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SYNTHESE DE LA DISCUSSION ET CONCLUSION

La présente étude sur les représentations maternelles à la préadolescence, évaluées au moyen des échelles bipolaires de l’Entretien « R » (version F-3.95, Robert-Tissot et al.,1995), porte sur les questionnaires thématiques concernant les représentations que les mères se font de leurs préadolescents, des affects qu’elles éprouvent à leur égard, et des représentations qu’elles ont d’elles-mêmes en tant que personnes ou en tant que mères.

Après avoir procédé aux compositions et aux transformations nécessaires aux analyses, les variables, qui correspondent d’une part à des aspects de la représentation maternelle du jeune (personnalité et affect) et d’autre part à des aspects de la représentation que chaque mère a d’elle-même (comme personne et comme mère), ont montré des corrélations (très) significatives. Ceci tend à appuyer l’existence de liens entre les différents aspects de la représentation d’un même objet, selon les modèles en réseaux sémantiques. Cette représentation sémantique préconsciente-consciente serait sous-tendue par une représentation plus inpréconsciente-consciente, une représentation globalement cohérente de l’objet qui se ferait jour chez la mère et qui résulterait de son histoire personnelle et de ses expériences vécues en relation avec l’objet. Ce processus de représentation est qualifié par Golse (1985,1993,1995) de « double ancrage corporel et relationnel ». Cet objet de représentation peut être l’enfant ou la mère elle-même, auquel cas la cohérence de la représentation qu’elle se fait d’elle-même reposerait alors sur celle de son identité propre. Néanmoins la variabilité de la significativité des corrélations tendrait à indiquer que les évaluations des différents aspects des représentations maternelles prendraient aussi en compte certaines autres représentations, plus ou moins inconscientes, relatives aussi bien aux représentations sociales qu’aux représentations identitaires. Leur influence respective prendrait un poids différent selon l’objet de représentation ou l’aspect de la représentation concerné, de sorte que la variabilité des facteurs en jeu aboutirait à une adéquation variable des différents aspects d’une représentation entre eux, ce qui entraîne la variabilité de la significativité des corrélations observées.

Certains facteurs sont susceptibles d’être associés aux résultats constatés pour les représentations maternelles à la préadolescence. Nous rappelons les effets principaux mis en évidence.

L’amélioration des symptômes de l’enfant et des interactions au sein de la dyade durant la petite enfance a une influence significative sur les représentations que les mères se font d’elles-mêmes à la préadolescence de leur enfant, et à titre de tendance sur les représentations qu’elles ont de leurs préadolescents et des affects qu’elles éprouvent à leur égard. Ces résultats viennent confirmer et poursuivre les résultats mentionnés par Robert-Tissot et ses collègues (1996) puisque c’est

précisément sur ces mêmes thèmes que des changements significatifs avaient été trouvés comme effets des thérapies mère-bébé. Ces résultats semblent aussi confirmer l’hypothèse selon laquelle l’amélioration des interactions mère-bébé aurait tendance à se maintenir grâce aux changements des représentations maternelles suite à la thérapie.

Le diagnostic DSM-IV à la préadolescence a, quant à lui, une influence significative sur les représentations que les mères ont de leurs préadolescents. On peut penser que ces diagnostics s’accompagnent de comportements, d’interactions et d’interrelations dysfonctionnels qui sont nécessairement ressentis par les mères et se répercutent sur les représentations qu’elles se font de leurs préadolescents.

Le facteur du sexe de l’enfant ne montre aucune influence significative sur les représentations maternelles quel que soit le thème investigué. Néanmoins, il semble avoir des effets en interaction avec chacun des autres facteurs, par exemple les mères semblent avoir des représentations d’elles-mêmes comme personnes plus favorables quand l’enfant est un garçon et que la famille est intacte, ou, quand l’enfant est une fille et que la famille est dissociée. Aussi nous avons fait l’hypothèse que l’influence du sexe, la différence entre filles et garçons, est toujours contextualisée. Le sexe de l’enfant serait un aspect de la représentation qui se retrouverait au niveau des éléments du noyau que Abric (1994) a qualifiés de fonctionnels parce qu’ils déterminent et organisent les conduites, en l’occurrence celles des mères envers leurs enfants, et ceci en accord avec l’importance que le sexe de l’enfant a sur les pratiques éducatives. Enfin, les facteurs de la situation et du niveau socio-économique de la famille montrent une influence significative sur les représentations maternelles du préadolescent. Ces dernières prennent des valeurs plus élevées quand la famille est intacte ou quand le niveau socio-économique est élevé. Nous avons émis l’hypothèse que les mères, qui vivent en couples et se sentent épaulées ou qui ont une bonne situation socio-économique (que la famille soit intacte ou dissociée), se sentiraient moins stressées et plus à même de faire face aux difficultés que présentent leurs enfants de telle sorte que la coloration affective dominante du sentiment qu’elles éprouvent à leur égard resterait plus positive.

Les représentations de soi des préadolescents ont été évaluées au moyen d’une version adaptée de l’Entretien « R » (version F-4.98, Robert-Tissot et al., 1998) dans laquelle ils se sont décrits au moyen d’une liste de descripteurs, identiques à ceux que leurs mères ont utilisés à la petite enfance et à la préadolescence pour les décrire.

Les corrélations entre les représentations maternelles du préadolescent et les représentations que le préadolescent a de lui-même montrent une grande variabilité, mais tendent à être plus élevées quand la situation familiale est intacte ou quand le niveau socio-économique est élevé. Ceci peut s’expliquer par une plus grande disponibilité des mères pour leurs enfants qui se traduirait par une

augmentation des échanges et un rapprochement des points de vue, des représentations de soi, d’autrui et du monde en général. Par ailleurs, les effets d’interaction des facteurs de l’amélioration à la petite enfance et du diagnostic DSM-IV à la préadolescence tendent à montrer que les corrélations des dyades sont plus élevées dans le cas où il y a eu une amélioration en l’absence de diagnostic à la préadolescence, et également, dans le cas où il n’y a pas eu d’amélioration en présence d’un diagnostic à la préadolescence. Ceci montre que ce n’est pas tant la congruence entre les représentations maternelles du préadolescent et les représentations que le préadolescent a de lui-même qui serait liée à la santé ou à la pathologie, que la nature de ces représentations. C’est plutôt leur valence positive ou négative, leur aspect qualitatif qui semblerait avoir ici une influence déterminante.

Une analyse typologique sur ces mêmes corrélations ne nous a pas permis de dégager des profils particuliers, en fonction des différents facteurs investigués qu’ils soient pris séparément ou en association, contrairement à nos attentes.

Les comparaisons intra-individuelles concernant les représentations que les mères avaient d’elles-mêmes ou de leurs enfants à la petite enfance et à la préadolescence ont été rendues possibles par l’utilisation du même instrument aux Phases 1 (Outcome) et 2 de l’étude (Follow-Up).

Ces comparaisons ont montré une grande stabilité des représentations maternelles au cours du temps et avec un intervalle de dix ans, sur l’ensemble des thèmes investigués. Individuellement, les graphiques attestent que certaines mères tendent à montrer des changements dans l’évaluation des différents thèmes entre la petite enfance et la préadolescence. Cependant la somme de ces changements fait qu’ils s’annulent mutuellement et résultent globalement en une grande stabilité des représentations maternelles.

Selon notre première hypothèse H1, la persévération de problèmes chez l’enfant (absence d’amélioration à la petite enfance et présence d’un diagnostic à la préadolescence) devait s’accompagner d’une absence de changement des représentations maternelles. La grande stabilité des représentations maternelles, qui est le résultat majeur de cette recherche, permet de confirmer cette hypothèse.

Par contre, nos hypothèses H2 et H3, qui prévoyaient des changements des représentations maternelles, n’ont pas été confirmées. En effet, la présence d’une amélioration à la petite enfance et l’absence de diagnostic à la préadolescence ne s’accompagnent pas d’un changement des représentations maternelles, contrairement à ce que prévoyait notre hypothèse H2. Par ailleurs, les mères, dont les dyades avaient le mieux bénéficié des thérapies mère-bébé (amélioration des interactions et des symptômes de l’enfant à la petite enfance), n’ont pas montré de changements

significatifs de leurs représentations de la petite enfance à la préadolescence, contrairement à ce que supposait notre hypothèse H3.

Néanmoins, les profils des représentations maternelles des différents sous-groupes de mères à la petite enfance permettent de dégager un facteur de protection. Celui-ci résiderait dans la conjonction de représentations particulièrement favorables chez la mère concernant l’indépendance / dépendance de son enfant, l’affect positif à son égard, elle-même comme personne et comme mère. Le fait que ce soit en partie les mêmes représentations maternelles qui avaient montré un changement favorable suite à la thérapie brève mère-bébé, atteste que les interventions précoces peuvent avoir une influence positive sur l’évaluation symptomatologique du préadolescent. Mais, comme par ailleurs, la grande majorité des préadolescents pour lesquels il y avait eu une amélioration des symptômes et interactions au sein de la dyade à la petite enfance, font l’objet d’un diagnostic (16 sur 23 pour notre population), il apparaîtrait que le processus thérapeutique et l’amélioration qui en découle ne seraient pas la source principale de ces représentations maternelles particulièrement favorables qui semblent constituer un facteur de protection. Il est possible que ces représentations soient intrinsèquement liées à la structure de personnalité de la mère et à ses modèles internes d’attachement.

Pour aller plus loin, il nous faudrait examiner les valeurs des représentations maternelles des différents groupes avant la thérapie (Phase 1) pour savoir si les mêmes mères présentaient déjà ces représentations particulièrement favorables par rapport à celles de la population entière. Ensuite il nous faudrait aussi examiner les valeurs des représentations du groupe de mères qui n’a pas fait ici l’objet d’une hypothèse de recherche, à savoir les mères dont les dyades n’ont pas montré d’amélioration des interactions et des symptômes à la petite enfance, et dont l’enfant n’a pas fait l’objet d’un diagnostic à la préadolescence. Dans ce cas, est-ce qu’on retrouve la conjonction de représentations particulièrement favorables à la petite enfance, par rapport à celles de la population, à laquelle une valeur de facteur de protection semble pouvoir être attribuée ?

Comme nous l’avons vu précédemment, l’évaluation symptomatologique des préadolescents s’est faite à partir du DSM-IV et du CGAS, instruments validés et communément utilisés dans les recherches épidémiologiques. L’évaluation catégorielle faite par le clinicien au moyen du DSM-IV (axes I et V) est complétée par une évaluation dimensionnelle au moyen du CGAS (Children Global Assesment Scale, Schaffer et al., 1983) qui permet de situer sur une échelle de 0 à 100 la qualité du fonctionnement global du jeune dans les différents domaines de vie. Un score supérieur à 70 correspond à un fonctionnement dans la normale et un score inférieur à 30 correspond à un

fonctionnement très altéré. Il faut souligner le fait que si 68% des préadolescents présentent un diagnostic (contre environ 20% dans les recherches épidémiologiques pour les enfants de 11 ans), il ne s’agit pas de diagnostics sévères (absence de trouble grave de la personnalité, de psychose infantile ; majorité de troubles anxieux). On observe moins de 10% de troubles du comportement, et aucune différence notable n’a été trouvée entre les filles et les garçons du point de vue du diagnostic. La moyenne au GCAS est supérieure à 70, et 85% des préadolescents sont dans leur classe d’âge et suivent normalement à l’école. Ces éléments nuancent l’impression négative donnée par le taux élevé de diagnostics. Aussi il pourrait être fructueux de reprendre chaque cas pour voir s’il existe une correspondance entre la légèreté de la symptomatologie du préadolescent et la présence de représentations maternelles particulièrement favorables par rapport à celles de la population à la petite enfance, et de poursuivre les investigations sur ce facteur de protection.

Nos hypothèses s’appuyaient fortement sur le point de vue de cliniciens tels que Stern (1988, 1989), Cramer (1988, 1993) et Palacio Espasa (1993) qui mettent les changements fonctionnels ou comportementaux intervenant chez l’enfant au cours des thérapies mère-bébé au compte des changements intervenus dans les représentations maternelles. Ces changements dans les représentations maternelles ne consisteraient d’ailleurs pas à substituer une représentation par une autre, mais plutôt à la remise en marche chez la mère d’un système dynamique de représentations qui interviendrait avec la maturité maternelle, c’est-à-dire avec le fait que la mère soit dégagée de conflits psychiques qui venaient interférer dans la relation mère-enfant. En reprenant à notre compte cette conception d’un système dynamique de représentation chez la mère, suite au processus thérapeutique, qui ferait preuve de capacité d’adaptation et de plasticité pour répondre aux besoins de son enfant dans la continuité de son développement et de l’environnement en général, nous nous attendions à trouver des changements notoires à la préadolescence dans les représentations des mères pour lesquelles il y avait eu une amélioration des interactions et des symptômes de l’enfant à la petite enfance. Cette amélioration venait attester que quelque chose s’était dégrippé dans la relation mère-enfant, et au-delà dans le système de représentation chez la mère, et ce d’autant mieux que le résultat à la préadolescence était l’absence de symptôme chez le jeune. L’étude de Robert-Tissot et ses collègues (1996) semble aller dans ce sens puisqu’elle met en évidence des changements dans les représentations maternelles sur certains descripteurs entre les Evaluations 1 et 2 (avant et une semaine après la thérapie) de la Phase 1 qui se maintenaient à l’Evaluation 3 (six mois après la thérapie). Pourtant, le résultat principal de la présente recherche est qu’il y a une grande stabilité des représentations maternelles au cours du temps et avec un intervalle de dix ans sur l’ensemble des thèmes investigués. En dehors du fait, que nos comparaisons intra-individuelles des représentations maternelles prennent en compte uniquement les mesures après la thérapie

(Evaluations 2 une semaine après et FU environ dix ans plus tard), il nous semble intéressant de souligner que les deux méthodes d’analyse, l’une considérant séparément chaque descripteur et l’autre des moyennes pondérées de descripteurs pour chaque thème de représentation investigué, pourraient toucher à des aspects différents et complémentaires de la représentation. L’analyse par descripteurs investiguerait les changements intervenus au niveau des éléments périphériques, plus susceptibles de changer sous la pression de l’environnement. Tandis que l’analyse par moyennes pondérées de descripteurs pour chaque thème investiguerait les changements intervenus au niveau des éléments centraux du noyau, beaucoup plus stables et difficiles à modifier chez une même personne (Flament 1987, Abric 1994). Cette hypothèse n’oblige pas à remettre en cause les impressions des cliniciens concernant les changements des représentations maternelles intervenant dans la thérapie grâce à la remise en marche d’un système dynamique de représentation, mais elle rend davantage compte de la complexité que dissimule le terme galvaudé de représentation.

La première critique porte évidemment sur le nombre insuffisant de sujets qui n’a pas permis de se livrer ici à des analyses inférentielles pour évaluer les effets d’interaction des facteurs. La seconde porte sur la difficulté inhérente à l’étude d’un groupe « clinique » qui n’offre pas les meilleures conditions d’analyse, ne pouvant être planifié suivant un plan expérimental, certaines conditions étaient vides. Ensuite nous nous sommes longtemps interrogés sur un possible biais présenté par les mères qui répondaient à l’Entretien « R ». Nous nous sommes demandés s’il n’y avait pas des

« patterns » dans la manière de poser une croix sur les échelles bipolaires. Il nous a semblé que certaines mères avaient tendance à n’utiliser que les extrêmes, alors que d’autres utilisaient toute la longueur des échelles pour répondre. Outre le risque d’effets « plafond » ou « plancher » pour certains descripteurs, en particulier pour des représentations sujettes aux stéréotypes, les mesures s’éloignaient beaucoup de la distribution normale et limitaient ainsi la portée des analyses et leur validité. Même après la transformation et la composition des mesures en variables, l’hypothèse de circularité, homogénéité des variances des différentes conditions, n’étant pas vérifiée, les résultats des analyses sont restés sujets à caution. Enfin, le fait de ne pas pouvoir procéder à des analyses multivariées et d’être obligé de procéder à des analyses « indépendantes » a fortement augmenté le risque d’erreur de première espèce. Bien que nous ayons essayé de minimiser le nombre de tests à faire, ce problème a néanmoins persisté, et il est probable que certains effets trouvés significatifs ne l’étaient finalement pas. Néanmoins, si nous avions dû faire encore davantage de tests, le risque d’erreur aurait été encore plus grand.