• Aucun résultat trouvé

II. 1. L’ÉLEVAGE MAL PARTI DANS LES PREMIÈRES POLITIQUES AGRICOLES

Le nouveau gouvernement socialiste dirigé par Mamadou DIA entame une remise en cause fondamen-tale de l’économie de traite, par l’élaboration puis le vote du premier Plan de développement écono-mique et social (1960-1965). Dans ce plan, les ressources tirées de l’arachide doivent assurer l’entretien de l’État et des paysans. Le gouvernement accorde une bonne place aux cultures céréalières pour promouvoir une indépendance économique. De même, il recommande la création d’une dyna-mique de développement communautaire en milieu rural fondée sur le regroupement en coopératives pour les producteurs et communautés rurales pour les populations. Les communautés rurales sont ex-périmentées, mais la loi qui les met en place ne sera votée qu’en 1972. Ces institutions seront enca-drées par les services de l’animation rurale, les CER (Centre d’expansion rurale) 23

23. — Les Centres d’expansion rurale polyvalents (CERP), anciennement CER (Centre d’expansion rurale), sont de-venus en 2004 Centres d’appui au développement local (CADL).

, l’Office de commercialisation agricole (OCA), les Centres régionaux d’assistance au développement (Crad) sous l’assistance financière de la BSD (Banque sénégalaise de développement). Un Programme agricole est mis en œuvre, avec, comme dimension remarquable, la fourniture aux paysans des intrants agricoles à crédit : engrais, semences, matériels… Ce schéma sera plus tard source de confusion dans le monde rural.

Dès ce moment, l’élevage se présente comme le parent pauvre des politiques de développement au profit de l’agriculture. Les investissements de l’État dans ce domaine sont relativement faibles et va-lorisent faiblement le secteur ; de même, peu de choix politiques se sont réellement focalisés sur des aspects vitaux de l’élevage comme les politiques foncières ou l’organisation globale du secteur. L’étude sur les problèmes posés par les politiques d’élevage des États africains (SANDFORD, 1981) a conclu que ces politiques ont été en général défectueuses à cause d’options erronées, voire inexistantes, sur la gestion des terres, la détermination des prix et l’organisation générale du secteur.

En 1964, la loi sur le domaine national fut votée pour organiser la distribution de la terre, facteur de production. Selon l’article premier de la loi 64-46 du 17 juin 1964, le domaine national regroupe toutes les terres non classées dans le domaine public, non immatriculées ou dont la propriété n’a pas été transcrite à la conservation des hypothèques à la date d’entrée en vigueur de (cette) présente loi ; n’en font pas partie, également, les terres qui, à cette date, faisaient l’objet d’immatriculation au nom d’une personne autre que l’État. Le domaine national est constitué des terres qui n’ont pas fait l’objet d’une immatriculation et celles qui n’appartiennent pas au domaine public de l’État. Les terres du do-maine national, à l’époque plus de 95 % du sol sénégalais, sont classées en quatre catégories :

— i) celles des zones urbaines situées dans les territoires communaux ;

— ii) celles des zones classées à vocation forestière ou de protection, qui ont fait l’objet d’un clas-sement suivant une réglementation particulière ;

— iii) les terres des zones de terroirs qui correspondent en principe aux terres régulièrement ex-ploitées pour l’habitat rural, la culture ou l’élevage, enfin ;

— iv) les terres situées en zones pionnières qui constituent le restant du domaine national.

Cette loi, assez célèbre du fait de l’enjeu que constitue la terre, avait pour objectif de réaliser des plans d’aménagement et de développement du territoire, la construction et la mise en valeur des zones affec-tées à l’habitation, à la culture, à l’élevage, à la forêt. La mise en valeur de la terre est devenue une exi-gence, ce qui permet d’assurer la participation de la population à l’application des plans de développement ; elle devait également contribuer à réduire l’exode rural ; enfin, la mise en valeur est une preuve de l’emprise effective sur la terre, une manifestation du droit de l’occupant (SIDIBÉ, 1997).

La domanialité nationale est un régime original basé sur certains grands principes dont la gratuité de l’accès à la terre, l’absence de propriété de la terre, des conditions d’affectation et de désaffectation strictement réglementées, l’administration des terres dans leur grande majorité par les collectivités locales. Cependant, ces principes sont restés largement inappliqués surtout en milieu rural, à cause, certes, du poids de la maîtrise foncière traditionnelle, mais aussi du fait que l’État n’a jamais mis en place les conditions d’efficacité du système juridique.

DIÈYE (2006).

Sur le foncier pastoral, la loi n’est pas très explicite. Cette insuffisance de la loi a longuement porté at-teinte aux intérêts de l’élevage. Les espaces de pâturage ont été contractés du fait de la pression fon-cière émanant des défrichements en faveur de l’agriculture ou venant de l’urbanisation. Les zones de pâture sont de plus en plus rares, notamment autour des grandes agglomérations.

II. 2. LA CRISE DE L’ÉLEVAGE

ET LES PROJETS RÉGIONAUX DE DÉVELOPPEMENT

Le Sénégal, comme l’essentiel des pays du Sahel, est durement affecté par les sécheresses récur-rentes à partir de 1968 ; à cette crise climatique s’ajoute une dégradation de l’environnement internatio-nal, avec les difficultés économiques mondiales inhérentes à la crise pétrolière de 1973. Ces incidents sur des économies nationales encore fragiles ont mis en cause et montré les limites de plusieurs tions politiques, économiques, sociales, mais aussi techniques. Dans le domaine de l’élevage, les op-tions politiques à partir de 1974 commencent à s’intéresser à des projets d’organisation de groupements d’éleveurs qui montrent également leurs limites. BERNUS (1995) signale que les projets les plus ambitieux s’investirent dans la création de groupements d’éleveurs à l’image des coopératives déjà réalisées en milieu rural. Les pasteurs montrèrent longtemps peu d’intérêt pour ces initiatives qui se heurtaient aux difficultés inhérentes au nomadisme. Bientôt pourtant, les groupements pastoraux appa-rurent comme la solution miracle et divers États s’engagèrent dans cette voie. Si les appellations diffé-raient, la conception ne variait guère : des « groupements mutualistes pastoraux » (Niger), des « unités pastorales » (Sénégal), des « comités de contacts » (Ouest du Mali), des « groupements d’intérêts pas-toraux » (Centrafrique). On espérait mailler tout l’espace pastoral avec ces groupements paspas-toraux, responsables de leurs parcours et de leurs points d’eau, avec des unités coopératives rassemblant plu-sieurs groupements au sein desquels des prêts permettraient l’acquisition d’aliments de bétail ou d’animaux dans le cadre d’un plan de reconstitution du cheptel.

Au Sénégal, le bétail a subi les conséquences de la crise mondiale. L’État engage une politique de sau-vegarde du bétail dans un contexte de sécheresse prononcée. Des projets furent ainsi mis en œuvre dans le but de renforcer l’organisation des producteurs et rendre les intrants disponibles et accessibles.

Ces projets avaient également pour rôle de pallier le déficit de ressources des services classiques d’élevage à la suite de la détérioration des facteurs bioclimatiques liée à des épisodes de sécheresse.

Il aura fallu une crise économique paralysant l’économie pastorale pour trouver des solutions face à l’inertie des structures d’élevage existantes. Cet appui se fera par sollicitation d’institutions internatio-nales « à politique mondialisante comme l’Usaid, l’Agence canadienne pour le développement

interna-tional (Acdi), la Banque mondiale, le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), le Fonds européen de développement et les banques dites de développement » (BA, 1982 : p. 372).

C’est ainsi que dans les grandes régions d’élevage du pays, différents projets sont érigés ; ils sont mis en œuvre par des sociétés régionales de développement rural, fonctionnant selon un statut public.

Ces projets sont simples au départ : vulgariser des techniques de production. Mais ils sont devenus de plus en plus complexes, chargés de promouvoir le développement rural intégré en s’intéressant aussi bien à la production qu’à l’alphabétisation, à la petite transformation, à la conservation, aux femmes et aux jeunes (FAYE, 2005 : p. 6). Nous nous intéressons ici aux projets spécifiques à l’élevage.

Ces programmes ont dans leur ensemble eu des approches filières assez partielles ; misant sur une politique de sédentarisation des communautés pastorales, ils n’ont pas pu obtenir les résultats es-comptés. BA (1999) note que partout en milieu sahélien où une politique de sédentarisation collective a été tentée, les résultats ont été plutôt mitigés. Les régions d’intervention, notamment le Ferlo, sont des régions de forte mobilité du cheptel et des hommes. Cette pratique est d’ordre culturel et perçue comme mode de valorisation des ressources foncières et pastorales par les populations.

Par ailleurs, les politiques d’intensification se sont heurtées à « la lenteur de l’acceptation des innova-tions par un milieu malgré tout encore enclavé » (BA, 1982 : pp. 388-389) ; c’est en partie les raisons fondamentales qui expliquent le dépérissement de ces projets dans les années 1980. L’auteur constate en outre que ces projets n’avaient pas pour objectif de développer la production laitière dans leurs ré-gions d’intervention (CARTE 3).

— la Société de développement de l’élevage dans la zone sylvopastorale (Sodesp) fut ainsi créée en 1975 pour exécuter le volet développement de l’élevage inscrit au quatrième plan de déve-loppement économique et social allant de 1973 à 1977 ; elle avait pour mission la régularisation de l’offre en viande. Cette mission s’exécutait de la production à la commercialisation dans les Départements de Dagana, Linguère, Louga, Matam et Podor. Elle s’appuyait sur les

« centres » autour des forages, les zones de naissage (« ateliers de naissage »). Cette struc-ture jouait le rôle d’intermédiation pour la fournistruc-ture de Dakar en viande bovine ;

— le Projet de développement de l’élevage au Sénégal oriental (Pdeso) a été créé en 1976, lors de l’exécution du quatrième plan. Il était basé dans la Région de Tambacounda avec pour mis-sion d’améliorer l’élevage extensif dans les Départements de Bakel et Kédougou et l’élevage semi-intensif dans le Département de Tambacounda. Le système d’encadrement mis en place instaure un type de crédit aux éleveurs pour acquérir des intrants alimentaires et sanitaires.

Tout comme la Sodesp, le Pdeso avait pour vocation l’amélioration de la production de viande.

Il a également servi d’intermédiation entre producteurs et consommateurs.

CARTE 3. — Zones d’intervention des structures d’encadrement agricole.

D’autres projets, par ailleurs, ont eu des volets élevage. C’est le cas de la Sodeva et de la Sodefitex. La Sodeva a été créée en 1968 pour la vulgarisation de techniques agricoles dans le bassin arachidier.

Ses activités dans le domaine de l’élevage seront précisées dans le quatrième plan, dans le cadre du projet « développement de l’élevage dans le Bassin arachidier » (BA, 1982 : p. 390). Les activités con-sistaient à :

— introduire l’élevage dans les exploitations agricoles ;

— diffuser la culture attelée et l’intégration agriculture-élevage ;

— adapter les techniques et les infrastructures aux nécessités de la promotion d’un élevage de rente.

De manière explicite, ce projet ne s’intéresse pas non plus à la production laitière ; l’élevage est vu prin-cipalement en association à la culture de l’arachide.

Ainsi, de manière générale, les projets d’élevage des premières décennies après l’indépendance n’ont pas pris en charge la dimension laitière. C’est sans doute l’une des causes fondamentales du retard en termes de sécurisation de la production et de la commercialisation des produits laitiers. Une bonne poli-tique laitière requiert beaucoup de temps pour se mettre en place, notamment pour l’articulation cohé-rente entre les différents échelons (micro et macro-économiques) local, national, sous-régional, régional et l’environnement international.

À la fin des années 1970, l’agriculture en général est profondément en crise, les ressources de l’État dépréciées ; cette situation ouvre les voies à l’ajustement structurel.

III. De 1980 à l’an 2000 :