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Le domaine des recherches curriculaires demeure un champ de recherche peu exploité en Tunisie. En effet, dans un contexte marqué par une dictature politique à l’ère du président déchu Zine El Abidine Ben Ali (1987-2011), interroger les politiques de l’État était une opération d’une extrême sensibilité, voire même risquée. Ainsi, à l’exception de quelques travaux qui ont porté sur la gestion de la classe (Bouzid, 2010), les styles d’enseignement ou l’ingénierie de la formation (Mrayah, 2010) dans le cadre du régime LMD, aucune étude publiée n’a, à notre connaissance, traité des politiques éducatives et n’a porté sur l’implantation de ce modèle de formation pour la formation à l’enseignement de l’ÉPS en Tunisie. De même, après quelques années de la mise en œuvre du système LMD, et malgré l’augmentation continuelle du nombre de licenciés en éducation physique et sportive, aucune recherche n’a, jusqu’à ce jour, été réalisée par les deux ministères concernés par la formation à l’enseignement de l’ÉPS pour évaluer la qualité de formation dispensée dans les Instituts supérieurs de sport et d’éducation physique (ISSEP), l’efficience de ce système et les retombées de la réforme sur le plan de la professionnalisation des futurs enseignants. Quels sont donc les principaux écueils de la mise en œuvre du système LMD pour la formation à

l’enseignement de l’ÉPS en Tunisie? Qu’est-ce qui distingue cette formation renouvelée de celle dispensée dans le cadre de l’ancien régime?

Patton (1987) considère que, pour connaître les effets d’une nouvelle politique éducative, il faut d’abord savoir comment celle-ci a été implantée. Il explique que si on ne sait pas comment la nouvelle politique a été mise en œuvre, nous n’avons pas les informations requises pour déterminer les facteurs ayant entraîné les effets observés. Il apparaît donc primordial de décrire comment une politique éducative a été adaptée aux contextes locaux si on veut vraiment examiner et analyser la transposition de celle-ci dans la pratique. Ce genre de recherches fournit des renseignements plus complets permettant de mieux éclairer les décisions des responsables du système éducatif (Jobin, 2010). C’est donc dans cette logique que notre recherche vient rendre compte du processus de mise en œuvre de la réforme LMD pour la formation à l’enseignement de l’ÉPS en Tunisie et de ses retombées sur la professionnalisation des futurs enseignants. Une fois publiés, les résultats de cette étude serviront, peut-être, de guide aux prochaines réformes curriculaires ainsi qu’aux ISSEP tunisiens dans leurs actions de formation et contribueront, par conséquent, à améliorer la formation pour l’obtention de la Licence fondamentale en éducation physique.

Afin de mieux cerner les éléments essentiels à notre recherche, les chapitres qui suivent présentent quelques expériences réformistes dans différents contextes à travers le monde ainsi que les concepts y étant liés.

Tout d’abord, une revue documentaire des quelques expériences de réforme de la formation à l’enseignement qui ont eu lieu aux États-Unis, au Canada en prenant le cas du Québec, au Brésil

et en France sera réalisée de même qu’un bref aperçu des changements opérés et/ou des critiques adressées à ces réformes. Ces expériences ont été retenues de par leur pertinence et de leur représentativité de différentes conceptions de formation à l’enseignement et de divers contextes internationaux. En Amérique du Nord, le cas des États-Unis est, par exemple, pertinent quand il s’agit de parler du mouvement de professionnalisation des enseignants. L’exemple du Québec au Canada témoigne de l’influence américaine sur les réformes de la formation à l’enseignement à travers le monde. Le cas du Brésil est assez représentatif de la situation en Amérique du Sud. Et le cas de la France offre un aperçu intéressant sur ce qui se passe dans le continent européen, il trouve sa pertinence de par les liens que ce pays entretient avec ses anciennes colonisations, dont la Tunisie.

Ensuite, nous poursuivrons avec la présentation du cadre conceptuel qui s’articule autour trois concepts centraux à savoir : 1) le concept de réforme éducative, qui relève des politiques

éducatives; 2) le concept de curriculum où on abordera les étapes et les modalités de

développement d’un curriculum de formation, les principales orientations de valeurs ainsi que les modèles curriculaires qui leur sont à l’origine et 3) le concept de professionnalisation qui constitue, de nos jours, un concept clé en matière de formation à l’enseignement.

DEUXIÈME CHAPITRE. REVUE DOCUMENTAIRE

Les dernières décennies ont été marquées par un ample mouvement de recomposition des mondes éducatifs et scolaires. En effet, sous l’effet de pressions tant exogènes qu’endogènes, on remarque une intensification des relations d’interdépendance entre les systèmes d’éducation et de formation qui s’exprime essentiellement en termes d’émergence de nouveaux acteurs dans l’espace public, de contractualisation des objectifs et de pilotage par la performance, d’imputabilité des institutions et des professionnels de l’éducation et de réformes organisationnelles et curriculaires (Malet et Mangez, 2013).

Ainsi, beaucoup de pays ont procédé à d’importantes réformes curriculaires notamment en raison des pressions causées par la société du savoir, la mondialisation et le jeu des comparaisons internationales sur l’école.

Nous assistons actuellement au phénomène de la mondialisation des réformes éducatives. Dans la foulée des grandes études comparatives internationales (PISA, TEIMS), dans celle des désirs des nations de se maintenir dans le peloton de tête ou encore de s’y hisser, les réformes des systèmes éducatifs abondent ces 20 dernières années tant au Nord qu’au Sud, à l’Ouest qu’à l’Est. (Gauthier, Bissonnette et Richard, 2009, p. 1)

Depuis la fin de la dernière guerre mondiale et jusqu’aux années 1960, les systèmes éducatifs issus des efforts de modernisation et de démocratisation n’ont pas été épargnés non plus par leurs détracteurs. On reproche à la grande majorité d’entre eux d’être des fourre-tout, d’avoir

perdu de vue leur mission principale en même temps de n’avoir pas su prévenir ou résoudre les problèmes de la violence, de la drogue et du chômage, etc., qui caractérisent les sociétés. L’espoir de restreindre les inégalités sociales par le biais de l’éducation était au cœur des grandes réformes des années 1950 (Tardif, Lessard et Gauthier, 1998). Ainsi, plusieurs pays se sont engagés dans une série de réformes profondes de leurs systèmes d’enseignement, du primaire à l’université. Ces réformes n’étaient pas limitées à l’éducation, elles englobaient toute la sphère publique et les grandes organisations sociales (santé, justice, services sociaux). C’est d’ailleurs dans le cadre de ces réformes que plusieurs nouveaux professionnels comme les psychologues, les travailleurs sociaux, les administrateurs, etc. ont été formés dans les universités. Les grands idéaux de ces réformes étaient « la démocratisation, l’égalité des chances, l’ouverture au pluralisme culturel, et l’accès à de nouveaux savoirs, notamment des sciences et des techniques » (Tardif et al., 1998, p. 22). En formation initiale à l’enseignement, Anderson (1986) décrit bien le modèle de formation prédominant à l’époque :

Dans les programmes traditionnels de formation des maîtres, on expose aux étudiants des connaissances, selon un calendrier prédéterminé (dix semaines, un semestre…). Ces cours sont centrés sur divers thèmes tels que l’école et la société, le développement de l’enfant et de l’adolescent, la psychologie éducationnelle, la méthodologie de l’enseignement, et les matériels didactiques. Les étudiants qui réussissent une série de tests papier-crayon (portant le plus souvent sur des connaissances factuelles) et/ou qui ont réalisé de façon satisfaisante certains travaux se voient accorder une note attestant qu’ils ont suivi avec succès un enseignement en ces matières. Après cette formation théorique, les étudiants font des stages pratiques supervisés, qui leur valent des notes supplémentaires. Si elles sont suffisantes aussi, le diplôme d’enseignant est attribué.

Faut-il dès lors s’étonner que Harris (1972) ait pu décrire la formation traditionnelle des enseignants comme un « menu de cafétéria pédagogique permettant d’obtenir un nombre magique de notes censées garantir la compétence d’enseignement » (Anderson, 1986, p. 369).

De nombreuses critiques ont été adressées à ce modèle formation classique. Il a fallu attendre jusqu’aux années 1980 pour qu’on commence à s’intéresser à la formation des enseignants comme objet spécifique de recherche (Biddle et Anderson, 1986). Dès lors, les analyses se multiplient et les positions sur les dispositifs de formation foisonnent (Gauthier et Mellouki, 2006).

Depuis deux décennies, un nombre considérable de réformes ont transformé de manière importante les programmes d’enseignement et de formation à l’enseignement de différents pays aussi bien du Nord que du Sud (Biron, Cividini et Desbiens, 2004; Borges, 2007; Tardif et al., 1998; Tardif et Lessard, 1999). Tardif et Lessard (2004) stipulent que ces réformes préconisent : l’établissement des curricula nationaux visant le développement des compétences professionnelles, l’implantation de cycles d’apprentissage ainsi que l’intégration des technologies de l’information et de la communication à l’enseignement (TIC); l’instauration de mécanismes d’évaluation dans une perspective de contrôle et de régulation de l’efficacité de l’enseignement; la redéfinition de politiques concernant la formation, l’évaluation et le développement professionnels des enseignants. Ces politiques ont une ampleur et un rythme variables selon les contextes d’implantation.

Ainsi, en partant de l’analyse faite par certains auteurs et spécialistes des réformes éducatives et des études curriculaires, ce chapitre s’efforce de présenter et de décrire quelques expériences internationales de réformes de la formation à l’enseignement (ou certains de leurs

aspects essentiels) entreprises ces dernières décennies dans divers pays comme les États-Unis, la province du Québec au Canada, le Brésil et la France. Ces réformes s’inspirent largement des conceptions internationales en matière de professionnalisation et de développement professionnel des enseignants (Tardif et al., 1998).