un produit identitaire, con-sidéré comme un patrimoine culturel. C’est pourquoi l’expression évocatrice et éloquente de usine ko-sam a été utilisée par les populations du Ferlo pour désigner les centres de collecte de Nestlé et, par extension, tout le système de collecte de Nestlé dans la zone sylvopastorale.

Dans ces centres sont installés des tanks de 1 000 à 1 500 litres. Chaque centre est équipé d’un circuit de froid alimenté en énergie à l’aide d’un groupe électrogène ou au courant continu de la Société nationale d’électricité (Senelec) à 380 volts, ou au solaire, d’un petit matériel de contrôle du lait (pi-pettes, alcool…), de contenants de 35 litres en aluminium. Les principaux centres sont :

— le centre de Boulal sur l’axe routier Louga-Dahra ;

— les centres de Sagatta Jolof, Déaly, Dahra sur l’axe Touba-Dahra ;

— le centre de Ouarkhokh sur l’axe Dahra-Linguère.

La particularité de ces outils est qu’ils sont tous placés à la sortie des chefs-lieux de Communauté rurale et implantés en bordure des axes routiers ; cela semble très cohérent pour la collecte d’un produit aussi délicat que le lait.

À côté de ces principaux centres de refroidissement construits en dur — d’où l’appellation de « centres fixes » —, d’autres infrastructures de conservation temporaire sont établis dans des villages réputés grands producteurs de lait. Il s’agit de conteneurs dont l’aspect transportable, par opposition aux centres dits fixes, leur a valu le nom de centres mobiles, sans doute pour s’adapter au contexte où les nœuds de production peuvent être déplacés au gré des sensibilités de la population en matière de re-cherche de ressources pastorale et hydraulique. La raison avancée par Nestlé pour avoir mis en place des centres mobiles est le constat fait sur le village de Wendou Loumbel engagé dans une forte produc-tion mais qui livrait le lait dans un grand désordre.

Les centres mobiles sont : Thiargny, Wendou Loumbel, Guéli, Roto, Moukh Moukh, Some (CARTE 17). Le centre de Moukh Moukh a été transféré à Roto pour plus d’efficacité de la collecte.

L’ancien centre mobile de Moukh Moukh ne parvenait pas à collecter un volume satisfaisant du fait de la non-implication totale des éleveurs préférant vendre ailleurs ou transhumer ; mais il faut admettre aussi que la proximité avec Boulal a joué en partie sur la contre-performance du centre.

CARTE 17. — Localisation géographique des centres de collecte de Nestlé dans la ZSP.

Une particularité a été relevée dans la gestion des centres de collecte de Nestlé. En effet, la répartition des rôles au sein du centre a tenu à une approche sociale bien curieuse. Dans chaque centre, le prépo-sé est peul et le gardien wolof (une tendance d’ailleurs inverprépo-sée car au début de la collecte, le prépoprépo-sé était wolof et le gardien peul). C’est en 1995 que l’unique femme du dispositif des proposés à la col-lecte, Peul et la seule scolarisée de son village, a commencé à gérer le centre de Wendou Loumbel.

Cette pratique, dans la philosophie de l’entreprise, était guidée par le « souci » d’équilibre dans la re-présentativité socio-ethnique et de travailler avec des acteurs « au moins alphabétisés ». Cependant, la

trame profonde de cette organisation n’a pas été élucidée. Etait-ce mue par une stratégie de l’entreprise de contrôler des ressources financières déployées en zone sylvopastorale ?

Le centre de refroidissement de Boulal qui, en saison de production

est très fréquenté.

Plus grand centre, il comprend trois tanks (deux de 1500 litres et un de 1000 litres).

Cependant, depuis quelques années, son fonctionnement est au ralenti.

Le matériel est à la ruine,

les potentiels acheteurs de lait disparaissent, rendant la gestion assez difficile.

©D. DIA, nov. 2005 FIGURE 30. — Centre de refroidissement fixe de Nestlé

FIGURE 31. — Centres de refroidissement mobiles de Nestlé.

Des centres de collecte mobiles et à Some et à Rotto fonctionnant à l’énergie solaire et au groupe électrogène.

Des conteneurs de 20 pieds déplaçables en fonction des besoins de l’entreprise. Ils jouent le même rôle que les centres fixes avec les mêmes équipements.

©D. DIA, nov. 2005

La firme prenait en charge le fonctionnement des unités de refroidissement. Le matériel était la proprié-té des Communauproprié-tés rurales, mais il était entretenu par l’entreprise. C’est elle qui, toute l’année (la campagne allait de juillet à décembre), payait les salaires du préposé à la collecte et du gardien.

Le lait frais collecté dans les différents centres était conduit à Dakar par un tank de Nestlé d’une capaci-té de 25 000 litres ou un camion citerne de 13 000 litres.

Tank de 25 000 litres qui servait de transport réfrigéré du lait collecté des centres

de la zone sylvopastorale vers l’unité de fabrication de lait concentré de Nestlé à Dakar.

Il est stationné dans l’enceinte de la ferme Saloum Agroalimentaire de Wayembam

depuis plusieurs années

©G. DUTEURTRE, nov. 2004

FIGURE 32. — Tank de Nestlé d’une contenance de 25 000 litres non rétrocédé aux producteurs.

Chaque centre de refroidissement était pourvu de points de collecte. Il s’agit de villages ou groupes de villages qui fournissaient le lait au centre de collecte. Le centre de Boulal détenait le plus grand nombre de points de collecte. Ceux-ci étaient constitués de villages et hameaux faiblement peuplés (de l’ordre de la vingtaine de concessions). Ils sont situés à de faibles distances du centre de collecte (entre 4 et 14 kilomètres), plus proches des centres que les villages du bassin laitier de Kolda par rapport à sa ville qui abrite les mini-laiteries (situation de 2005).

I. 2. LA COLLECTE DU LAIT POUR LES CENTRES DE REFROIDISSEMENT

À la différence avec la zone cotonnière, le transport du lait en ZSP est assuré par les femmes peul sur des charrettes asines. Ce moyen est adapté au milieu plutôt sableux, où l’usage des bicyclettes comme moyens de locomotion est quasiment impossible ; surtout que la gestion du lait est strictement féminine en ZSP. Les contenants sont en aluminium et non des bidons plastiques recyclés comme c’est le cas dans le Sud du Sénégal. Le lait arrive au centre de collecte entre 10 heures et midi, après avoir été réu-ni dans des villages points de collecte. Des similitudes sont notées sur la collecte groupée dans le bas-sin laitier du Département de Kolda.

Des femmes Peul arrivant en charrette dans l’enceinte du centre de refroidissement de Dahra pour la livraison du lait

dans des contenants de 25 litres, en aluminium, bien amarrés par une corde pour stabiliser.

Les femmes gèrent également tous les aspects comptables avec le préposé

par le remplissage quotidien d’un carnet de livraison.

©D. DIA, nov. 2005 FIGURE 33. — Femmes livreuses de lait en charrette asine.

Les fournisseurs de lait dans ce système de Nestlé étaient marqués par la mobilité, ce qui expliquait en partie le caractère saisonnier de la collecte de lait par les « usines kosam ».

FIGURE 34. — Nombre de points de collecte de Nestlé par centre de 1991 à 2002.

De même, le nombre de producteurs par centre variait considérablement ; le centre de Boulal se dis-tingue avec 23 % des producteurs. Du point de vue sociologique, la zone de Boulal est celle des Njen-guelbé, une composante du groupe peul, très active dans la vente du lait et des animaux sur pied. La traite de la vache constitue un art ; tous les moyens semblent sollicités pour ne pas perdre le lait lorsque la vache met bas. Dans l’entendement des populations non initiées à cette tradition de lait, la traite de la vache qui donne naissance à un veau (ou velle) mort-né semble mal vue. Pourtant, les pasteurs de la zone de Boulal s’adonnent à cette pratique et peuvent traire une telle vache pendant plusieurs se-maines par un procédé appelé sokkin (Encadré°3).

ENCADRÉ°3 :ENTRETIEN AVEC B.KA,49 ANS, ÉLEVEUR ET PRÉPOSÉ À LA COLLECTE AU CENTRE DE REFROIDISSEMENT DE BOULAL

Dans cette Communauté rurale de Boulal, on distingue des Njengelbe, des Bisnaabe, des Mbaar-naabe, des KakarMbaar-naabe, des NduuraMbaar-naabe, tous originaires du Macina. Les Bisnaabe sont majori-taires dans le terroir. Cependant, les Njengelbe constituent la majorité des producteurs de lait. Ils sont venus d’autres Communautés rurales mais se sont complètement accommodés et ont bien inté-gré les populations autochtones. Tous les pasteurs de la zone ont la particularité de se placer du côté droit de la vache lors de la traite et d’attacher le veau à la patte antérieure droite de la vache à traire, contrairement aux éleveurs du Fouladou qui mettent systématiquement le veau au piquet. De même, le Njengelbe partiquent le sokkin. Elle consiste à continuer à traire une vache après la mort de son veau. Il s’agit de dépecer les pattes du veau mort, d’extraire l’os et d’y placer du bois sous forme de garrot et qui permet à l’animal de rester à la station debout. Le ventre est également vidé pour y insé-rer des herbes sèches. Ainsi, la traite peut se poursuivre encore pendant plusieurs jours. Ce sont des pratiques traditionnelles qui se font aujourd’hui de plus en plus rarement.

FIGURE 35. — Répartition des producteurs par centre de collecte entre 1991 et 2002.

La répartition des producteurs suivant les centres a une incidence sur le niveau de collecte. Ainsi, Bou-lal, Sagatta et Wendou Loumbel ont atteint les niveaux de collecte les plus importants durant les onze années d’expérience de Nestlé (CARTE 18) avec un dynamisme particulier du centre de Boulal qui dé-passe 50 000 litres par an. Durant l’expérience de Nestlé 1991-2002), le centre de Boulal a fourni 25 %

de la collecte de lait (THIAM, 2005) du fait du nombre de producteurs impliqués (24 % des producteurs ayant travaillé avec la firme) et des rapports étroits entre Nestlé et la population de la Communauté ru-rale de Boulal.

CARTE 18. — Niveau de collecte de lait par centre entre 1991 et 2002.

I. 3. LES PRIX DU LAIT, FACTEURS D’UNE ADHÉSION TIMIDE DES ÉLEVEURS ?

Le prix de cession du lait a souvent varié ; en 1991, le prix au producteur était de 90 francs par litre ; à la suite, il a atteint les 100 francs, puis 125 francs ou 135 francs à partir de 1994, respectivement en saison des pluies et en saison sèche. L’activité rapportait chaque campagne entre 30 et 50 millions de francs CFA aux producteurs.

Du point de vue de l’organisation de la commercialisation, l’évolution du prix au producteur ainsi que la faiblesse du volume de lait frais collecté annuellement, du fait de la forte saisonnalité de la production n’ont pas contribué de manière efficiente à maintenir en vie le système de collecte. Il a été d’ailleurs pa-radoxal pour l’entreprise Nestlé de conduire une activité commerciale peu profitable pendant de longues années ; c’est pourquoi il faut s’interroger sur les motivations et la philosophie de la firme qui ne réalisait guère de bénéfice dans ce système d’exploitation. Voulait-elle trouver un alibi fort pour bien se position-ner au Sénégal et mailler un réseau en Afrique de l’Ouest, voire au-delà ?

En effet, Nestlé dans sa politique de positionnement et de formation d’une image de marque cherchait à se faire une bonne politique d’opinion publique favorable au Sénégal et à l’étranger. Elle s’est faite sa propre politique marketing vis-à-vis des pouvoirs publics en se déployant comme un « mieux disant dé-veloppementaliste ». En aucune façon il n’a été question, pour Nestlé, de rentabilité économique de cette expérience en zone sylvopastorale. Rien qu’avec le prix du lait rendu à Dakar, l’exploitation n’était pas compétitive par rapport à l’importation de la poudre de lait. Cependant, sa stratégie semble ne pas porter ses fruits. Son image de marque n’a pu être sauvée en dépit de tous les moyens mis en œuvre.

D’autre part, les rapports entre la firme et les producteurs n’ont guère été des meilleurs. Le problème a toujours été le prix du litre de lait au producteur. En effet, plusieurs producteurs ont préféré vendre di-rectement leur lait sur le marché local de Dahra, Déaly, Linguère et Touba, aux abords des axes rou-tiers ou dans les marchés hebdomadaires ruraux, à des prix plus attractifs que ce qu’offrait Nestlé. Ce détournement n’a pas rendu service à l’entreprise. De plus, ces prix ne pouvaient retenir les produc-teurs qui préféraient largement la transhumance. En effet, les prix autour des villes où s’installait une partie du troupeau était plus avantageux que ceux proposés par Nestlé.

La somme de contraintes conduit Nestlé à se retirer de la collecte du lait dans la zone sylvopastorale en 2003.