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2. LES CIRCONSTANCES DU PASSAGE AU MODÈLE LMD EN TUNISIE

2.1 Le système d’enseignement supérieur en Tunisie et l’implantation du modèle LMD

Fondé et inspiré du modèle de formation français, le système d’enseignement supérieur tunisien tel que présenté par Ghouati (2011) est à vocation moderniste et progressiste.

Dès sa création en 1960, l'Université de Tunis devait remplir trois missions, à savoir: former des cadres supérieurs nécessaires au développement du pays, sauvegarder et promouvoir la culture nationale, et enfin contribuer au progrès de la connaissance pour la promotion de la recherche scientifique et l'organisation d'une coopération avec les organismes nationaux et internationaux ayant la même vocation. Pour atteindre le premier objectif, l'État a favorisé la massification des effectifs étudiants et la formation rapide d'enseignants du supérieur au moyen d'une coopération soutenue notamment avec la France et les USA en 1980. En effet, jusqu'à 1980, la formation de la quasi-totalité des enseignants tunisiens du supérieur s'est faite dans les universités françaises. (p. 108)

Ghouati (2011) met l'accent sur les relations que la Tunisie avait noué à l'échelle internationale, notamment avec la France. Il se réfère à Guiter (2007) qui développe une analyse de l'évolution générale de l'enseignement supérieur permettant de distinguer trois grands moments caractérisant les relations entre l'enseignement supérieur et du pouvoir politique. Ces trois étapes sont :

- L’influence, au début des années 1970, des courants politiques idéologiques connus sous

l'appellation gauche et la revendication réelle d’une autonomie universitaire vis-à-vis du pouvoir politique;

- L’apparition d'une nouvelle génération d'étudiants islamistes5 et la montée de son influence

idéologique, y compris dans l'action pédagogique universitaire, dès le début des années 1980;

- À partir de la prise du pouvoir par le général Ben Ali (1987), le parti du Rassemblement

constitutionnel démocratique (RCD) qu'il a fondé en 1988, prend le champ universitaire en main de manière autoritaire par le biais d'étudiants et d'enseignants proches du régime.

De même, partant d’un constat critique, A. Ben Dhia, ministre de l'Enseignement supérieur à l'ère du président Habib Bourguiba (du 5 mai au 30 juillet 1986) considérait que l'université tunisienne se trouve, au milieu des années 1980, face à des difficultés qui entravent sérieusement son développement et qui risquent même de la paralyser (Ben Kahla, 2002). Suite à un diagnostic qu'il a effectué sur les principaux facteurs ayant influencé négativement l'état et le niveau de l'enseignement supérieur, Ben Dhia (1985)6, a dégagé quatre facteurs, dont deux d’ordre politique. Le premier se rapportait à la politisation de l'espace universitaire faisant que l'institution universitaire s'est éloignée des questions scientifiques et pédagogiques et est devenue un champ de distribution des cartes politiques. Le deuxième résulte, selon lui, l'éparpillement d'un pouvoir universitaire mal réparti et non délégué en fonction d'une logique claire et précise. Dans son rapport, le ministre parle d’une mauvaise définition des rôles et pouvoirs entre le secteur de l’enseignement supérieur et l'autorité de tutelle (Ben Kahla, 2002; Gouati, 2011). La mise en œuvre

5 Islamiste ne désigne pas radicalisme ou extrémisme religieux ici, il s’agit plutôt d’étudiants influencés par les

méthodes d’enseignement héritées de la mosquée-université de la Zeytuna considérée comme la plus ancienne des universités musulmanes.

6 Ben Dhia, A. (1985). L'université tunisienne : le temps des questions, l'âge des nouvelles options. Publication du

progressive de quelques recommandations de Ben Dhia a permis de jeter des bases idéologiques et politiques afin d'inaugurer effectivement une époque où les critères économiques ont pris une importance singulière dans les nouvelles orientations de l'enseignement supérieur. Et ce n’est qu’à ce moment qu'il y a eu une convergence fondamentale avec les orientations économiques et idéologiques de la Banque mondiale (1998) pour une réforme ouvertement libérale soutenue par un prêt de 80 millions de dollars au système d'enseignement supérieur tunisien jusqu'en 2003 (Ghouati, 2011).

Dans les années 1990, comme tous les systèmes d’enseignement supérieur africains, celui de Tunisie doit, à son tour, faire face aussi bien au flux croissant d’étudiants à insérer, plus tard, dans le marché de l’emploi et aux exigences des mutations économiques et socioculturelles complexes survenues aux plans national et international. Pour répondre à ses ambitions, les choix de la politique tunisienne se sont résumés à: une diversification des filières censée promouvoir l’employabilité des diplômés, l’introduction progressive d’une nouvelle pédagogie universitaire et la restructuration des cursus selon le système LMD (Miled, 2007).

Il est à mentionner que ce nouveau régime a été introduit sous couvert d’une commission nationale au Maroc et en Algérie, alors qu’en Tunisie, son introduction en 2005 a été le fait de la présidence de la République (Ghouati, 2009).

Nous poursuivrons nos efforts pour la mise en œuvre des choix que nous avions décidés en vue de moderniser le système des diplômes universitaires dans notre pays, au niveau de la licence, du mastère et du doctorat (LMD), en harmonie avec les normes et systèmes les plus évolués. Nous appelons, à cet égard, à associer les

divers membres du corps enseignant et de recherche universitaire à l’identification des meilleures voies pour la concrétisation de cette orientation et la promotion de ce système.

Extrait du discours du Président Zine El Abidine Ben Ali à l’occasion de la célébration de la Journée nationale du Savoir. Carthage, le 13 juillet 2005.

L’implication personnelle du chef de l’État dans le choix et l’application de ce nouveau modèle académique suscite davantage de questionnements, lorsqu’on sait que l’autonomie des universités tunisiennes et les libertés académiques ont été très souvent limitées par le pouvoir politique. Mentionnons que la Tunisie a été invitée à la conférence de Leuven Louvain-la-Neuve qui fut l’occasion de lancer le forum politique de Bologne. Ce forum a réuni les représentants de haut niveau des États membres, ainsi que des représentants provenant de l'Australie, du Brésil, du Canada, de la Chine, de l'Égypte, de l'Éthiopie, de l'Israël, du Japon, du Kazakhstan, du Kirghizstan, du Mexique, du Maroc, de la Nouvelle-Zélande, des États-Unis, et de l'association internationale des universités (Nyéladé, 2013). Pourquoi est-on passé de l'ancien régime au régime LMD en enseignement supérieur en Tunisie ? Sur quelles bases et pour quels motifs a-t-on opté pour ce choix ?

Sur le plan institutionnel, la réforme LMD a été officiellement inscrite au Journal officiel de la République tunisienne (JORT) par le Décret n° 2008-3123 du 22 septembre 2008, fixant le cadre général du régime des études et les conditions d’obtention du diplôme national de licence dans les différents domaines de formation, mentions, parcours et spécialités du système LMD. Les dispositions du décret indiqué ne s’appliquent, toutefois, pas aux études d’ingénieur, d’architecture, de médecine, de pharmacie, de médecine dentaire et de médecine vétérinaire (JORT

du 22 septembre 2008) qui ont résisté à la réforme. Notons que, le système LMD a été introduit en cohabitation avec le système classique en 2006, et le passage définitif de toutes les structures au système LMD a été prévu pour 2012 excluant les disciplines ayant refusé le passage au système LMD « Le système LMD devait être généralisé à l’horizon de 2012 » (MES, 2006, p. 4).

Dans la note de cadrage portant sur la réforme LMD en Tunisie publiée en 2006, la Direction générale de la rénovation universitaire (DGRU) du Ministère de l’Enseignement supérieur (MES) a précisé les objectifs généraux du régime LMD en Tunisie. Ceux-ci se résument aux points suivants :

- Assurer pour toutes les parties concernées (étudiants, parents, professionnels, employeurs, etc.)

une meilleure lisibilité des grades de formation7 et des paliers d’insertion professionnelle;

- Mettre en place un système de formation caractérisé par la flexibilité et la comparabilité

internationale;

- Offrir à l’étudiant la possibilité de restructurer son parcours en cours de formation; - Faciliter l’équivalence des diplômes;

- Favoriser la mobilité de l’étudiant à l’échelle nationale et internationale;

- Créer une nouvelle génération de diplômés polyvalents aptes à s’adapter à un contexte mondial

changeant;

- Réformer les programmes et diversifier les parcours dans les créneaux porteurs;

7 Par lisibilité on désigne l’ensemble des procédés utilisés pour faciliter la comparaison des diplômes tunisiens avec

- Créer des parcours de formation souples et efficients, à caractère académique et appliqué,

offrant à l’étudiant, à tous les niveaux, des possibilités d’insertion professionnelle.

Ces objectifs traduisent presque tous des intentions structurelles et organisationnelles. Les intentions de formation y compris la professionnalisation des formations ne figurent pas dans la liste des objectifs de la note de cadrage considérée comme l’un des documents de référence conçus pour cadrer le pilotage de la réforme LMD en Tunisie.

Le cadre formel de la formation à l’enseignement de l’éducation physique et sportive (ÉPS) en Tunisie présente plusieurs particularités distinctives comparé aux autres domaines de formations universitaires : formation tridimensionnelle (théorique, pratique, pédagogique), formation dispensée dans des établissements universitaires (les ISSEP) et dans des établissements d’enseignement scolaires (les stages de préparation à la vie professionnelle dans les établissements d’enseignement primaire et secondaire) impliquant l’intervention de plusieurs catégories de formateurs (des universitaires et/ou des enseignants chercheurs, des professeurs d’éducation physique et sportive rattachés aux ISSEP chargés de la supervision pédagogique et des enseignants d’éducation physique et sportive rattachés aux établissements scolaires à titre de conseillers pédagogiques). Le profil de l’enseignant requis à l’issue de sa formation est celui d’un éducateur appelé à intervenir dans deux secteurs de l’activité des jeunes : 1) dans le secteur scolaire où il aura à contribuer par le biais d’une éducation motrice appropriée au développement morpho- fonctionnel, psychomoteur et psychosocial du jeune tunisien, 2) dans le secteur civil par l’encadrement des associations et sélections sportives et la recherche des meilleures performances au profit du sport national. De plus, les institutions chargées de la formation des enseignants d’ÉPS

tunisiens sont placées sous la tutelle du Ministère de la Jeunesse, des sports et de l’éducation physique et du Ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique. Malgré toutes ces spécificités, la formation des enseignants d’ÉPS tunisiens s’est affiliée, comme la plupart des autres disciplines, à la réforme structurale des grades et des titres universitaires dite LMD.