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L’évolution historique de l’élevage au Sénégal : une « hybridation » politique

I. La période coloniale

I. 1. L’ÉLEVAGE VICTIME DE L’ÉCONOMIE ARACHIDIÈRE

Très tôt, le Sénégal a été au centre des échanges dans plusieurs domaines entre l’Occident et l’Afrique.

Dans le domaine de l’élevage, l’approvisionnement de la métropole en produits animaux (comme les cuirs et peaux) a été une des préoccupations du colonisateur.

Du temps des comptoirs commerciaux, il s’agit d’abord d’une politique d’exploitation qui a connu ses débuts avec le commerce des cuirs et peaux entre 1588 et 1677 pour s’éteindre vers 1764 (LY, 1989). Cette exploitation a été également marquée par l’exportation vers les Antilles de bœufs repro-ducteurs ou de trait (DIENG,1974), démontrant ainsi le lien commercial entre le Sénégal et les autres co-lonies.

L’introduction de la culture arachidière, en 1841, a joué un rôle négatif sur le développement de l’élevage au Sénégal. C’est l’importance accordée à cette spéculation qui a contribué au retard de la po-litique d’élevage. D’ailleurs, c’est pourquoi le cœur du Ferlo, principale zone d’élevage sénégalais, n’a pas été, aux yeux du colonisateur, une zone d’intervention prioritaire, l’arachide ne pouvant s’y déve-lopper avec les conditions climatiques rigoureuses, mais aussi à cause de la faiblesse du peuplement et de l’enclavement par rapport au front pionnier de l’arachide et aux infrastructures d’évacuation des ré-coltes. Il s’est agi d’un choix économique du colonisateur fondé sur la création d’infrastructures de transport et de commercialisation de l’arachide (l’économie de traite 16

16. — C’est la période de commercialisation de l’arachide avec l’implication de commerçants ou les représentants de

) telles que la voie ferrée, les routes, les ports ; tout un équipement organisé en fonction de la graine et de la nécessité de son éva-cuation vers la Métropole. Ce qui eut pour conséquence d’insérer progressivement les populations ru-rales du centre ouest du pays dans une économie de marché, occasionnant un déficit vivrier dans les campagnes.

maisons commerciales appelés traitants dans les réseaux de commercialisation. DRESCH et al., (1977) notent que cette spécialisation dichotomique était suscitée et entretenue par l’administration coloniale française qui y trouvait les fondements d’une organisation économique adaptée à ses objectifs

Ce n’est qu’en 1904 qu’une politique de protection du bétail contre les épizooties fut instaurée avec la création du Service zootechnique et des épizooties (par arrêté du Gouverneur général de la colonie 17

Le Service zootechnique de l’Afrique occidentale française (AOF) entre 1920 et 1940 avait égale-ment comme activité majeure l’amélioration génétique à travers des stations expériégale-mentales, pour l’importation et l’élevage de taureaux et de béliers améliorateurs (LANDAIS, 1990). Les expériences les plus anciennes d’amélioration ont eu lieu en AOF au Soudan (actuel Mali). Dans le domaine de l’amélioration génétique, les premiers tests au Sénégal ont eu lieu en 1860 avec l’introduction d’étalons venus de la France pour la garde de Faidherbe

en date du 31 décembre 1904) [DIENG,2002 citant CAMILLE, 1954] qui deviendra plus tard le Service de l’élevage et des industries animales. Sa mission initiale fut la protection du bétail bovin décimé par des épidémies successives de peste bovine en 1828, 1866 ; puis de 1891 à 1893, du Tchad au Soudan ; de 1915 à 1917, puis de 1919 à 1920, du Niger au Sénégal (GALLAIS, 1972).

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Le service vétérinaire était subordonné au service de l’agriculture. Ce n’est qu’à partir de 1908 que, par arrêté du Gouverneur général

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Dans le domaine de la production laitière, les colonisateurs ont vite imputé la faiblesse de l’offre à la productivité des races locales et misé sur des mesures d’intensification par l’amélioration génétique et les cultures fourragères ; or, MORNET (1955) indique que le fait que les femelles laitières locales soient fondamentalement déficientes n’explique pas exclusivement la faiblesse des niveaux de production.

Ces options prises par le pouvoir colonial n’étaient certainement pas les plus performantes. Clairement, ces programmes s’appuyaient sur le modèle européen du « ménage exploitant », et ne comprenaient donc ni une approche approfondie et multidimensionnelle du développement agricole africain (M ERCOI-RET et al., 1989) ni un mode de vulgarisation adéquat. Ils souffraient aussi du manque de connais-sances sur les structures de production et leur fonctionnement, aussi bien à l’échelon de l’exploitation agricole qu’à celui des collectivités, du village (GAFSI et al., 2007 : p. 73). Les aspects organisationnels et la participation des éleveurs ont été omis et la conduite des animaux s’est organisée à un niveau dif-férent de celui de l’exploitation familiale ; or, les prérogatives qui s’attachent à la vente du lait dépendent étroitement des modes d’appropriation des animaux (LANDAIS et al., 1987 ; CORNIAUX, 2005). Les opéra-, le Service zootechnique et des épizooties fut détaché de l’Inspection de l’agriculture (arrêté du 10 mai 1908). L’arrêté fut complété par un autre daté du 4 juillet 1909, attribuant exclusivement aux vétérinaires « la charge de l’élevage du bétail et de la police sani-taire ».

17. — Avec Ernest ROUME, gouverneur général de l’AOF de 1902 à 1908.

18. — Faidherbe, officier de l’armée française, fut gouverneur de la colonie du Sénégal de 1854 à 1861, puis de 1863 à 1865.

19. — Avec William M. Ponty, gouverneur général de l’AOF de 1908 à 1915.

tions se sont déroulées sans conviction majeure : « l’augmentation de la production laitière ne peut être obtenue que très lentement par sélection et amélioration des conditions d’entretien », mais aussi « sans espoir de faire de l’Afrique occidentale française un pays laitier » (DOUTRESSOULLE, 1947).

I. 2. UN DÉCOUPAGE GÉOGRAPHIQUE DES ZONES D’ÉLEVAGE

L’organisation de l’élevage colonial s’est poursuivie avec une division du Sénégal en circonscriptions d’élevage ; l’opération fut faite en réaction à l’ampleur des épizooties. Cependant, la raison inavouée du colonisateur était la volonté de contrôle du mouvement du bétail et des populations pastorales pour mieux maîtriser l’exploitation des productions de viande, de lait, de cuirs et de peaux. Le morcellement de l’espace pastoral sénégalais facilitait ainsi le recensement du bétail dans chaque circonscription.

Cette démarche a conduit à un « resserrement des maillages territoriaux dans la politique de réquisition des animaux et la taxe sur le bétail ».

Ainsi, sept circonscriptions d’élevage furent créées par l’arrêté numéro 2213 du 22 septembre 1934 (TABLEAU I). Elles pouvaient être contenues dans les cercles, mais une circonscription pouvait aussi couvrir plusieurs cercles en fonction de son étendue et de « l’importance de la zone d’élevage considérée et des problèmes de santé animale ou de statistiques ».

Ces circonscriptions, non hiérarchisées du point de vue de l’importance de l’élevage, regroupaient tout de même les principaux foyers d’élevage tant par la culture, les modes de vie, le savoir-faire que par l’effectif. Seule la zone de Dakar n’était pas encore prise en compte. En effet, cette Région renfer-mait peu d’intérêt dans le domaine de l’élevage à cette période.

TABLEAU I

Circonscriptions d’élevage créées en 1934

CIRCONSCRIPTION ZONE COUVERTE OBSERVATION

1re circonscription Saint-Louis Direction et laboratoire

Mbakhana

5e circonscription Matam Centre sérumigène

6e circonscription Tambacounda

Kédougou

7e circonscription Casamance

Source : ARS, 1941

Ce n’est qu’à partir de 1946 que la délégation de Dakar fut érigée en circonscription d’élevage du fait de l’importance de son hinterland en effectif d’animaux, mais aussi de sa position stratégique favorable à l’exploitation des produits animaux ; cette période correspondait également à la Seconde Guerre mon-diale, où le contexte créait une forte demande en produits animaux, satisfaite dans les colonies par les réquisitions et les prélèvements massifs. DOUTRESSOULLE (1947) décrivait cette période comme celle

« durant laquelle l’appui administratif total a été donné aux acheteurs en même temps que les éleveurs et producteurs étaient obligés de vendre leur bétail sous forme de viande congelée ou de conserves de viande et d’exportation des animaux sur pieds ».

I. 3. LA RECHERCHE ZOOTECHNIQUE ET LA REFONTE DU SERVICE D’ÉLEVAGE À partir de 1948, on note une volonté en faveur de la recherche zootechnique. En effet, le 28 décembre 1950, par décret, le Service zootechnique et des épizooties est devenu Service de l’élevage et des in-dustries animales, avec plusieurs attributions (LANDAIS,1990). Ce service traitait de toutes les questions d’élevage dans les territoires d’Outre-mer. Il était placé sous l’autorité d’un vétérinaire inspecteur géné-ral, conseiller technique du ministre de la France d’Outre-mer (FEUNTEUN,1954).

Dans le Ferlo, fut créé le centre d’élevage du Djolof en 1948. Les premières recherches furent orientées sur l’amélioration de la race chevaline. En 1950, ce centre d’élevage devint le Centre de recherche zoo-technique (CRZ) de Dahra 20

Le centre prend en charge toutes les questions de recherche sur la santé animale. Il est en même temps le symbole de la recherche en station, avec des applications du laboratoire fédéral géré par l’Institut d’élevage et de médecine vétérinaire tropicale (IEMVT) à l’époque. Il a fonctionné en relation avec l’ancien Laboratoire central de l’élevage (créé en 1935 pour la fabrication de vaccin notamment), qui sera délocalisé du centre-ville de Dakar vers la banlieue (Hann) et deviendra plus tard le Laboratoire national d’élevage et de recherches vétérinaires (LNERV). Les bâtiments ont été commencés en 1950 et inaugurés le 7 décembre 1954 (MORNET, 1957 : p. 7) ; au même moment est créée la ferme de San-galkam, à une quarantaine de kilomètres de Dakar.

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Le CRZ de Dahra est très connu pour ses résultats de recherche sur le cheval, mais aussi sur les différentes recherches sur l’amélioration génétique des troupeaux bovins en Afrique de l’Ouest ; plus tard, est né le CRZ de Kolda (1972), en Haute Casamance. Les CRZ de Dahra et Kolda ont conduit des recherches dans des zones géographiques et agro-écologiques opposées (le Nord, relativement sec et

20. — Les populations de Dahra l’appellent toujours « Elewas ».

le Sud humide, infesté de glossines). Les races bovines de ces deux milieux, le zébu gobra, à Dahra, et le taurin ndama, à Kolda, ont des caractéristiques assez différentes. Par ailleurs, le CRZ de Dahra a pris en charge les recherches sur l’introduction et l’adaptation de races exotiques telles que le guzérat et le zébu pakistanais pour la production laitière. Les résultats ont servi la ferme de Sangalkam, une ferme pilote dans l’introduction de la race bovine étrangère au Sénégal.

I. 4. LA POLITIQUE D’HYDRAULIQUE PASTORALE

La politique d’élevage induit des mesures d’accompagnement notamment pour l’alimentation en eau du bétail en zone aride et semi-aride. La propension à contrôler les populations pastorales nomades ne saurait être possible qu’avec une politique de fourniture en eau. A ce sujet, Brigitte THÉBAUD (1990) montre qu’« au cours de la pénétration française au Sahel, dans les zones souvent très conflictuelles, l’Administration n’avait pas tardé à saisir l’importance stratégique des points d’eau dans le contrôle et l’organisation de ces régions ».

C’est ainsi qu’en 1936, un vaste programme d’hydraulique rurale fut entamé. Ce programme pré-voyait que les travaux devaient, d’abord, intéresser les zones de pâturages et de transhumance, les routes caravanières, ensuite, ouvrir à l’élevage de nouvelles zones de pâturages, limiter les déplace-ments de pasteurs, réduire les transhumances, enfin, stabiliser les nomades et éviter au bétail l’épuisement de longs parcours, en diminuant du même coup les risques de contagion 21

Des puits furent ainsi forés. En 1936, le Sénégal comptait 1 822 puits (y compris les puits villa-geois).

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TABLEAU II

Distribution du nombre de puits au Sénégal en 1936

CERCLE PUITS

21. — Archives nationales de la République du Sénégal. Série 2 R 05 (019) (élevage).

En 1938, la découverte de la nappe du maestrichtien estimée à une surface de 150 000 kilomètres car-rés permit, à partir de 1939, la réalisation des premiers forages et le développement du programme d’hydraulique rurale dans le cadre du Fides 22

Les nouvelles infrastructures hydrauliques permettaient ainsi une « exaltation conquérante du mo-dèle de vie sédentaire » (BA,1982).

. Le programme fut déroulé dans le plan décennal d’équipement et de développement de 1947 à 1956. C’est à travers ce plan que 23 premiers forages à exhaure mécanique furent réalisés, réduisant les incertitudes et les difficultés liées à l’abreuvement du bétail se faisant auparavant dans les mares temporaires qui tarissaient à la fin de la saison pluvieuse ; le reste de l’année, les pasteurs étaient très mobiles, à la recherche d’eau et de pâturage.

Dans la même dynamique furent exécutés les aménagements de pistes à bétail et des postes vé-térinaires de contrôle sanitaire le long des axes de production et de commerce pour le transfert des animaux des zones de production vers les centres urbains, en particulier Dakar (LY,1989).

Les investissements dans le domaine de l’élevage ont largement priorisé l’hydraulique pastorale et la protection sanitaire du bétail à cette période pré-indépendance. FEUNTEUN (1955) précise la répartition de l’enveloppe de 2 403 millions correspondant aux investissements prévus dans le « Plan de dévelop-pement économique et social » de 1956 ; sur ce budget, 85 % étaient destinés à ces deux postes. Les 15 % restants étaient répartis entre l’enseignement (1 %), l’amélioration du bétail (2 %), l’amélioration des pâturages (6 %), l’exploitation du bétail et des produits animaux (6 %). Au même moment, l’hydraulique pastorale était dotée de 66 % des investissements et la protection sanitaire créditée de 19 %.

Ces orientations se justifiaient toujours par la volonté de sédentariser l’élevage, de fixer les popu-lations nomades autour des points d’eau.

Il apparaît clairement que l’option fondamentale du colonisateur à cette époque a été de privilégier la lutte contre les grandes endémies et la politique hydraulique. En revanche, l’alimentation des ani-maux et la production laitière ont été reléguées au second plan.

À partir de 1958, le Sénégal amorce un changement d’administration. Il tend vers une autonomie in-terne puis vers son accession à l’indépendance. Cette nouvelle situation a-t-elle des incidences sur les politiques d’élevage ?

22. — Fonds d’investissement pour le développement économique et social des territoires d’outre-mer. Ce fonds s’élevait à 22,3 milliards de francs CFA et 1,3 milliard étaient destiné à la politique de l’eau, soit 6 %.

I. 5. LE DISPOSITIF DE RECHERCHE : VERS UN CONTEXTE NATIONAL

L’année 1960 marque l’accession à l’indépendance ; cependant, les empreintes de la puissance colo-niale demeurent, du fait d’un « compagnonnage » assez long dans le temps et dans les pratiques ; c’est ainsi que les politiques, les démarches, les méthodes dans l’administration, les aménagements, la ges-tion, sont fortement liées aux pratiques occidentales. On retiendra que cette situation aura des consé-quences sur le retard encore perceptible dans l’essentiel des domaines économiques, les contextes européen et africain ne se juxtaposant pas nécessairement.