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Un système d’incitations et de sanctions : Les défenseurs de la « démocratie participative »

« … les citoyens ne veulent (donc) plus se contenter de déléguer la part de souveraineté qu’ils détiennent : ils entendent participer aux choix qui engagent leur avenir, en comprendre les raisons; ils veulent qu’on leur rende des comptes, qu’on évalue les résultats, que l'utilisation de l'argent public soit contrôlée »1.

Basée sur le constat d'une crise de la démocratie représentative, l'idée d'une « démocratie participative » postule le désir nouveau de citoyens responsables de voir leurs aspirations davantage prises en compte. Elle traduirait en fait la volonté, nouvelle et universelle, des citoyens de participer aux décisions. Il s’agit maintenant de comprendre les phénomènes qui ont concouru à rendre possible l’imposition d’une nouvelle figure légitime de la démocratie et du statut du citoyen. Quels sont les agents gagnés à la cause participative ? Les croyances dont ils se font les porteurs vont ensuite se diffuser d’autant plus facilement qu’elles permettent à certains agents de se classer parmi l’avant-garde démocratique, les acteurs du changement, les modernisateurs de la vie politique.

L’existence d’une « demande sociale de participation » qui fonde les revendications en faveur d’une démocratie plus participative, est rarement questionnée. Quelles sont les manifestations de cette demande qui pour beaucoup semble aller de soi ? On retrouve dans les discours sur la "démocratie participative" les principes officiels de la démocratie, qui mettent en scène des citoyens égaux, universellement compétents et soucieux de gérer eux-mêmes leurs propres affaires2. Or on peut douter que ce "désir de participation" soit aussi

1 Pierre Richard, Le temps des citoyens. op. cit., p.107-109. Pierre Richard est haut-fonctionnaire, président du Crédit Local de France.

2 On trouvera une analyse de ces principes chez Daniel Gaxie, Le cens caché - Inégalités

culturelles et ségrégation politique, Paris, Seuil, 1978. Pour une analyse des conditions historiques

universellement partagé que les tenants de la « démocratie participative » le laissent entendre. On peut en particulier se demander dans quelle mesure l’existence de cette demande sociale de participation et le développement de revendications d’un droit de regard sur la conduite des affaires publiques, ne renvoient pas à une « projection faite par la partie qui se pense la plus éclairée du corps électoral »1.

Quelles sont les acteurs qui reprennent à leur compte et se revendiquent des analyses développées par les différentes composantes du courant participationniste ? La cause participative est défendue par des groupes, dont l’action se conjugue, et qui présentent d’ailleurs certains points communs. L’idée d’une « demande sociale de participation » est largement le résultat du travail des défenseurs de la cause participative, dont les actions aboutissent par ailleurs à la mise en place d’un véritable système d’incitations et de sanctions à la mise en place de démarches participatives. Aux injonctions participatives émises par les GAM, vont s’ajouter celles qui résultent de l’émergence et l’essor dans les années quatre-vingt d’un nouvel acteur politique qui met la « démocratie participative » au cœur de son programme.

sont devenus électeurs, Paris, Presses de la Fondation Nationale des Science Politiques, 1992, 288

pages.

1 Renaud Dorandeu, « De la présomption de crise au discours fondateur. Expression politique et acte de vote », in Dominique Rousseau (dir.), La démocratie continue, Paris, LGDJ, p. 70.

§1. L’essor de nouveaux croisés de la démocratie participative : Les Verts

L’objectivation du discours participatif ne se fait pas à travers la seule contribution des GAM, qui semble plus ou moins disparaître de la concurrence politique dès la fin des années soixante-dix1. La cause participative est défendue par d’autres groupes sociaux, d’autres mouvements qui contribuent à la construction sociale du phénomène participatif. C’est ainsi que dans les années quatre-vingt, l’action des GAM en faveur de la démocratie participative va être relayée par l’émergence du mouvement écologiste, dont c’est également un des thèmes centraux, tout particulièrement au sein du part Les Verts, en voie de structuration.

A. Mouvement gamiste et écologistes : une proximité sociologique et idéologique Le lien particulier entre l’apparition d’une politique publique de protection de l’environnement et le développement de procédures « participatives », explique sans doute l’importance de la contribution des Verts et du mouvement écologiste en général, dans la construction de la « démocratie participative ». La constitution du mouvement écologiste au début des années quatre-vingt va favoriser la diffusion de la thématique participative plus largement que ne l’ont fait les GAM, dont l’implantation à l’échelon national est restée limitée. On retrouve cependant dans l’idéologie des écologistes, en particulier chez les Verts, des similitudes frappantes avec le discours gamiste : même critique de la hiérarchie, et du système notabiliaire, etc. Ces similitudes s’expliquent quand on sait que les Verts français (militants, mais surtout élus) proviennent en partie des partis de gauche, en particulier du PSU2. Mais l’origine largement associative des Verts, et les liens

entretenus avec le monde associatif3, favorisent également la prégnance du thème

1 Nous renvoyons à la thèse de Marion Paoletti pour une analyse plus approfondie de la contribution spécifique des GAM. L’auteur nous paraît toutefois surestimer quelque peu le rôle des seuls GAM dans l’émergence de l’enjeu participatif local. Marion Paoletti, thèse citée.

2 C’est le cas, par exemple, de René Dumont.

3 Les Verts prévoient jusque dans leurs statuts la juxtaposition d’une activité politique et d’une activité associative. Souvent analysés comme traduction d’une tendance post-matérialiste, les partis Verts européens sont souvent considérés comme le « bras parlementaires » des nouveaux mouvements sociaux ». Voir Jérôme Vialatte, Les partis Verts en Europe Occidentale, Paris, Economica, 1996, op. cit.

de la « démocratie participative », puisque c’est la reconnaissance du rôle des associations de défense de l’environnement qui est souvent en jeu à travers ces procédures.

Dès le milieu des années soixante-dix, la lecture de la presse montre des partis politiques inquiets de l’intervention de ces trouble-fête que constituent les associations écologistes. La presse se fait en outre l’écho des thèmes abordés par les écologistes, et contribue à renforcer leur impact, tant sur les autorités politiques que sur la population1. La constitution en parti politique au début des

années quatre-vingt va contribuer à renforcer la prégnance de la thématique participative, qui va dans une certaine mesure être réappropriée par les acteurs politiques existants, notamment quand les écologistes commenceront à obtenir de bons résultats électoraux, selon un processus similaire mais plus ample, que les tentatives de récupération des thèses gamistes. G. Sainteny montre ainsi que les acteurs politiques établis ont eu recours, successivement ou simultanément, à quatre types d’action envers le mouvement écologiste : des tentatives d’exclusion de ses thèmes privilégiés, comme non pertinents, des tentatives de récupération de ces thèmes, des tentatives d’exclusion du champ politique des acteurs politiques eux-mêmes au moyen de tentatives pour les décrédibiliser, et des tentatives de récupération de ces acteurs2.

Une enquête conduite auprès de 300 comités ou associations locales montre qu’au milieu des années soixante-dix la majorité de ces groupes sont hostiles à l’idée d’un parti écologiste3. La participation de candidats écologistes à

des élections fait elle-même l’objet de vives discussions. Evoquée dès 1972 par certains militants, la candidature d’un écologiste (il s’agira de René Dumont) à l’élection présidentielle de 1974 est le résultat de l’initiative de l’Association des Journalistes et Ecrivains pour la Protection de la Nature créée autour de Jean Carlier, et des Amis de la Terre. Selon ses membres fondateurs, c’est la fermeture

1 Voir par exemple, « L’écologie entre la droite et la gauche », Le Monde, 14 novembre 1974 ; « 14 000 ONG en France : les Cassandre de la société industrielle », Le Quotidien de Paris, 11 juillet 1975 ; « Ecologistes : la tentation de l’apolitisme », Politique Hebdo, 7-13 février 1977 ; 2 Guillaume Sainteny, « Le parti communiste français face à l’écologisme », Pouvoirs, n°70, 1994, pp. 149-162.

des partis traditionnels aux revendications écologistes qui a favorisé cette constitution en parti au début des années quatre-vingt : « Le choix de la politique ne nous était pas venu véritablement par une volonté délibérée, mais comme imposé par l’incapacité de ces « grands partis » à reprendre en compte nos luttes »1. Malgré ce premier pas, longtemps les écologistes se contenteront de regroupements dits « biodégradables », c’est-à-dire dissous au lendemain des élections. Le respect de différentes mesures destinées à empêcher la professionnalisation des militants et l’apparition de leaders, constituera la condition exigée par certains écologistes pour devenir un parti2.

En France comme dans les autres pays européens, la « démocratie participative » fait partie des thèmes privilégiés des écologistes3. S’il s’agit d’un thème ancien au sein de ce mouvement, il faut attendre leur constitution en parti politique au début des années quatre-vingt, et ses bons résultats électoraux au début des années quatre-vingt-dix, pour que le discours participatif jusque-là surtout investi électoralement par les GAM, commence à produire des incitations dans le cadre de la compétition électorale nationale. Ce sont les élections européennes et municipales de 1989, mais surtout les élections régionales de 1992 qui marqueront cette tendance, avec le score de près de 15 % obtenu par les deux listes Génération Ecologie et Les Verts.

1 Didier Anger (membre fondateur des Verts) « Faire de la politique autrement », Devenirs, n°17, 1993, p. 4.

2 Raymond Pronier, Vincent Jacques Le Seigneur, op. cit., p. 76.

3 L’analyse des chapitres consacrés à ce thème dans les statuts et programmes des Verts fait ressortir en particulier trois revendications récurrentes : la démocratisation des procédures d’urbanisme, le développement des référendums et autres droits à l’information, l’égalité des droits civils et l’intégration des populations étrangères (accès aux emplois publics, droits de vote, etc.). Jérôme Vialatte, Les partis Verts en Europe occidentale, op. cit., p. 175.

MOUVEMENT ECOLOGISTE : Repères chronologiques

1969 Naissance de la Fédération Nationale des Sociétés de Protection de

la Nature, à laquelle adhère la Ligue pour la protection des Oiseaux.

1971 Création des Amis de la Terre, animés par Brice Lalonde.

Premier comité antinucléaire à Fessenheim.

Début de la lutte contre l’extension du camp du Larzac. Le 10 juillet 15 000 personnes manifestent au Bugey.

1972 10 000 manifestants à Fessenheim ; 20 000 sur le Larzac

1974 Candidature de René Dumont à l’élection présidentielle.

La FFSPN et la LPO se dissocient de cette candidature.

1976 Première manifestation à Malville, considérée comme le triomphe

de la stratégie de la non-violence. La répression semble avoir facilité la rencontre des anti-nucléaires avec la population locale.

1977 Manifestation à Malville. Aux antipodes de la précédente (présence

de commandos de manifestants organisés pour l’affrontement) durement réprimée, 1 mort et cinquante blessés. Victoire de la gauche aux municipales, résultats des écologistes jugés bons par la plupart des commentateurs.

1979 Mouvement d’Ecologie Politique

Elections européennes : la liste conduite par Solange Fernex obtient 4,5% des voix ;

1981 Candidature de Brice Lalonde à l’élection présidentielle.

1984 Création du parti Les Verts, et de l’Association Nationale des Elus

Ecologistes (ANEE)1.

1988 Candidature d’Antoine Waechter à l’élection présidentielle.

Brice Lalonde est nommé secrétaire d’Etat à l’Environnement dans le gouvernement Rocard.

1989 Elections municipales ; selon les sources, entre 1000 et 1300

candidats écologistes (dont 600 Verts) sont élus.

Elections européennes : les Verts obtiennent 10, 67% et 9 députés européens.

1990 Lalonde crée Génération Ecologie.

Création de l’AREV (Juquin)

1992 Elections régionales. GE et les Verts obtiennent à eux deux 15% des suffrages, soit 212 conseillers.

1993 Elections législatives

548 candidats se présentent sous la bannière de l’Entente des écologistes (Verts et GE) qui obtient 7, 8% des suffrages exprimés.

1994 Elections européennes : moins de 3% pour les Verts, moins de 2%

pour Génération Ecologie.

Antoine Waechter fonde le Mouvement Ecologiste Indépendant.

1 L’association a pour but d’assurer la formation et l’information des élus écologistes. Sur ce point voir Bruno Villalba, « La chaotique formation des Verts français à la profession politique. 1984- 1994 », Politix, n°35, 1996, p . 149-170.