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La pédopsychiatrie a-t-elle un avenir ? L'intégration scolaire …

1.3. L'intégration scolaire en psychiatrie de l'enfant : contexte général et aspects descriptifs

1.3.1. Du côté des indications

D’un point de vue nosographique et à partir de la Classification Française des Troubles Mentaux de l’Enfant et de l’Adolescent49 (CFTMEA), deux grandes catégories diagnostiques représentent l’essentiel des organisations psychopathologiques rencontrées dans le cadre des indications portées vers l’intégration scolaire : les dysharmonies psychotiques et les troubles de la personnalité pris dans une dysharmonie évolutive, rebaptisées pathologies limites dans la dernière édition de cette classification. Notons que ces deux catégories de

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CFTMEA. (2002), Classification française des troubles mentaux de l'enfant et de l'adolescent -R 2000- sous la direction de R. Mises et du Dr Quemada. 4ème édition du CTNERHI.

troubles mentaux correspondent à l'intitulé "Autres troubles envahissants du développement" de la Classification Internationale des Maladies (CIM). Elles s'apparentent également à ce que les cliniciens du Yale Child Study Center ont identifié sous la forme des "Multiplex

Developmental Disorder50" (MDD). Notons enfin qu'une troisième catégorie d'indication, très minoritaire, complète la présentation de cette population clinique ; il s'agit de pathologies qui s'inscrivent dans le cadre des troubles autistiques sans déficit cognitif associé, souvent identifié sous le diagnostic du syndrome d'Asperger.

Dans une perspective structuraliste, nous allons développer rapidement chacune de ces organisations psychopathologiques.

1.3.1.1. Les dysharmonies psychotiques.

Tant du point de vue clinique que psychopathologique, le diagnostic de dysharmonie

psychotique consiste à associer la notion de dysharmonie développementale et celle des traits

et mécanismes psychotiques. On évoque la dysharmonie car les résultats obtenus à partir des outils classiques d’évaluation du rythme de développement psychologique, mesurés à partir du Quotient Intellectuel (QI), sont le plus souvent bas, dispersés et hétérogènes. Mais ces résultats s’inscrivent dans un tableau plus général de psychose marqué par une rupture de contacts avec la réalité, bien que l’on observe souvent chez l’enfant des capacités préservées pour trouver les voies d’une adaptation, certes précaire, aux contraintes imposées par la vie collective.

Ces capacités préservées résultent d’une distinction entre le moi et le non moi rendu possible par des mécanismes impliquant le clivage, le déni, l’identification projective et l’omnipotence. De fait, l’enfant échoue la plupart du temps à élaborer une bonne distance relationnelle avec l’adulte et l'on retrouve souvent un collage excessif, plus rarement des refus intentionnels de communication, mais jamais des retraits de type enfermement tels que l’on peut les rencontrer dans l’autisme. Les troubles cognitifs sont toujours importants et entravent fortement les capacités d’apprentissages parce que l'enfant échoue également la plupart du temps à élaborer une bonne distance à l'égard de ses apprentissages scolaires. C’est ainsi que l’on note des risques majeurs d’évolution vers des organisations de type déficitaires si les enfants ne sont pas pris en charge dans le cadre d’un dispositif susceptible de prendre en compte le caractère multipolaire de leur pathologie et de proposer des contextes pédagogiques adaptés.

Dans ce contexte psychopathologique, c’est évidemment la dimension objectale qui est prioritairement impliquée. Cette dimension suit la ligne de différenciation/individuation, de séparation moi/non moi, et met en jeu la constitution même de l’objet interne séparé de l’objet objectivement perçu. Ce registre de la psychose confronte l’enfant à la rencontre avec un objet énigmatique, qui n’est pas malléable, qui ne se laisse pas affecter et qui n’accepte pas l’inscription. Cette question concerne les fondements même de l’activité de représentation et, en conséquence, l’intégrité structurelle des processus de pensée qui en découlent.

L’enfant psychotique éprouve donc les plus grandes difficultés à s’affranchir du travail de transformation inhérent à toute forme de symbolisation. Ce que Aulagnier51 P. (1984)

50

Tordjman S. et al. (1997), Dysharmonies psychotiques et Multiplex Development Disorder, Psychiatrie de l'enfant, XL, 2, p. 473-504.

51

Aulagnier P. (1984), L'apprenti historien et le Maître sorcier. Du discours identifiant au discours délirant. Paris, PUF.

évoque sous la forme de la rencontre du je avec le temps où il s’agit pour l’enfant de substituer à un temps définitivement perdu un discours qui le parle et le garde en mémoire.

1.3.1.2. Les dysharmonies évolutives.

Les dysharmonies évolutives constituent le second groupe diagnostique. Il s’agit d’enfants qui ne présentent pas de traits et mécanismes de la série psychotique (il n'y a donc pas de rupture du lien avec la réalité), et dont le premier contact avec la structure de soins s’est établi généralement dès l’école maternelle qui révèle les difficultés profondes d’adaptation et les troubles des apprentissages. L’enfant présente un déficit dysharmonique, hétérogène car n’affectant pas de la même façon le développement psychomoteur, le langage et les fonctions cognitives. Les troubles instrumentaux sont également fréquents (dyscalculie, dyspraxie, dyslexie…) mais, par rapport au groupe précédent, les aspects cognitifs, évalués à partir du Quotient Intellectuel (QI), sont souvent mieux préservés même si, dans le cadre de cette population clinique, ils sont la plupart du temps inférieurs à la norme.

L’angoisse sous jacente est massive et mal contrôlée. Elle se manifeste par l’agitation le plus souvent et des passages à l’acte soudains, mais aussi par l’expression de fantasmes crus et primitifs. Du point de vue de l’étude psychopathologique, on constate souvent dans l’histoire infantile précoce des situations de carences affectives, sociales ou éducatives. Des événements de ruptures ou des distorsions traduisant une discontinuité des processus de soins maternels. Les défauts d’élaboration de la fonction contenante trouvent une place essentielle ainsi que les troubles de la symbolisation et de la fantasmatisation. On note donc une difficulté d’accès aux jeux, qui sont la plupart du temps des jeux d’exercices où la dimension pulsionnelle est rapidement envahissante.

Dans ce contexte, c’est la dimension narcissique qui est renvoyée au premier plan, cette dimension qui contient les modalités de rencontre entre l’enfant et l’objet primaire. En effet, c’est la capacité pour l’enfant de s’auto-investir dans une représentation stable de lui-même qui est impliquée dans cette situation, c'est à dire la permanence et la continuité des soins au cours de la petite enfance. Les failles narcissiques sont donc très importantes et se traduisent par une incapacité à construire une image satisfaisante d’eux-mêmes. Ils ne supportent pas l’échec et détruisent souvent leurs réalisations tant ils sont rarement satisfaits de leurs productions. Les échecs subis dans les apprentissages scolaires ont un effet de renforcement des blessures narcissiques, ils aggravent le plus souvent les troubles du comportement et font obstacle à un investissement scolaire qui bute sur une position de refus très difficile à dénouer dans le contexte de scolarisation dans une classe ordinaire.

1.3.1.3. Le syndrome d'Asperger.

Bien qu'il figure dans les descriptions cliniques des troubles autistiques, le syndrome d'Asperger a de particulier qu'il ne présente pas de retard du développement cognitif, ni d'altération particulière du langage. Néanmoins, bien qu'il soit très développé, ce langage reste bizarre. Comme le rappelle Hochmann52 J. (1997), il est marqué par des néologismes, une absence de figures métaphoriques, accompagné d'une tonalité particulière et peu musicale de la voix. Au cours de l'enfance, il n'y a pas eu de retard significatif sur le plan clinique du développement cognitif de l'enfant. C'est pour ces raisons qu'il n'est pas rare que nous

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puissions parler d'autisme dit de "haut niveau" pour évoquer un tel syndrome. Ceci dit, ce qualificatif est actuellement controversé.

Les performances cognitives, évaluées en terme de QI à partir du WISC, restent la plupart du temps dans la limite du normal faible, voire de la déficience légère. En revanche, ce qui qualifie davantage ce type de pathologie relève des altérations qualitatives des interactions sociales dans les relations avec les pairs, définies par une absence marquée de réactions émotionnelles. Baron-Cohen53 S. (2008) évoque une pathologie neuro-développementale qui implique des problèmes d'empathie et de cécité mentale qui altèrent les interactions sociales et la communication. Ce sont bien souvent des enfants qui ont des troubles importants de l'abstraction, liés au départ avec une difficulté à établir une distinction entre les objets animés et les objets inanimés. Ils n'ont qu'une faible représentation du monde qui les entoure, ce qui nécessite activement un réel apprentissage des situations sociales. De la même manière, la pensée n'est pas ancrée dans le corps, elle reste abstraite, difficilement mise en lien avec le contexte social, pragmatique.

L'évolution de ce syndrome se fait rarement vers un déficit cognitif mais plutôt vers la persistance des troubles autistiques avec parfois, notamment à l'adolescence, l'apparition de troubles psychotiques tels que nous les avons décrits dans le cadre des dysharmonies psychotiques.

Ce troisième groupe diagnostique ne représente qu'une faible proportion des enfants adressés vers notre dispositif d'intégration scolaire. Par ailleurs, ils sont le plus souvent accueillis au niveau du collège car ils ont généralement bénéficié d'une intégration personnalisée au cours de leur scolarité primaire, avec l'aide ou non d'une auxiliaire individuelle de vie scolaire.