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L'évaluation des compétences cognitives

3.2.1.4. Les dysharmonies évolutives :

Elles constituent le second groupe diagnostique. Il s’agit des enfants qui ne présentent pas de traits et mécanismes de la série psychotique. Comme nous venons de l'évoquer, il n’y a donc pas de rupture du lien avec le réel, ce qui marque la limite vis à vis des psychoses. La plupart du temps, le premier contact avec la structure de soins s’est établi dès l’école maternelle qui repère généralement les troubles du développement, les difficultés profondes d’adaptation et les difficultés plus ou moins importantes des apprentissages. Vis à vis des dysharmonies psychotiques, ce premier contact apparaît donc sensiblement plus tard. Ici également, la symptomatologie est variable et s'inscrit dans une perturbation évolutive d'instauration précoce qui entraîne un développement dysharmonique. Cette entité nosographique recouvre certains des éléments qui apparaissent dans plusieurs catégories

proposées par la CIM 10 sous la forme des "Troubles envahissant du développement non

spécifiés", des "Troubles mixtes des conduites et des émotions", ainsi que "les troubles du fonctionnement social débutant spécifiquement durant l'enfance". D'une manière plus

générale, les termes de dysharmonie évolutive rassemblent aujourd'hui diverses terminologies diagnostiques utilisées par les pédopsychiatres d'orientation dynamique pour désigner ces formes atypiques qui constituent le troisième axe entre les psychoses et les névroses et que l'on retrouve sous divers intitulés tels que : les personnalités abandonniques, les personnalité à faux self, les pathologies narcissiques, les pathologies anaclitiques, les troubles de la personnalité et du comportement.

D'un point de vue sémiologique, l’enfant présente un déficit dysharmonique, hétérogène, car n’affectant pas de la même façon le développement psychomoteur, le langage et les fonctions cognitives. Les troubles instrumentaux sont fréquents (dyslexie, dyscalculies, dyspraxie, dysphasie…etc.) mais apparaissent principalement comme des dysharmonies fonctionnelles en lien avec des défauts d'investissement et des modes d'échanges inadaptés avec l'environnement, bien qu'ils peuvent parfois conduire progressivement à des restrictions durables des potentialités. D'un point de vue cognitivo-intellectuel, par rapport au groupe précédent, les performances cognitives évaluées à partir du quotient intellectuel sont généralement un peu mieux préservées (même si, dans le cadre de la population qui concerne cette étude, les performances restent inférieures à la norme).

D'un point de vue clinique et psychopathologique, ce tableau sémiologique s'intègre donc dans le cadre plus général des pathologies limites de l'enfance, pour lesquelles Mises223 R. (1995,2002) a bien mis en lumière et décrit une déclinaison régulière de composantes de la personnalité qui sont indispensables au diagnostic et que l'on peut rappeler ici :

 Dans l’histoire infantile précoce, nous observons généralement des situations de carences affectives, sociales ou éducatives, des événements de ruptures ou des distorsions traduisant une discontinuité des processus de soins maternels et un défaut d'étayage224. Ces situations sont parfois manifestes telles que la maltraitance, l'abandon, le placement, les carences sociales et affectives… D'autres fois, elles sont plus subtiles et elles se dégagent de l'étude de la personnalité des parents et de la place faite à l'enfant dans la période archaïque (dépression maternelle précoce, …).

 Les troubles de l'élaboration de la fonction contenante sont régulièrement constatés, ainsi que les effets sur l'organisation de la pensée de l'enfant qui sont liés au défaut d'intériorisation de la fonction de pare-excitations. En effet, nous savons que pour pouvoir fonctionner sans être submergée, la pensée doit nécessairement travailler sur des petites quantités d'énergie qui permettent la manipulation des images et des représentations mentales. D'où une tendance à utiliser des modes d'expression par le corps ou par l'agir pour évacuer l'excès d'excitation.

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Misès R. (1995), "Les pathologies limites de l'enfance", Nouveau traité de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, sous la direction de Lebovici S., Diatkine R., Soulé M., Paris, PUF.

Misès R. (2002), "L'évolution des formes latentes des pathologie limites de l'enfant au cours de l'adolescence", L'information Psychiatrique, 3, p. 271-276.

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Parfois, plus simplement un passé médical chargé et marqué par des hospitalisations itératives. Dans ce contexte, les séquelles neuro-développementales ne sont pas rares et les retards d’acquisitions scolaires sont tels, qu’une scolarisation adaptée est indispensable.

 Dans la continuité de la composante précédente, on peut évoquer les échecs ou les difficultés dans le déploiement de la transitionnalité et le maintien de l'omnipotence primaire. Les objets transitionnels font généralement défaut, ou apparaissent tardivement, ou encore sont changeant et peu investis. L'enfant n'accède pas à une pleine capacité de jouer seul en présence, puis en l'absence, de sa mère. En bref, La transitionnalité ne soutient que faiblement l'exercice de la pensée.

 Il faut noter également les défaillances du travail de séparation et le maintien d'un mode relationnel dominé par l'anaclitisme. Dès lors, la dépression occupe une place centrale dans le tableau clinique sous des expressions qui varient d'un enfant à l'autre ou pour le même enfant. Tantôt, les expressions habituelles de la dépression sont au premier plan : tristesse, retrait, absence d'intérêt, manifestations psychosomatiques … Tantôt, son expression passe par le renforcement des défenses maniaques, des essais de maîtrise active, des conduites agressives liées aux craintes d'intrusion et dominées par des idées de persécution.

 La dimension narcissique plus qu'objectale de la pathologie est un autre paramètre important pour l'analyse psychopathologique. L'enfant est habité par un sentiment d'insécurité de fond qui met en péril de façon durable la régulation de l'estime de soi. Ces sentiments d'autodépréciation font d'ailleurs souvent l'objet d'un déni qui renforce les expressions de la toute puissance et de l'autosuffisance. De fait, la dimension identitaire est renvoyée au premier plan et il semble qu'elle soit en partie liée aux difficultés de la mère à investir l'enfant comme objet réel, distinct de l'enfant imaginaire.

 La part prise par les mécanismes de clivage rend compte de l'hétérogénéité structurale de cette entité nosographique. Il faut noter ici principalement les clivages du moi qui expliquent le fonctionnement en faux self observé chez la plupart de ces enfants, d'où la coexistence de positions inconciliables et aconflictuelles. Le recours à ce mécanisme de défense permet le développement d'adaptations qui garantissent le lien avec le réel par conformité et mimétisme, malgré la prédominance d'une pensée infantile, prélogique, dominée par l'omnipotence. Dans ce contexte, il arrive que les mécanismes de déliaison n'interdisent pas l'accès aux apprentissages, mais ces derniers restent la plupart du temps factices, faiblement appropriés, étant donnée la rigidité des processus de pensée.

 Enfin, on note des dysharmonies dans le développement de l'enfant qui s'inscrivent dans tous les secteurs : phasique, gnosique, praxique ou cognitif. Comme nous venons de l'évoquer, sur le plan cognitivo-intellectuel, beaucoup d'enfants concernés par les pathologies limites ne présentent pas d'anomalies majeures dans les acquisitions et parviennent à satisfaire les attentes de l'institution scolaire. Mais, dans le cadre plus spécifique des dysharmonies évolutives, les troubles cognitifs sont fréquemment constatés sous la forme de dysharmonies cognitives pathologiques (DCP) ou de

retards d'organisation du raisonnement (ROR) tels qu'ils ont été mis en évidence par

Gibello225 B. (1984). Dans les formes sévères, telles que celles qui concernent les enfants participant à cette étude, l'insuffisance intellectuelle peut constituer une composante notable, si bien qu'il devient difficile de départager ce qui relève d'un authentique processus de structuration déficitaire analogue à celui observé dans le

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cadre des déficiences dysharmoniques, de ce qui relève de mécanismes inscrits dans le processus psychopathologique de fond. Ce dernier point constitue un des objectifs essentiels des explorations cognitives engagées dans ce travail.

Au terme de cette description qualitative de la population, il faut maintenant présenter les caractéristiques quantitatives principales des populations concernées par la recherche.