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1. AUTOUR DU CONCEPT DE RÉFORME ÉDUCATIVE

1.1 Les politiques d’éducation

1.1.2 L’implantation des politiques d’éducation

L’implantation d’une politique correspond à l’étape dite post-décisionnelle, durant laquelle plusieurs acteurs, prenant le relais des décideurs, sont formellement mandatés en vue de réaliser ou de faire réaliser le programme d’actions que renferme la politique. Elle suppose nécessairement une mobilisation d’acteurs, de ressources matérielles et financières, de connaissances et de pouvoir. Elle suppose également un travail d’interprétation de la politique et de son contenu par les acteurs, une confrontation entre les états de système désirés et les contraintes objectives de couplage de la politique et des pratiques en vigueur dans le secteur institutionnel visé par la politique. Notons qu’au sens strict, l’implantation d’une politique ne correspond pas à l’évaluation de la politique, même si, concrètement, ces deux étapes sont parfois jumelées ou imbriquées l’une dans l’autre (Lessard et al., 2008).

En tant que processus de mise en œuvre d’une politique éducative, l’implantation est souvent caractérisée par un certain nombre d’actions comme « des modifications, des allers- retours, des clarifications, des redéfinitions, des abandons partiels ou temporaires, des ajouts ou des greffes, ainsi que des négociations entre les instances qui ont formulé la politique et les acteurs censés l’appliquer » (Lessard, 2010, p. 162).

Différentes approches et stratégies gouvernementales sont proposées afin de rendre le processus d’implantation concret. Celles-ci seront exposées dans ce qui suit. Trois approches semblent avoir dominé les politiques éducatives, en général, et les réformes curriculaires, en particulier. Il s’agit de :

a) L’approche top-down (la centralisation). L’approche « descendante » a émergé vers la fin des années 1960 et au début des années 1970. Elle étudie la mise en œuvre en partant de la perspective de ceux qui conçoivent ou élaborent les politiques (Matland, 1995 dans Carpentier, 2010). La mise en œuvre représente une étape distincte de celle de la conception et de la formulation de la politique. Dans une approche top-down, elle peut être définie comme un processus hiérarchisé qui renvoie à l’application de décisions découlant d’une autorité centrale « le concepteur de politiques détermine centralement comment se fera la mise en œuvre qui sera réalisée par des metteurs en œuvre » (Lazin, 1995, dans Carpentier, 2012).

Les principales stratégies que l’approche top Down propose afin de réussir la mise en œuvre d’une politique et/ou d’une réforme éducative sont :

1) formuler centralement les objectifs; 2) définir clairement les buts, les moyens et les procédures; 3) anticiper un résultat mesurable de manière à pouvoir évaluer l’atteinte des objectifs; 4) laisser peu d’autorité discrétionnaire et aucune liberté d’action aux exécutants qui doivent mettre en œuvre les instructions en conformité avec les objectifs fixés et les indications données par le décideur; 5) communiquer l’information de manière descendante sous la forme d’interactions spécifiques détaillées, de procédures opérationnelles, de programmes d’activité; 6) utiliser des

stimulants et des sanctions. (Elmore, 1982; Meny et Thoenig, 1989; Lazin, 1995 dans Carpentier, 2012, p. 16)

Qualifiée de rationnelle, unidirectionnelle et technique, l’approche top Down a fait l’objet de nombreuses critiques (Sabatier, 1986; Matland, 1995; Fullan, 2007, dans Carpentier, 2010). L’élément central des reproches qui lui ont été adressés fait référence au fait que privilégier la perspective des décideurs amène à la négligence des acteurs qui facilitent, modifient ou contrecarrent la politique. Cette approche ne respectait donc pas l’autonomie professionnelle des acteurs visés par le changement. Le terme implantation ratée, marqua ainsi son apparition dans le vocabulaire des réformes (Carpentier, 2012).

b) L’approche bottom-up (la décentralisation). L’approche bottom-up est apparue à la fin des années 1970 et au début des années 1980 en tant que solution alternative à l’échec de l’approche top-down. Le point de départ de l’analyse dans cette approche est la perspective, ou l’opinion, du groupe cible et des acteurs de terrain. Dès lors, il s’agit d’orienter l’attention vers les individus au bas de la pyramide, puisque ces derniers jouent, inévitablement, un rôle actif et exercent une influence en apportant des modifications à la politique (Linder et Peters, 1987; Fitz, Halpin et Power 1994 dans Carpentier, 2010). Elle propose aux décideurs de formuler une politique simple servant d’outil d’information, de laisser de la flexibilité et de la discrétion aux intervenants locaux dans les choix des stratégies de mise en œuvre et de mettre l’accent principalement sur les ressources pour soutenir les milieux (Carpentier, 2012; 2010). Elle correspond au transfert de responsabilités en matière de planification, management,

financement et allocation des ressources, du gouvernement central vers les acteurs et/ou des unités locales subnationales publiques (Mons, 2007; 2004).

La documentation scientifique distingue, généralement, entre trois formes de décentralisation (Mons, 2007; 2004). Ces formes diffèrent en fonction du degré d’autonomie des unités subnationales par rapport au gouvernement central : la décentration - selon cette forme le

transfert de responsabilités se fait au profit d’unités locales qui demeurent sous l’autorité du gouvernement central; la délégation - c’est le transfert de responsabilités vers des unités

subnationales ou vers des unités publiques n’appartenant pas au Ministère de l’Éducation, mais dont les pouvoirs sont clairement contrôlés et encadrés par l’autorité centrale; et la dévolution - consiste au transfert des responsabilités qui se fait en faveur d’unités subnationales,

indépendantes du Ministère de l’Éducation et bénéficiant d’une large autonomie de décision, accordée souvent de façon pérenne (Ibid.,).

Carpentier (2010) souligne qu’un grand nombre de chercheurs comme Holmes, Leithwood et Musella (1989), Gather Thurler (2000) et Elmore (2004) ont signalé différents problèmes liés aux réformes réalisées et implantées par la base comme le manque de coordination, les changements constants et superficiels, le manque de temps, l’absence de visée et de pression, la variation dans les efforts, le faible niveau d’efficacité, un faible impact sur l’instruction ou l’apprentissage des apprenants. Cette approche n’apporte donc pas toujours les résultats escomptés et a fait l’objet, comme sa précédente, de critiques (Carpentier, 2012; 2010).

Ainsi, il apparaît clairement que les stratégies de centralisation et de décentralisation ne fonctionnent pas pleinement lorsqu’elles sont utilisées séparément (Datnow, Hubbard et Mehan, 1998; Fullan, 2007, dans Carpentier, 2012; 2010). En effet, la centralisation a tendance à entraîner

un contrôle excessif. Les stratégies décentralisatrices échouent, à leur tour, car les acteurs, seuls, ne parviennent pas à fonctionner efficacement (Carpentier, 2012; 2010).

c) L’approche hybride. Cette dernière génération d’approches d’implantation est apparue à la fin des années 1980 et des années 1990. L’hybridation implique des allers-retours entre l’élaboration et l’implantation, entre la politique et la pratique, et des boucles de rétroaction efficaces. Elle est facilitée par un pilotage négocié du changement (Perrenoud, 1999 dans Lessard et al., 2008). Elle est caractérisée par quatre dimensions centrales à savoir :

- La bidirectionnalité. Cette dimension conjugue centralisation et décentralisation. Dès lors,

la mise en œuvre apparaît comme un continuum dans lequel un processus interactif de négociation prend place progressivement, entre ceux qui cherchent à formuler la politique et ceux de qui dépend l’action (Carpentier, 2012; 2010).

- La zone de pouvoir et de marchandage. Cette zone est créée par la rencontre de deux

mouvements forts et opposés : la centralisation et la décentralisation (Younis, 1990 dans Carpentier, 2012, 2010). Le processus d’implantation est, effectivement, une action d’interaction et de négociation entre les acteurs responsables de créer et de formuler le changement et ceux qui sont chargés de l’implanter (Ibid.,).

- L’évolution. Cette dimension est conséquence des deux dimensions précédentes. Une

politique est continuellement changeante, elle évolue, tout comme l’implantation qui est, à son tour, inévitablement reformulée tout au long du processus (Ibid.,).

- La prise en considération du contexte. Les résultats d’une politique et l’efficacité des

stratégies d’implantation dépendent grandement de l’interaction entre les stratégies et les contraintes liées à la situation politique. Les acteurs mandatés pour formuler les politiques sont appelés à choisir des stratégies d’implantation qui conviennent à la situation contingente. Cet élément du contexte est subdivisé en quelques facteurs, dont le besoin, la clarté, la complexité et la qualité/côté pratique du changement (Carpentier, 2012, 2010).

Notons, à l’issue de tout ce qui précède, qu’au moment de l’implantation du système LMD en Tunisie, le pouvoir politique avait la mainmise sur presque tous les secteurs publics. Les politiques éducatives nationales émanaient donc, exclusivement, de la présidence de la république et/ou des structures qui la représentent. La formation à l’enseignement de l’ÉPS, comme formation universitaire, n’a pas échappé à ce mode de fonctionnement. En effet, les grandes orientations étaient, généralement, acheminées et/ou fixées par les ministères responsables de la formation (le Ministère de l’Enseignement supérieur, de la recherche scientifique et de la technologie et le Ministère de la Jeunesse, des sports et de l’éducation physique). Elles étaient donc fortement centralisées. Cette centralisation s’est traduite par une forte concentration des pouvoirs de décision, une marge de manœuvre réduite des institutions supérieures de sport et de l’ÉPS, une faible implication voire même une absence et/ou une marginalisation des acteurs de terrain dans l’analyse des besoins et les prises de décisions. Partant de là, nous supposons que la mise en place du nouveau modèle de formation a reposé sur une approche centralisée top Down.

Considérées parmi les politiques éducatives les plus influentes, les réformes curriculaires interviennent dans presque tous les aspects de vie de l’individu et de la société. Beillerot et Collette

(2003) affirment, en ce sens, que le caractère transsectoriel de l’éducation fait que toute politique publique, toute réforme, affecte plusieurs domaines de la vie sociale, mais aussi interfère avec certaines des politiques familiales, culturelles, économiques, d’emploi, sociales, de la santé, de la justice. Compte tenu de son importance, nous mettrons l’accent, dans ce qui suit, sur la notion de réforme du curriculum. Mentionnons, dans cette perspective que, l’émergence à l’échelle internationale d’une société postindustrielle, dans laquelle l’innovation constitue un facteur-clé de développement social et économique, implique un changement de paradigme qui remet en cause les pratiques antérieures et/ou traditionnelles d’enseignement et de formation (Rogiers, Miled, Ratziu, Letor, Étienne, Hubert et Dali, 2012). Ainsi, aussi bien en Europe qu’en Amérique du Nord, et partout ailleurs dans le monde, les systèmes d’éducation connaissent, depuis à peu près dix ans, une série de transformations considérables sur le plan des organisations et des acteurs que des idéologies et des pratiques en vigueur. Ces transformations sont, globalement, orientées par la nécessité de mieux arrimer la scolarisation et les besoins nouveaux des sociétés en mutation (Carbonneau et Tardif, 2002). Dans leur analyse de ce mouvement de réformes, Jonnaert, Lafortune et Ettayebi (2007), confirment les propos de Braslavsky (2001) et soutiennent que cette mouvance s’appuie sur différentes assises à savoir : logique de compétences; perspective socioconstructiviste; centration sur les apprenants; et importance accrue sur les situations de formation (Charland, Daviau, Simbagoye et Cyr, 2012). Mais l’un des principaux vecteurs de ces réformes reste, sans doute, l’idée de professionnalisation de l’enseignement et, par conséquent, de la formation à l’enseignement (Carbonneau et Tardif, 2002).