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L’apathie érigée en vertu : les théories libérales de la démocratie

Les discours fondateurs de la « démocratie participative »

A. L’apathie érigée en vertu : les théories libérales de la démocratie

Les analyses participationnistes se démarquent des conceptions qui à la suite de J. Schumpeter, définissent la démocratie comme une méthode et envisagent la participation comme le fait de prendre part épisodiquement à la sélection des leaders voire, pour ceux qui sont en position de le faire, tenter de temps à autre d’influencer leur action1. Même s’ils l’interprètent et l’expliquent différemment, les théoriciens élitistes ont tous pour point commun de considérer que toute société est divisée en deux classes : dirigeants et dirigés, une élite et la masse. Tous s’accordent à reconnaître l’existence du fait oligarchique et de la dichotomie gouvernants-gouvernés. Dans toute société, il existe une minorité qui prend les principales décisions. De nombreux auteurs érigent en outre l’apathie en vertu politique. B. Berelson2 souligne les dangers totalitaires de toute extension du domaine soumis à la délibération publique3. Analysant les qualités et attitudes que

la théorie classique de la démocratie requiert de la part des citoyens, il montre que certaines qualités généralement considérées comme nécessaires pour le bon fonctionnement de la démocratie ne sont pas atteintes par le citoyen moyen. Si cependant le système fonctionne, c’est grâce à la distribution inégale de ces qualités et attitudes parmi les citoyens. Une participation limitée et une certaine dose d’apathie sont donc nécessaires et jouent une fonction positive dans la stabilité du système démocratique. Samuel Huntington évoque les problèmes posés à la gouvernabilité des sociétés démocratiques exposées à un risque de « surcharge » (overload) du fait des demandes excessives des citoyens. D’après lui, une participation électorale trop importante peut nuire à la démocratie : « Le fonctionnement effectif d’un système politique démocratique requiert généralement une certaine dose d’apathie ou de non-engagement de certains

1 Selon la célèbre définition : « La méthode démocratique est le système institutionnel aboutissant à des décisions politiques dans lequel des individus acquièrent le pouvoir de statuer sur ces décisions à l’issue d’une lutte concurrentielle portant sur les votes du peuple »Joseph Schumpeter,

op. cit., p. 367.

2 Bernard.R. Berelson, et alii, Voting, 1954, Chicago, University of Chicago Press, p. 314. 3 Bernard R. Berelson, Voting, op. cit.,chap. 14 « Democratic Theory and Democratic Practice ».

individus ou de certains groupes… Il y a aussi des limites potentielles souhaitables à l’extension indéfinie de la démocratie politique »1.

Seule une minorité peut et doit montrer de hauts niveaux de participation et d’intérêt pour la politique, et ces auteurs arrivent ainsi à l’affirmation selon laquelle le niveau limité de participation qu’ils observent est exactement le montant de participation requis2. L’idée qu’il faut plus de démocratie est donc complètement absente de ces théories qui postulent au contraire qu’un certain degré d’apathie et de non-implication de la part de certains individus est nécessaire.

Dans la même perspective, Giovanni Sartori, tout en refusant de prendre position en faveur du caractère souhaitable ou non de cette apathie, demande néanmoins qu’elle soit acceptée parce qu’essayer de changer les faits mettrait en danger la maintenance de la méthode démocratique : « Le fait que des minorités capables et compétentes soient partie intégrante de la démocratie n’est pas un mal nécessaire, mais un facteur décisif de tels systèmes. Loin d’être un défaut du système, les élites démocratiques sont une de ses sauvegardes essentielles. Plus on étudie le régime démocratique, plus on prend conscience de sa complexité et de sa précarité. Et plus nous observons les moyens d’assurer sa survie, plus nous prenons conscience de ce qu’une société démocratique ne s’affirme et ne gagne du terrain comme gouvernement pour le peuple que dans la mesure où des minorités responsables et dignes de confiance se consacrent à ce but »3. D’après lui la seule façon de lutter contre ce phénomène, serait d’obliger les apathiques ou de pénaliser la minorité active, aucune de ces deux méthodes ne semblant acceptable. D’où la conclusion que l’apathie de la majorité n’est la faute de personne en particulier et qu’il faut arrêter de chercher des boucs émissaires4. Le droit de participer n’est pas violé du seul fait qu’on ne l’exerce pas. Toute la

1 Michel Crozier, Samuel Huntington, Joji Watanuki, The crisis of democracy, Report on the

governability of democracies to the Trilateral Commission New York, New York University

Press, 1975, p. 114-115. 2 Voir aussi Morris-Jones, 1954.

3 Giovanni Sartori, Théorie de la démocratie, Paris, Armand Colin, 1973, p. 99. 4 Giovanni Sartori, op. cit..

démonstration de G. Sartori est empreinte de la crainte qu’une participation plus active de la population ne conduise droit au totalitarisme.

Ces conceptions seront diffusées en France par l’intermédiaire d’intellectuels comme Michel Crozier dans le cadre de ses travaux pour la commission Trilatérale1. On les trouve formulées dans des essais politiques comme cet extrait exemplaire de l’ouvrage de Michel Debré paru en 1957, Ces

Princes qui nous gouvernent : « Le propre de l’individu est de vivre d’abord sa

vie quotidienne ; ses soucis personnels et ceux de sa famille l’absorbent. Le nombre des citoyens qui suivent les affaires publiques avec le désir d’y prendre part est limité ; il est heureux qu’il en soit ainsi. La Cité, la Nation où chaque jour un grand nombre de citoyens discuteraient de politique serait proche de la ruine. La démocratie, ce n’est pas l’affectation permanente des passions ni des sentiments populaires à la discussion des problèmes d’Etat. Le simple citoyen qui

est un vrai démocrate, se fait en silence un jugement sur le gouvernement de son pays, et lorsqu’il est consulté, à dates régulières, pour l’élection d’un député pare exemple, il exprime son accord ou son désaccord. Après quoi,

comme il est normal et sain, il retourne à ses préoccupations personnelles, qui ont leur grandeur, ne serait-ce que par ce qu’elles ont de nécessaire, non seulement pour chaque individu, mais pour la société »2.

B. La réaction des auteurs participationnistes : une « démocratie d’épanouissement »3

Le courant participationniste s’inscrit en réaction contre ces conceptions libérales de la démocratie4. Celles-ci sont considérées comme faussées parce qu’elles ne reconnaissent pas la participation politique comme ayant une valeur

1 Michel Crozier, Samuel Huntington, Joji Watanuki, The Crisis of Democrcay, op. cit., 220 pages. Un extrait de ce texte a été publié en français pour la première fois dans Jean-Louis Seurin (dir.),

Les démocraties pluralistes, Paris, Economica, 1980, p. 165-200.

2 C’est nous qui soulignons.

3 Crawford Brough Macpherson, Principes et limites de la démocratie libérale, Mont Royal, La Découverte-Boréal Express, 1985, 157 pages. Voir le chapitre II sur « La démocratie d’épanouissement ».

4 Pour une analyse critique des auteurs redoutant la mobilisation politique des apathiques, voir Peter Bachrach, The Theory of Democratic Elitism : A Critique, Boston, Little Brown, 1967, p. 93-

intrinsèque et un pouvoir « transformatif » sur les individus. Carole Pateman explique que les théories libérales s’appuient sur une lecture erronée de ce que leurs auteurs prennent pour des « théories classiques de la démocratie ». Contrairement à ce que redoutent ces auteurs, le fait que les attitudes non- démocratiques soient relativement plus répandues parmi les citoyens apathiques ne signifie pas qu’une augmentation de leur participation mettrait la démocratie en danger. Les tenants du courant participationniste voient dans la participation élargie des citoyens, un moyen de régénerer la démocratie représentative, du fait de la fonction éducative de la participation.

Cette idée d’une éducation, d’une socialisation des individus à travers la participation, n’a rien de nouveau. Elle renvoie à la tradition du civisme républicain et de la nécessité de l’éducation des masses. On la trouve chez John Stuart Mill pour qui elle constitue une « école de l’esprit civique » (« school of

public spirit ») : l’élévation des compétences culturelles découle d’un système

d’instruction adapté et d’une participation politique qui ne se limite pas au vote, mais comprend des activités telles que l’appartenance à une association, l’intérêt pour les affaires publiques, le fait d’être juré, etc. De même pour Alexis de Tocqueville : « Lorsque les citoyens sont forcés de s’occuper des affaires publiques, ils sont tirés nécessairement du milieu de leurs intérêts individuels et arrachés, de temps à autres, à la vue d’eux-mêmes. Du moment où l’on traite en commun les affaires communes, chaque homme aperçoit qu’il n’est pas aussi indépendant de ses semblables qu’il se le figurait d’abord, et que, pour obtenir leur appui, il faut souvent leur prêter son concours. (…) Les institutions libres que possèdent les habitants des Etats-Unis, et les droits politiques dont ils font tant d’usage, rappellent sans cesse, et de mille manières, à chaque citoyen, qu’il vit en société. Elles ramènent à tout moment son esprit vers cette idée, que le devoir aussi bien que l’intérêt des hommes est de se rendre utiles à leurs semblables ; (…) On s’occupe d’abord de l’intérêt général par nécessité, puis par choix ; ce qui était calcul devient instinct ; et, à force de travailler au bien de ses concitoyens, on

106, et Carole Pateman, Participation and Democratic Theory, Cambridge, Cambridge University Press, 1970.

prend enfin l’habitude et le goût de les servir »1. Les auteurs participationnistes partent du constat que la participation politique ne saurait avoir le rôle éducatif que lui prêtait J.S. Mill, si on ne lui donne pas un contenu plus important que le seul bulletin de vote. S’appuyant sur J.J. Rousseau, J.S. Mill et G.D.H. Cole, Carole Pateman formule ainsi une théorie participative de la démocratie, reposant sur l’idée que la participation au processus de décision a pour effet d’apprendre à l’individu à distinguer ses impulsions et désirs, et à être un citoyen public aussi bien que privé2. Il accepte plus facilement de telles décisions, et la participation a un effet intégrateur (intégrative). Les défenseurs de la démocratie participative ou délibérative, ne voient donc pas dans la démocratie seulement une façon d’adopter des lois et de prendre des décisions politiques, mais aussi un idéal. Ils sont critiques à l’égard des systèmes politiques reposant essentiellement ou principalement sur des mécanismes d’agrégation des préférences ou des intérêts. Ils ont en commun de supposer que de tels arrangements sont dépourvus des « ressources morales » nécessaires pour légitimer les décisions collectives3. L’accent est mis sur l’effet éducatif de la participation aux procédures participatives, et leur impact positif sur l’épanouissement de l’individu au sein du groupe4. « Le postulat sous-jacent à la démocratie participative est que le processus démocratique participatif permet la connaissance et le développement de soi par les citoyens. Au contraire, la doctrine libérale conçoit la démocratie comme simplement facilitant passivement l’expression des intérêts perçus, non

1 Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, Paris, GF-Flammarion, 1981 (1835), tome 2, p. 131-135.

2 « Une fois que le système participatif est mis en place… il s’entretient de lui-même, car les qualités qui sont précisément requises des citoyens pour que le système fonctionne, sont celles que le processus de participation lui-même développe et encourage : plus le citoyen individuel participe, plus il est capable de le faire. Le résultat du processus participatif fournit une justification importante pour un système participatif ». Carole Pateman, op. cit., p. 25. C’est nous qui traduisons.

3 Claus Offe, Ulrich Preuss, « Democratic Institutions and Moral Ressources », in David Held (ed.), Political Theory Today, Stanford, Stanford University Press, p. 143-171.

4 Voir notamment : Benjamin Barber, Démocratie forte, Paris, Desclée de Brouwer, 1997 (1984), 329 pages.Crawford Brough Macpherson, Principes et limites de la démocratie libérale, op. cit. ; Jane J. Mansbridge, Beyond Adversarial Democracy, Chicago, University of Chicago Press, 1983, Carole Pateman, Participation and Democratic Theory, op. cit.. Philip Resnick, Parliament versus

People : An essay on Democracy and Canadian Political Culture, 1984, Vancouver, New Star

comme aidant les citoyens à découvrir ce que sont leurs véritables intérêts»1. Les défenseurs de la « démocratie participative » mettent donc l’accent sur l’apprentissage bénéfique que peut constituer la participation en elle-même, quels que soient les buts poursuivis et atteints. Cette expérience est censée permettre de former un « meilleur citoyen » : « ...si les individus se voyaient confier davantage de pouvoirs, notamment dans les institutions qui ont le plus d’impact dans leur vie quotidienne (lieu de travail, écoles, gouvernement local, etc. ) leurs expériences auraient des effets éducatifs (transformative) : ils deviendraient plus soucieux du bien public, plus tolérants, mieux informés, plus attentifs aux intérêts des autres, et plus conscients de leurs propres intérêts. Ces transformations amélioreraient le fonctionnement des institutions représentatives de plus haut niveau, de même qu’elles écarteraient – voire élimineraient – les menaces que la démocratie est censée faire peser sur les droits, le pluralisme et la gouvernabilité »2.

Au sein de ce courant, la participation politique est vue comme l’activité la plus noble pour l’individu : elle permet le développement du sens de l’intérêt public et la résolution des conflits.

Les débats de cette époque sont donc marqués par la question de savoir si davantage de participation est ou non souhaitable, si cela constitue un danger ou un approfondissement de la démocratie. Dans leur réfutation des théories selon lesquelles la participation accrue des apathiques serait dangereuse pour la démocratie, les auteurs participationnistes vont ainsi poser les bases d’une conception de la « démocratie participative » compatible avec le système représentatif. Dans leur très grande majorité, les auteurs participationnistes ont cherché à théoriser les moyens de compléter le fonctionnement des institutions représentatives par les éléments participatifs. C’est l’élaboration d’une définition de la « démocratie participative » compatible avec la démocratie représentative », qui va permettre la diffusion de l’idée de la nécessité d’une « démocratie participative » et les réalisations qui s’en inspirent.

1 Peter Bachrach, Aryeh Botwinick, Power and Empowerment. A Radical Theory of Participatory

Democracy, Philadelphia, Temple University Press, p. 10-11.

2 Mark Warren, « Democratic Theory and self-transformation », American Political Science

On retrouve en France les mêmes débats. Des personnalités comme Pierre Mendès-France vont ainsi se faire les défenseurs d’une démocratie de participation reposant sur le même type d’analyses : « La démocratie ne consiste pas à mettre épisodiquement un bulletin dans une urne, à déléguer les pouvoirs à un ou plusieurs élus, puis à se désintéresser, s’abstenir, se taire, pendant sept ans. Elle est action continuelle du citoyen, non seulement sur les affaires de l’Etat, mais sur celles de la région, de la commune, de la coopérative, de l’association, de la profession. Si cette présence vigilante ne se fait sentir, les gouvernants (quels que soient les principes dont ils se recommandent), les corps organisés, les fonctionnaires, les élus, en butte aux pressions de toutes sortes de groupes, sont abandonnés à leurs propres faiblesse et cèdent bientôt soit aux tentations, soit aux routines et aux droits dits acquis. Le mouvement, le progrès ne sont possibles que si une démocratie généralisée dans tout le corps social imprime à la vie collective une jeunesse constamment renouvelée. La démocratie n’est efficace que si elle existe partout et en tout temps. Le citoyen est un homme qui ne laisse pas à

d’autres le souci de son sort et du sort commun. Il n’y aura pas de démocratie

si le peuple n’est pas composé de véritables citoyens, agissant constamment en tant que tels »1.

Les travaux de Michel Crozier pour la Trilatérale susciteront de vives critiques2, cependant que les analyses des auteurs participationnistes vont être reprises et diffusées3.

1 Pierre Mendès France, Oeuvres complètes, tome IV Pour une République moderne 1955-1962, Paris, Gallimard, 1987, p. 752.. L’ouvrage de Pierre Mendès-France, intitulé La République

moderne. Propositions, paraît chez Gallimard en édition de poche en octobre 1962 et après deux

réimpressions, sera épuisé dès 1969.

2 Voir par exemple Maurice Goldring, Démocratie – Croissance zéro, Paris, Editions Sociales, 1978.

3 L’ouvrage de Maurice Blanc consacre de longs développements à une discussion du livre de Carole Pateman. Maurice Blanc, Vie quotidienne et démocratie. Pour une sociologie de la

§2. Le développement concomitant d’analyses critiques de la bureaucratie et de la démocratie

Parallèlement à la multiplication de travaux participationnistes à fort contenu normatif voire prescriptif, se développent des analyses descriptives qui vont être diffusées puis réappropriées et réutilisées pour justifier des « demandes de démocratie participative ». Deux types de travaux nous paraissent avoir joué ici un rôle déterminant. Il s’agit d’abord des analyses critiques de la bureaucratie qui en France seront largement diffusées au sein du Centre de Sociologie des Organisations et avec les travaux de Michel Crozier, et d’autre part de travaux mettant en évidence les phénomènes de professionnalisation politique, qui seront repris dans des discours en terme de dysfonctionnement des démocraties représentatives. Si l’idée de participation, est pensée dans un premier temps au sein même de l’administration, c’est parce qu’elle renvoie à un appareillage conceptuel spécifique. C’est à partir de la diffusion de théories critiques de la bureaucratie, et du retentissement connu par les travaux de la sociologie des organisations à la fin des années soixante, que la nécessité d’une « plus grande participation » est en effet conçue.

A. Crise de l’Etat-Providence et phénomène bureaucratique

Dans la lignée des analyses de Max Weber, la bureaucratie a longtemps été envisagée par la sociologie comme un mode d’organisation des activités sociales régi par des règles impersonnelles, stables, et par la hiérarchisation des fonctions occupées par des individus spécialement formés. Selon cette perspective, la bureaucratie est la forme la plus rationnelle du pouvoir dans les sociétés modernes complexes. Or, dès les années cinquante cette conception est mise en cause par des analyses américaines soulignant l’existence de comportements irrationnels dans les processus bureaucratiques1, ainsi que de phénomènes de « rationalité

1 Robert K. Merton et alii (eds.), Reader in Bureaucracy, New York, The Free Press, 1952, 464 pages.

limitée »1. Ce même formalisme, cette impersonnalité des règles censés garantir la rationalité de l’organisation du pouvoir, génèrent en fait des effets non escomptés et des dysfonctionnements. Ces analyses mettent également en évidence la part d’autonomie des bureaucrates à l’égard du pouvoir politique, qui peut aller dans certaines circonstances jusqu’à paralyser les initiatives des élus2. Dans son étude sur le cas de la Tennesse Valley Authority, la grande administration publique américaine devenue le symbole de la politique réformiste du président Roosevelt, Philip Selznick montre comment la bureaucratie de la TVA parvient à incorporer dans ses propres projets les pressions des groupes sociaux, ce qui lui donne de considérables marges d’action3.

A partir de l’étude empirique minutieuse du fonctionnement bureaucratique de grandes administrations françaises, Michel Crozier fait découvrir les travaux américains aux chercheurs français et met en évidence les phénomènes de routines, de centralisation. Etudiant les relations humaines dans l’organisation, Crozier montre en effet que le système bureaucratique empêche l’adaptation et l’innovation4. Le modèle hiérarchique donne lieu à des attitudes de passivité et de

retrait au détriment du fonctionnement de l’organisation. Or celle-ci est d’autant plus efficace que la satisfaction de ses membres est plus grande, satisfaction qui passe par un système de commandement plus adapté et moins autoritaire. « L’homme de l’organisation est à la recherche d’une nouvelle culture qui soit à la fois ouverte à tous – donc une culture de masse – et suffisamment vivante pour susciter une participation créatrice de la part de ses membres »5.

1Herbert A. Simon, Administrative Behavior : A study of decision-making processes in

administrative organizations, New York, MacMillan, 2nd edition, 1957 (1947), 259 pages. James

G. March, Handbook of Organizations, Chicago, Rand McNally, 1965, 1247 pages.

2 Seymour Martin Lipset, Agrarian Socialism. The cooperative Commonwealth Federation in

Saskatchewan. A study of political sociology, Berkeley, University of California Press, 1950, 315