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Synthèse sur l’environnement et son évolution

M. Boulen, S. Coubray, L. Deschodt, M.-F. Dietsch-Sellami, K. Fechner, P. Ponel, I. Praud

Les échantillons qui ont servi aux études paléoenvironnementales ont été pré-levés dans un périmètre restreint, situé à l’ouest de l’habitat néolithique (fig. 4 et 31). Ils concernent des couches et des séquences bien calées chronologique-ment par du matériel archéologique, des datations radiocarbones et dendro-chronologiques.

Si chaque discipline apporte ses propres informations, l’ensemble des études réalisées présente des résultats convergents qui permettent de dresser une image du contexte environnemental et de sa dynamique (fig. III).

À la suite à l’incision du méandre en contexte périglaciaire, les premiers dépôts se composent d’un sédiment lœssique provenant en partie du versant et se suc-cèdent au cours du Pléniglaciaire supérieur (SV). Les grains de pollen provenant de SV traduisent, dans un premier temps, une végétation dominée par une forêt de Bouleaux et de Pins, associée à une prairie humide (zone pollinique locale 1). Dans un second temps, après un hiatus dans le diagramme, la forêt toujours dominée par des conifères se diversifie : on y trouve plusieurs essences thermo-philes comme l’Aulne, le Noisetier, le Chêne ou encore le Tilleul (zone 2). La nature des sédiments et des paysages confère un caractère ancien à cette première unité stratigraphique placée avant la fin du Pléniglaciaire supérieur (aux alentours de 15000 BP). La zone 2 serait à rapprocher d’une phase inter-stadiaire, mais qui reste ici mal calée chronologiquement et peu documentée. À cette période morphologiquement active (incision, rescindement et colma-tage du petit méandre par des dépôts lœssiques) succède une longue phase de stabilité, depuis le Bølling (incision du large méandre de Santes) jusqu’à un post quem à 5200 BP. La trace du méandre occupe alors une position de basse terrasse. Au Néolithique moyen, une phase d’érosion entraîne la vidange des sédiments plus anciens dans le lit mineur, l’érosion de la berge et la réactivation du petit méandre sur la basse terrasse. Elle explique la position remaniée de quelques vestiges antérieurs.

Ce moment crucial dans l’histoire du chenal n’est pas perçu par la palynologie. L’unique témoin de sa mise en place est un charbon de bois prélevé à la base du sondage carotté (SC25) et daté de 5210 BP (GrA 25618). L’absence de données complémentaires et le contexte général du prélèvement (sous la partie perdue car trop fluide, fig. 17) nous incitent à rester prudents sur la datation précise de cet épisode.

En revanche, l’existence même d’un épisode érosif datant de l’Atlantique paraît étayée par plusieurs analyses. La remontée du niveau de l’eau, réactivant le méandre, est attestée par un dépôt de sable calcaire (appelé ici « sable à matériel néolithique » : SN) dont la structure plus ou moins graveleuse suggère un cou-rant plus ou moins fort suivant les lieux de dépôt.

Deux observations permettent de conforter l’hypothèse du dépôt de ce sable cal-caire au cours de l’Atlantique récent et du début du Subboréal. Après un hiatus important dans la séquence pollinique nous privant des débuts de l’Holocène, la base du SN (zone 3a de la série principale) montre une forêt de feuillus déjà à son optimum et un fond de vallée envahi par une forêt riveraine dominée par l’Aulne et le Frêne. Ces éléments constituent quelques traits marquants de la fin de l’Atlantique et des débuts du Subboréal dans nos régions. À la tran-sition entre SN clair et SN foncé, un peu plus haut dans la stratigraphie, une

date radiocarbone conforte cette hypothèse en plaçant cet horizon dans le Sub-boréal (4165 +/- 35 BP – GrN 28443). C’est aussi à partir de ce moment que se développe une succession stratigraphique qui voit se succéder un épisode de colluvions (4140 +/- 50 BP – GrA 25516) suivi par la constitution d’un paléosol (4070 +/- 40 BP – GrA 25530) livrant des artefacts du groupe Deûle-Escaut et qui témoigne d’une phase de stabilisation. Les datations et les relations strati-graphiques permettent de corréler ce phénomène avec celui observé sur le ver-sant à proximité de l’habitat du Néolithique final.

Enfin, et parallèlement à ces résultats, deux séquences prélevées à 10 m de dis-tance (cf. supra) ont livré au sein de deux couches différentes – le sable calcaire

QD RD SD TD UD VD WD XD YD ZD AE BE CE DE EE FE IE JE KE LE ME NE OE 121 120 119 118 117 116 115 114 113 112 111 110 109 108 107 106 105 104 103 102 101 100 99 98 97 96 GE HE st 1 st 2 st 3 (ancienne tr. de diag.) tranchée évaluation (tr 4) st 4 st 5 carpologie et anthracologie sérieprincipale

palynologie (série principale) entomologie

Fig. 31 : Localisation des échantillons ayant servi de bases à l’analyse des données paléoenvironnementales et économiques (Méandre) (© I. Praud, Inrap).

de la série principale (SN, zones 3a à 3c) et un limon tourbeux du sondage carotté (zones 1 à 3 de la série SC25) – deux enregistrements polliniques iden-tiques. Cette corrélation, qui s’appuie sur la superposition des pics de défriche-ments et de céréales (fig. 24 et 26), s’explique par le processus de tourbification lent et diachronique qui se développe suivant un axe transversal au tracé du méandre. L’origine de cette évolution se situerait donc au centre du méandre et gagnerait progressivement la rive sur un temps long (fig. III, épisode 5).

L’enregistrement palynologique, la géométrie des comblements et les datations radiocarbones convergent donc pour placer la fin de cette phase érosive et la mise en place des dépôts de ce sable calcaire associé aux premières tourbes lors de la fin de l’Atlantique récent et au cours de la première partie du Subboréal. L’épisode suivant voit la tourbe continuer à se former jusqu’à colmater complè-tement cet ancien bras de la rivière. Ce passage dans la stratigraphie du méandre est bien repéré chronologiquement grâce à deux dates radiocarbones effectuées à la base et au sommet de la tourbe, au niveau du carré BE115 (GrN 28434 et 28435). Elles situent ce moment dans le courant de la seconde moitié du Sub-boréal entre 3690 et 3060 BP (fig. 18), c’est-à-dire entre la fin du Néolithique et l’âge du Bronze moyen où l’on enregistre une forte reprise des ligneux (surtout Aulne, Noisetier et Chêne – palynozone 3c) et où les indices d’anthropisation (céréales, rudérales), toujours présents, se font plus discrets.

L’aménagement d’une structure en bois au sommet de la tourbe marque le passage du Subboréal au Subatlantique, phénomène largement argumenté par l’ensemble

des datations 14C. Les épisodes suivants sont marqués par une série de dépôts

alluviaux (LC), situés au plus près du cours de la Deûle, ainsi que par la formation de lits de tuf et d’un limon tourbeux. Les zones polliniques (4a et 4b) soulignent ce passage par la régression de l’ensemble des ligneux au profit d’une prairie humide et du groupement céréales/rudérales signalant une nouvelle fois la pré-sence humaine à proximité. La séquence se termine par la reconquête de la forêt dans un environnement marqué par des conditions édaphiques marécageuses. L’ensemble de ces données appellent plusieurs commentaires sur l’évolution du milieu naturel au cours de l’Holocène.

La crise érosive de l’Atlantique ou des débuts du Subboréal est caractérisée ici par une hausse brutale et rapide du niveau hydrologique. L’origine de ce phéno-mène pourrait être recherchée dans l’impact d’une première déforestation, dont les effets déstabilisants sur la couverture sédimentaire des versants sont connus ailleurs (Pastre et al. 2002) et se traduisent en général par des apports limono-argileux dans les lits mineurs holocènes des rivières. À Houplin-Ancoisne, malgré les nombreuses observations menées dans cette partie de la vallée de la Deûle, un tel phénomène n’a pas encore été mis en évidence (Deschodt et al. 2004). Il y aurait de toute manière un diachronisme entre l’exploitation sup-posée du bassin versant et l’occupation principale sur le Marais de Santes, car les seuls défrichements identifiés par la palynologie n’interviennent qu’après le maximum de la crise érosive et ne peuvent donc pas en être la cause. Ils sont liés à la première installation humaine importante autour de 4100 BP. Les don-nées archéologiques concernant les périodes précédentes sont pour le moment insuffisantes et ne permettent pas d’envisager une occupation dense du secteur. Au cours de la première partie de l’Holocène, le régime fluviatile dans le Bassin parisien, et probablement dans la vallée de la Deûle, est stabilisé par un déve-loppement important de la végétation et du couvert forestier. une reprise et une augmentation de l’activité fluviatile ne sont observées dans les vallées du Bassin parisien qu’au début du Subboréal, autour de 4700 BP, et semblent durer au moins jusque vers 3000 BP. une partie de cette phase est sans doute liée

à l’intensification des défrichements agricoles et à des phases de dégradations climatiques comme celle de Chalain (4600 et 4150 BP ; Magny 1995) mis en évidence par la remontée du niveau des lacs du Jura. La suite de la séquence du Subboréal voit les phénomènes érosifs et sédimentaires s’accentuer au cours de la période 3800-3000 BP.

La vallée de la Deûle, au relief peu marqué, connaît des phénomènes proches, mais décalés chronologiquement. En effet, la ré-incision du méandre témoigne-rait probablement d’une phase de dégradation attribuable à l’Atlantique récent, alors que dans les grandes vallées du Bassin parisien elle n’est observée qu’au cours de la seconde moitié du Subboréal. A contrario, la phase de stabilisation, enregistrée dans la vallée de la Deûle par la mise en place des formations tour-beuses, s’inscrit dans la longue durée couvrant plus d’un millénaire sans change-ments majeurs. Cette phase de sédimentation organique, comprise entre 4160 et 3000 BP, est associée au début à de faibles écoulements d’eaux. Les assemblages polliniques et entomologiques confortent cette impression d’un milieu naturel stable enregistrant peu de changements, alors qu’ailleurs on note des phéno-mènes érosifs et sédimentaires importants durant cette même période.

Il faut attendre le passage au Subatlantique pour connaître une reprise de l’acti-vité sédimentaire alluviale avec un dépôt limoneux (LC) visible au plus près du cours principal de la Deûle. La détérioration climatique de la transition Subbo-réal/Subatlantique se concrétise, là comme ailleurs, par une brusque remontée des niveaux de la nappe phréatique (Van Geel, Magny 2002). Mais très rapi-dement, cette formation est surmontée par un horizon tuffacé et des limons tourbeux témoignant à nouveau d’une période calme et stable. La fin de notre séquence souligne le caractère de plus en plus humide du fond de vallée. Ces variations dans l’enregistrement morphosédimentaire de vallées peu éloi-gnées les unes des autres montrent qu’il existe des réponses sédimentaires diffé-renciées à des contraintes naturelles et/ou anthropiques.

Lorsque les Néolithiques s’installent sur le versant, au cours du Subboréal, c’est dans une ambiance forestière dense dominée par la chênaie mixte sur les ver-sants et l’aulnaie en fond de vallée. L’état du couvert forestier évoque à la fois des sols marécageux, mais pas gorgés d’eau en permanence, et des sols mieux drainés situés à la périphérie de ce milieu humide sur lesquels peuvent s’épa-nouir le Chêne, le Frêne, le Charme, le Tilleul et l’Orme. L’eau est omniprésente dans le fond de vallée et notamment à proximité du bras mort de la Deûle. Dans le méandre d’une part, les écoulements d’eau persistants et contempo-rains de l’occupation principale semblent de faible intensité, laissant des éten-dues d’eau stagnante – comme en témoignent l’entomologie, la carpologie et la palynologie.

D’autre part et dans le même temps, les petites dépressions localisées sur le versant sont colmatées par un fin dépôt colluvial limoneux, comportant des charbons de bois et des artefacts. Cet événement intervient au cours du Néo-lithique final, sous l’influence des activités humaines qui engendrent des surfaces non protégées par un couvert végétal, et donc susceptibles d’être érodées. On se trouve à cette époque dans un contexte relativement bien drainé, comblé par des colluvions (venues de l’amont) et non par des dépôts d’inondation (venus de l’aval). L’ensemble recouvre un développement pédologique normal de type sol brun lessivé, formé durant le Tardiglaciaire en contexte non inondé. Le sommet du dépôt se stabilise, permettant ainsi le développement d’un horizon de surface humifère contenant lui aussi charbons de bois et vestiges du Néolithique final. Cette nouvelle surface, uniquement recouverte de colluvions récentes labourées, forme un palimpseste.

La fin de la séquence tourbeuse correspond à l’installation d’un axe de che-minement en bois permettant la traversée d’un secteur devenu de plus en plus humide.

Globalement, la confrontation des données paléoenvironnementales assure une bonne cohérence dans les résultats entre géomorphologie, entomologie et paléobotanique. En résumé, ce bras mort de la rivière, à l’histoire originale et complexe (héritage pléniglaciaire), a enregistré un contexte très stable entre les couches relatives au Néolithique et celles datées de l’âge du Bronze, soit un couvert végétal dense marqué par une forêt riveraine de feuillus, une roselière et une végétation aquatique et palustre riche. Paradoxalement, le déroulement d’activités humaines à proximité de cet espace humide est mieux perçu par la palyno logie (défrichement et agriculture) et la carpologie que par l’entomo logie, pourtant habituellement sensible à ce genre de phénomène. D’autant que cet espace, tout proche des installations sur le versant, a servi aux habitants de zones de rejet et peut-être même d’activités (cf. infra). Seule, dans l’entomo-faune, l’existence d’insectes coprophages s’alimentant d’excréments secs d’ani-maux domestiques, comme le porc ou le mouton, signe la présence de troupeaux dans le secteur.

À une plus large échelle, le Subboréal coïncide avec une période « chaude » de l’Holocène et avec un climat plus continental (Firmin 1989). En effet, même si le réchauffement maximal a été atteint entre 8000 et 6000 BP (soit au moins 2 000 ans avant l’époque qui nous intéresse), certains chercheurs parlent d’un « second optimum climatique holocène », situé entre 4500 et 3800 BP ( Holzhauser 2007). Au cours de cette phase plutôt sèche (Magny 1995), des fluctuations des conditions atmosphériques sont enregistrées notamment dans le Jura, où remontée du niveau des lacs (phase transgressive) et pic du carbone 14 résiduel sont corrélés à des dégradations ponctuelles du climat (Magny 2004 ; Pétrequin et al. 2002 ; Pétrequin, Weller 2007).

Ainsi, la construction du grand bâtiment datée dans un intervalle de temps compris entre 2 900 et 2 850 ans avant notre ère, par la dendrochronologie et les datations radiocarbones (cf. infra), se situerait peu de temps avant une de ces phases de péjoration.

De même, la présence du charançon Stenoscelis submuricatus – coléoptère vivant aujourd’hui dans la moitié sud de la France – dans les niveaux contem-porains de cette occupation témoigne en fait d’un climat peut-être plus humide, mais surtout plus chaud. Tout comme les restes d’Ifs, présents en grand nombre parmi les charbons de bois du bâtiment et les semences dans les niveaux sableux du méandre contemporains de l’occupation principale du versant attestent une humidité ambiante plus élevée et des hivers en revanche moins rigoureux.

Structures et éléments