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Les pratiques cliniques de l'évaluation intellectuelle

2.5.2. Le système métaconstructif

Les opérateurs silencieux sont des métaconstruits par le fait qu'ils exercent leur action sur l'ensemble des schèmes cognitifs, affectifs et personnels et qu'ils sont indépendants du type de situation dans laquelle ils sont impliqués. Ce sont des facteurs neurobiologiques, des ressources propres à l'organisme, qui opèrent sur les schèmes en activation ou en inhibition et qui sont ainsi directement responsables de la production de nouveaux schèmes (super-schèmes) permettant de résoudre les problèmes posés dans l'environnement. Pascual-Léone J. distingue sept opérateurs : L'espace mental M, les opérateurs d'apprentissage C et L, les facteurs de champ ou opérateur F, les opérateurs affectifs A et personnels B, enfin l'opérateur d'inhibition (I).

L'opérateur M

Cet opérateur M, ou espace mental de traitement, fonctionne comme un système central de mémoire à court terme contraignant quantitativement l'espace mental sollicité dans une tâche de résolution de problèmes. Sa puissance sera définie par le maximum de schèmes que le sujet peut activer simultanément dans une opération mentale, il constitue donc "l'énergie mentale" nécessaire à l'activation des schèmes pour une situation donnée. Sa distribution sur les schèmes pertinents étant contrôlée par les schèmes exécutifs, spécifiques à l'action, contenus dans le répertoire H de schèmes symboliques disponibles.

Ces schèmes exécutifs, qui représentent les consignes et jouent un rôle important de planification des stratégies, bénéficient eux-mêmes de cette activation tout en contrôlant l'attribution de M sur les schèmes d'actions. Pascual-Leone196 J. (1994) considère que cette quantité d'énergie mentale nécessaire à l'activation des schèmes exécutifs (e) est maintenue constante quelque soit l'âge, après s'être développée au cours des deux premières années de la vie si bien que l'on peut postuler que la capacité mentale d'un enfant de deux ans est celle qui permet de maintenir activé le schème exécutif tout au long de la tâche, c'est à dire égale à (e).

Par contre l'énergie mentale disponible pour l'activation des schèmes figuratifs et opératifs subit des contraintes en fonction de l'âge, ce qui fait de M un opérateur dont le potentiel d'activation évolue dans le temps. C'est en fait cette quantité d'énergie (k), affectée aux schèmes d'action, qui correspond au "nombre maximum de schèmes différents, non

directement activés par d'autres métaconstruits, qui peuvent être simultanément activés par M en une seule opération mentale197" (de Ribaupierre A., 1983). La quantification de cette énergie disponible et qui s'appelle "puissance M" est alors présentée sous la forme :

Mp = e + k

Où (e) correspond à la quantité d'énergie M disponible pour l'exécutif et ou (k) correspond à la quantité M attribuée aux schèmes d'action. Si pour Pascual-Leone198 J. (1994), (e) et (k) sont en grande partie indépendante, seule l'échelle de (k) sera de nature à rendre compte de la

196

Pascual-Leone J., Baillargeon R. (1994), "Developmental Mesure of Mental Attention", International journal of behavioural development, 17, p. 161-200.

197

Op. cit., p.336. 198

Pascual-Leone J., Baillargeon R. (1994), "Developmental Measure of Mental Attention", International journal of behavioural development, 17, p. 167.

croissance développementale de Mp sachant qu'elle connaît une augmentation séquentielle

d'une unité tous les deux ans, de trois ans jusqu'à quinze ans. Cette augmentation régulière

étant liée à la maturation, le principe développemental de M nous permet de prédire les performances pour tous les sujets d'une même tranche d'âge et ce, indépendamment de l'apprentissage. Il ressort donc des travaux de Pascual-Leone J. que la valeur (k) augmente de 1 à 7 au cours du développement comme le montre le tableau ci-dessous. Les estimations de (k) ont été, par ailleurs, testées empiriquement à partir d'une variété de situations intégrant différents domaines de traitement de l'information qui ont confirmé l'estimation proposée par la théorie des opérateurs constructifs. Il apparaît également que la croissance de (k) est cohérente avec la chronologie des stades de la théorie piagétienne et qu'elle constitue vraisemblablement le générateur qui permet le passage d'un stade à l'autre. Comme le montre le récapitulatif suivant :

M = (e + k) Sous-stades piagétiens Ages chronologiques

e+1 préopératoire inférieur 3-4 ans e+2 préopératoire supérieur 5-6 ans e+3 opérations concrètes inférieures 7-8 ans e+4 opérations concrètes supérieures 9-10 ans e+5 sous-stade pré-formel 11-12 ans e+6 sous-stade formel A 13-14 ans e+7 sous-stade formel B 15-adulte

Prédiction des valeurs de M en fonction de l'âge et correspondances avec les sous-stades Piagétiens (d'après de Ribeaupierre A., 1983)

L'opérateur I (inhibition)

L'opérateur I joue le rôle d'un filtrage de l'attention associé à l'opérateur M et représente la capacité d'inhiber les schèmes non pertinents avec la résolution de la tâche cognitive et qui avaient été activés spontanément par les caractéristiques de la situation. Son corollaire est constitué par un opérateur de désinterruption (Id) qui permet d'annuler les effets de l'inhibition. Comme l'opérateur M, il est indépendant du contenu et son action est contrôlée par les schèmes exécutifs. D'ailleurs son efficience croît avec le développement de ces schèmes puisque c'est l'expérience qui conduira d'autant plus à déterminer la pertinence d'un schème que celui-ci a déjà été retenu avec succès lors d'actions précédentes se rapportant au même type de situation. Aussi, comme l'avance de Ribaupierre A. (1983), c'est l'accroissement de l'intensité et de l'efficacité de l'action de cet opérateur qui permettrait d'expliquer la supériorité des enfants les plus âgés à l'intérieur d'une même période de deux ans dans le cadre des stades successifs de la croissance de l'espace mental (M). Cet opérateur présente un intérêt incontestable en venant compléter la compréhension du développement de "l'attention mentale" en complément de l'opérateur M. En effet, on peut considérer que la capacité attentionnelle soit contrainte à la fois par des éléments ayant trait à l'énergie disponible, accordée à une centration mentale, en même temps qu'interviendrait un système intéressé par le tri à l'intérieur de l'ensemble des schèmes activés. L'effet de I permet ainsi l'allocation de ressources aux différents schèmes nécessaires pour réaliser une tâche donnée tout en inhibant le déclenchement d'autres schèmes.

Les opérateurs L et C

Ce sont les opérateurs d'apprentissage. Ils tiennent une place prépondérante dans la complexification des schèmes et la création de nouveaux schèmes se différenciant au contact de l'expérience. Chacun de ces deux opérateurs permet un type défini d'apprentissage se rapportant aux concepts piagétiens d'abstraction simple et d'abstraction réfléchissante, distinguant des apprentissages de contenu (C) et des apprentissages structuraux (L).

L'opérateur C (abstraction simple) procède par différenciation progressive des

schèmes intégrant les nouvelles propriétés figuratives et opératives consécutives à la répétition de l'expérience. Il en résulte des schèmes plus différenciés à plus forte densité de contenu. Au cours de son développement, par exemple, l'enfant passe par des schèmes très généraux qui s'appliquent à plusieurs objets présentant des traits communs et qui sont alors confondus. Son expérience répétée des rencontres dans l'environnement avec ces objets lui permettra de construire des différenciations successives et d'enrichir son schème général par assimilation des schèmes secondaires qui lui seront alors subordonnés. Par exemple, lorsque l'enfant rencontre un cheval, ce schème reçoit une forte activation avec un affinement des propriétés spécifiques tandis que le schème plus général (incluant cheval, zèbre, âne…etc.) reçoit une plus faible activation.

L'opérateur L (abstraction réfléchissante) permet un apprentissage de structures logiques

en référence aux structures logico-mathématiques du modèle piagétien. Il intervient alors comme un processus intégratif, permettant l'émergence de structures de plus en plus complexes, pouvant fonctionner sous deux conditions:

• La première sous-tend une fusion de schèmes en une structure composite par automatisation (surapprentissage, mémoire procédurale) donc de façon dépendante de la situation d'apprentissage. Ce qui suppose une confrontation régulière de l'enfant avec les mêmes activités, c'est à dire un apprentissage qui porte sur des schèmes qui s'appliquent souvent en raison de leur fréquente activation. Il s'agit d'un apprentissage empirique et implicite lié à l'expérience et à la pratique. On parlera ici d'une structuration de type (LC) où la composante (C) renvoie à l'opérateur d'apprentissage présenté ci-dessus. Il s'agit d'un apprentissage lent, tacite, qui génère des structures automatisées fortement dépendantes du contexte de leur formation.

• La seconde, plus généralisable et en partie indépendante de la situation d'apprentissage, porte sur des schèmes fonctionnant de manière conjointe et permet leur synthèse. Cette situation d'apprentissage est différente de la précédente en ce sens qu'elle nécessite la co-activation rapide des schèmes pertinents et sollicite donc la puissance M disponible. On parlera ici d'une structuration de type (LM). Mais il faut observer que dans cette situation la coordination des schèmes sera d'autant plus efficace que certains schèmes auront été automatisés, libérant ainsi de l'espace de traitement. Cette conceptualisation suppose donc qu'une construction préalable due à LC soit nécessaire à LM.

Il est possible d'illustrer la différence fonctionnelle entre les deux situations LC et LM à partir d'un exemple inspiré de la neuropathologie tel que l'apraxie qui montre fréquemment une dissociation entre le procédural et le déclaratif ; le patient peut réaliser spontanément une séquence de gestes concernant une habitude (se servir une tasse de café), mais il est incapable

d'organiser cette action lorsqu'on le lui demande (c'est à dire en déclaratif). La conduite spontanée serait le produit des structures LC développées pendant l'expérience journalière. Par contre, l'exécution sur commande dépendrait des structures LM construites durant les moments d'attention mentale nécessitant l'allocation de M.

L'opérateur F

Il renvoie à la capacité qu'a l'enfant de produire un comportement adapté à la situation en déclenchant un champ d'activation de schèmes en lien avec cette situation, que les schèmes soient pertinents ou pas. Ainsi, l'opérateur F rend compte de l'effet de champ, c'est dire la tendance de l'organisme à réduire la complexité informationnelle à un certain nombre de propriétés prégnantes suffisantes à l'élaboration d'une représentation cohérente de la situation et ce, afin d'augmenter l'efficacité du traitement cognitif. Il procède selon deux processus, l'un sensoriel (Fs), en organisant très tôt les aspects perceptifs, l'autre processuel (Fp), en modifiant le pattern final d'activation dans le but de renforcer sa cohérence. Il peut ainsi, par son souci d'économie, induire le sujet en erreur en renforçant l'activation de schèmes non pertinents lorsque l'entrée perceptive est trompeuse, comme c'est le cas pour les erreurs commises par les enfants les plus jeunes dans les épreuves de conservation. Le développement de F pourrait donc être lié au développement du répertoire de schème LC, son influence augmentant ainsi avec l'expérience.

Les opérateurs A et B

Ces opérateurs gardent encore un statut très général dans la théorie de Pascual-Leone J. car ils ont été peu étudiés et opérationnalisés par des travaux expérimentaux.

L'opérateur affectif A et l'opérateur personnel B interviendraient à différentes étapes du fonctionnement du métasujet et particulièrement au début du traitement en mobilisant les schèmes affectifs et personnels, donc en déterminant le degré d'implication du métasujet par l'expression de l'état émotionnel et la mobilisation des ressources motivationnelles (schèmes affectifs), mais aussi les croyances, les valeurs ou les styles cognitifs (schèmes personnels). En accord avec les conceptions les plus actuelles, la théorie des opérateurs constructifs retient le principe d'une cognition chaude, selon lequel le traitement cognitif d'une tâche s'effectue toujours dans un contexte affectivo-émotionnel spécifique, conjugué au cadre plus général d'un environnement social et culturel, l'ensemble constituant la marque et la singularité du style cognitif de l'enfant.