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Les modèles en réseaux propositionnels

2. REVUE DE LA LITTERATURE

2.3. Les représentations en psychologie cognitive

2.3.2. Les modèles d’organisation des représentations chez l’adulte

2.3.2.2. Les modèles en réseaux propositionnels

Généralement la signification d’une situation n’est pas véhiculée par des mots isolés, mais par une phrase ou un texte. Les théories propositionnelles de la représentation des connaissances de Kintsch (1974, 1972-1982) visent à modéliser comment nous nous représentons le sens quelle que soit la complexité du matériel linguistique. Une proposition est une représentation de sens qui peut être stockée et récupérée en mémoire à long terme. C’est la plus petite unité de signification représentant la ou les relations entre concepts et dont il est possible de dire qu’elle est vraie ou fausse. A partir de la théorie linguistique de la grammaire des cas (Fillmore, 1968), Kintsch définit le rôle sémantique de chacun des éléments d’une phrase. Ces rôles servent à définir les relations entre les concepts dans une proposition, à étiqueter les statuts des concepts dans une représentation propositionnelle en tant qu’agent ou acteur, instrument, lieu, temps, etc. Une représentation propositionnelle comporte un nœud central représentant la phrase entière relié à plusieurs autres nœuds représentant les concepts, les liens associatifs reliant les nœuds des concepts précisant le statut de chaque concept et la relation entre les différents concepts de la phrase. La théorie propositionnelle utilise le même postulat que les théories en réseaux sémantiques : l’activation diffusante gouverne la récupération de l’information sémantique. La présentation d’un concept entraîne son activation qui se répand aux autres nœuds dans le réseau. L’activation des différents

nœuds conceptuels et de leurs relations converge alors vers le nœud central et la phrase prend sens.

Les représentations propositionnelles peuvent prendre des formes verbales ou des formes imagées en diagrammes. Plusieurs propositions peuvent ainsi former un réseau de propositions pour représenter la signification de plusieurs phrases. C’est pourquoi elles peuvent permettre de représenter la signification d’un énoncé ou d’un groupe d’énoncés, c’est-à-dire l’information sémantique contenue dans de larges unités linguistiques comme un paragraphe ou un texte. Les réseaux de propositions fournissent ainsi une représentation d’ensemble des informations, de leur agencement et des liens entre ces informations. L’observation, dans des tâches de rappel, qu’avec le temps nous retenons davantage le sens d’un énoncé que sa formulation (Sachs, 1967), est interprétée par Kintsch et ses collaborateurs (1978), à l’appui de leur modèle, comme une confirmation de ce que les sujets extraient bien les structures propositionnelles d’un énoncé puisque c’est justement ce qu’ils en retiennent et récupèrent, plutôt que les formes de surface. De plus, en répliquant les données de Sachs, Gernsbacher (1985) montre que le passage d’une représentation de surface à une représentation propositionnelle se fait dès le moment de l’encodage du matériel linguistique. Les informations de surface sont perdues au moment où nous passons de la construction d’une représentation propositionnelle relative à un énoncé à la construction d’une autre représentation propositionnelle relative à un autre énoncé. Le changement de structure propositionnelle nous fait perdre les informations de surface au profit de la signification. Par ailleurs, Ratcliff et McKoon (1978) montrent dans une tâche de reconnaissance qu’un amorçage intra-proposition est plus efficient qu’un amorçage inter-propositions. Leur interprétation, qui va encore à l’appui des théories propositionnelles, est que les concepts stockés dans le même réseau propositionnel ont un effet de facilitation entre eux plus important que ceux stockés dans des réseaux propositionnels différents même s’ils apparaissent dans le même passage de l’énoncé.

Les modèles précédents prennent en compte les objets, concepts ou phrases comme unités de base pour étudier comment sont organisées les représentations en mémoire à long terme. Or l’expérience quotidienne nous montre que nous stockons aussi des connaissances relatives aux événements sociaux (fêtes, anniversaire, mariage, etc). Ces événements, intégrés par tout un chacun, comprennent des sous-événements qui s’enchaînent toujours dans le même ordre et qui présentent certaines caractéristiques spécifiques. Schank et Abelson (1977) ont proposé une théorie de l’organisation des représentations en mémoire sémantique qui rend compte de ce type d’unité par la notion de « schéma ». Une représentation schématique est une représentation d’ensemble des connaissances stockées en mémoire relatives à des objets, concepts ou événements. Plus précisément, on parle de « catégories » lorsqu’il s’agit d’objets ou de concepts, et de « scripts » pour des événements. Le script est défini comme une représentation en mémoire des informations sémantiques et épisodiques, sous forme d’une structure générale de connaissances relatives à un

épisode qui guide notre compréhension et notre mémorisation de ces épisodes ou situations. C’est une représentation mentale de « ce qui devrait se passer » dans une situation particulière comme par exemple « aller au restaurant ». Le script mental relatif à un événement contient ce à quoi nous devons nous attendre, l’ordre dans lequel les sous-événements ont lieu, certaines fonctions sociales remplies par des personnes, et ce qui est attendu de faire à tel ou tel moment. Il s’agit donc d’une connaissance généralisée dans la mesure où elle ne fait pas référence, au moins chez l’adulte à une situation particulière, mais reste valide pour un ensemble de situations. Cette connaissance nous permet de comprendre ce qui se passe dans la situation au moment où cela se passe. Elle permet de rendre compte du fait qu’en général, on en sait plus sur des concepts ou des événements que la signification minimale d’une définition. L’idée est qu’on stocke en mémoire une représentation généralisée des événements dont on fait l’expérience. Cette représentation est activée lorsqu’une nouvelle situation analogue est vécue. Elle fournit un cadre interprétatif des situations dans lesquelles de nouvelles expériences peuvent être comprises et vécues. Ainsi par exemple pour le script d’aller au restaurant, Schank et Abelson avancent qu’en tant qu’adultes, nous avons fait plusieurs fois l’expérience d’aller au restaurant ce qui nous a permis d’extraire une structure générale valide indépendamment de tel restaurant particulier. Dans la narration l’activation de scripts permet aussi de ne pas avoir à raconter tous les événements considérés comme acquis. A ce propos Schank et Abelson précisent les mécanismes de mobilisation d’un script : le titre ou des éléments de l’histoire activent le script approprié, dés lors les sous-événements faisant aussi partie du script sont activés même s’ils ne sont pas explicitement mentionnés. Avec pour conséquence que les autres parties de l’histoire sont maintenant interprétées en référence aux événements du script activé. Parallèlement, Bower et ses collaborateurs (1979) mettent en évidence l’existence psychologique des scripts et leur impact dans certaines tâches cognitives. Ils demandent à des sujets d’apprendre des histoires dans lesquelles on retrouve, pas tous mais certains, des événements typiques d’un script dans l’ordre attendu ou pas. Leur tâche consiste ensuite à les rappeler ou à reconnaître si certains énoncés d’événements étaient présents ou non dans l’histoire. Les résultats montrent que la plupart des sujets se rappellent ou reconnaissent des événements présentés dans l’histoire, mais aussi des événements typiques des scripts qui n’étaient pas présents dans l’histoire, en les remettant dans l’ordre du script. Les nouveaux événements sont donc encodés avec des schémas généraux, et le rappel de ces événements est lui aussi guidé par ces schémas.

Sous l’influence de ces nouvelles conceptualisations de modèles de situations, Kintsch (1983) adopte une nouvelle approche où il substitue à la notion de proposition celle de schéma propositionnel. Chaque phrase du texte est ainsi traduite non plus en une liste de propositions, mais en un schéma propositionnel. Ce schéma prend en considération la structure interne de la phrase, en particulier la nature du prédicat, les rôles sémantiques des arguments, les circonstances de lieu et de

temps. Il consiste en une organisation hiérarchisée de propositions « atomiques » qui compose la représentation typique d’un événement. Les phrases individuelles et leurs relations immédiates constituent alors un ensemble cohérent et hiérarchisé de schémas propositionnels . A partir de cet ensemble il est possible de dériver la signification du texte considéré comme un tout. Ensemble cohérent de significations locales et signification globale du texte ne résultent pas de l’application de règles formelles, mais de la mise en œuvre de stratégies. Celles-ci sont flexibles et guidées par des propriétés syntaxiques, sémantiques et pragmatiques, ainsi que par le fonctionnement cognitif du sujet, ses connaissances, ses croyances, ses buts, ses intérêts. Le contexte socioculturel a aussi une influence sur la compréhension du texte.

En définitive, la représentation schématique est plus élaborée que la représentation propositionnelle, car en intégrant les connaissances, personnelles et générales, mises en œuvre par le sujet quand il écoute une histoire ou lit un texte, elle permet de rendre compte de nombreux phénomènes de compréhension qui dépassent la situation présente.

A partir d’une théorie appelée « mémoire associative humaine » élaborée en association avec Bower, Anderson (& al. 1998) propose une théorie computationnelle générale de contrôle adaptatif de la pensée (Adaptative Control of Thought ACT) qui vise à systématiser les idées relatives aux représentations propositionnelles et schématiques. L’hypothèse fondamentale est qu’il est possible de rendre compte de la cognition en considérant le système cognitif comme un système de traitement d’informations symboliques. L’architecture cognitive selon Anderson comprend la mémoire de travail et la mémoire à long terme. La MDT stocke le résultat de produits intermédiaires et les traces des informations temporairement activées, encode les informations provenant du monde externe. Parfois elle est présentée comme la partie de la MLT qui est activée.

La MLT est constituée de la mémoire procédurale et de la mémoire déclarative. Dans cette dernière instance sont stockées les informations relatives à la fois aux connaissances générales encyclopédiques et aux souvenirs personnels (sans distinction entre mémoire sémantique et mémoire épisodique), sous forme de chunks qui constituent des réseaux propositionnels. La force des liens associatifs entre les nœuds des réseaux varie en fonction de la fréquence de co-occurrence des concepts. L’activation d’un nœud se répand aux nœuds auxquels il est associé, avec la limite que plus il y a de liens activés en même temps, moins chaque lien véhicule d’activation (effet de fan). La mémoire procédurale stocke les connaissances relatives à la manière de faire quelque chose, aussi elle est la mémoire des actes moteurs ou mentaux, des productions. Les symboles (mots, images, propositions) sont ainsi pris comme unités de base de la cognition sous forme de chunks et les processus opèrent grâce à des règles de production pour les stocker, récupérer, combiner afin d’accomplir des buts. Une règle de production est du type « si...alors » (condition...action). Ces deux éléments, chunk et règle de production, sont les « composants

atomiques de la pensée ». Le système cognitif opère en comparant le contenu de la mémoire de travail et la partie « si » de la règle de production. Si les deux sont appariées, l’action est déclenchée. Si l’information présente en mémoire de travail s’accorde avec les parties « si » de plusieurs productions, le système déclenche alors une stratégie de résolution de conflit qui consiste à exécuter la règle pour laquelle l’appariement est le meilleur. L’action n’a pas besoin d’être une action motrice, elle peut aussi être une action mentale plus ou moins complexe. L’ACT se veut une théorie unifiée de la cognition qui vise à rendre compte d’un nombre maximum de phénomènes cognitifs avec un nombre minimum de règles, postulats ou principes. Les mécanismes généraux qui gouvernent le fonctionnement cognitif, doivent ainsi se retrouver à la base de la plupart des activités aussi diverses que le langage, l’arithmétique, la logique, la musique, etc. L’ACT emprunte le formalisme d’un système de production pour modéliser la cognition, un autre formalisme est le connexionnisme que nous allons voir maintenant comme dernier type de modèle de l’organisation des représentations en psychologie cognitive.