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Les assemblages d’insectes

Ph. Ponel

Introduction

L’intérêt de l’analyse paléoentomologique dans le contexte archéologique a été maintes fois souligné, comme en témoignent l’analyse bibliographique de Buckland et Coope (1991) et le manuel d’Elias (1994). En France, ce type de recherche est resté relativement confidentiel, bien qu’une certaine impulsion semble avoir été donnée récemment grâce aux efforts de quelques pionniers, comme l’ont montré Ponel et yvinec (1997). L’analyse paléoentomologique d’un site archéologique peut être pratiquée isolément, mais il est particulièrement fructueux de l’associer à une analyse pollinique (Andrieu-Ponel et al. 2000), ou à une analyse des macrorestes végétaux (Ponel et al. 2000). En effet, les insectes apportent des informations originales et indépendantes des autres marqueurs paléoécologiques : moins soumis que les grains de pollen au transport passif par le vent, ils fournissent des indications locales et précises d’un grand intérêt pour l’archéologue, en ce qui concerne l’environnement physique, l’environnement végétal, les activités humaines de tous ordres, etc. Les Coléoptères constituent l’un des groupes d’insectes les plus étudiés en paléoentomologie : leur exo-squelette robuste facilite leur conservation dans les sédiments, et la possibilité d’identification au niveau spécifique dans de nombreux cas accroît la finesse des interprétations paléoécologiques élaborées à partir de cet ordre d’insectes.

Matériel et méthodes

Chaque prélèvement a été effectué en détachant à la bêche des blocs de sédiment directement de la paroi dégagée lors de la fouille, situation très favorable à un échantillonnage de bonne qualité, ainsi dépourvu de contamination moderne. Les sédiments ont été conservés dans des sacs de polyéthylène hermétiquement clos jusqu’à leur traitement au laboratoire, dans le but d’éviter tout dessèche-ment néfaste à la conservation des fragdessèche-ments d’insectes (fig. 29 et tabl. 9). Sur les 20 échantillons analysés, 19 contenaient des assemblages de Coléoptères dans un état de conservation moyen. Par ailleurs les échantillons 1 et 2, prove-nant des sables verts, ont manifestement subi des mélanges et ne seront donc pas pris en compte dans cette étude.

L’extraction des restes d’Arthropodes a été effectuée selon la méthode habituelle, préconisée par Coope (1986). Elle implique tout d’abord la désagrégation du sédiment dans l’eau, au besoin après un séjour prolongé dans une solution de carbonate de sodium qui facilite la défloculation du sédiment, puis le criblage des particules en suspension sur un tamis à maille de 300 µm. L’abondante masse de détritus qui constitue le refus du tamis est mêlée à du pétrole puis, après élimination du pétrole en excès, les détritus sont placés dans un récipient rempli d’eau propre. Après décantation, les restes d’Arthropodes flottent à la surface dans le film de pétrole, alors que les débris végétaux se déposent au fond du récipient. La fraction flottante est récupérée sur le même tamis de 300 µm, puis lavée à l’aide d’un détergent, rincée à l’alcool et triée à l’aide d’une loupe binoculaire de manière à éliminer les débris indésirables qui ont pu subsister. Les restes d’Arthropodes sont conservés dans de l’alcool à 90°, dans des tubes hermétiques. L’identification des fragments se fait par comparaison directe avec des spécimens provenant d’une collection de référence actuelle.

Le nombre des insectes identifi és fi gurant à l’intersection des lignes et des colonnes représente le nombre minimal d’individus présents par couche pour un taxon donné, estimation effectuée par comptage des éléments diagnostiques de l’exosquelette. L’ordre systématique et la nomenclature adoptés suivent de près ceux de Lucht (1987). Cette nomenclature peut paraître quelque peu désuète, elle est toutefois retenue, à l’instigation de Coope et Elias (2000), pour per-mettre une harmonisation des travaux menés en Europe en paléoentomologie et pour faciliter la lecture des publications paléoentomologiques aux non-spécia-listes (archéologues, géologues, etc).

L’interprétation paléoécologique des assemblages a été effectuée essentiellement à partir du travail de Koch (1989-1992), un ouvrage de base qui synthétise les données écologiques connues pour toutes les espèces d’Europe centrale, et qui est largement utilisable pour la faune française.

trac é ap prox imat if du méa ndre limite de rive du méandre Tr 9 prélèvements entomologiques 0 50 m co

urs holocène de la Deûle

Fig. 29 : Localisation des échantillons entomologiques étudiés (© I. Praud, Inrap).

Tabl. 9 : Échantillons analysés (TR 9-SN-2 < 3 m s’est avéré stérile) (© P. Ponel, CNRS).

Résultats

Au total, 187 taxons de Coléoptères ont été identifiés, dont 93 (soit 50 %) au niveau de l’espèce ou du groupe d’espèces. Les autres ordres d’insectes recueillis sont peu nombreux, il s’agit d’Hétéroptères Saldidae (un taxon) et de Trichoptères Hydropsychidae (un taxon). Les interprétations paléoécologiques seront donc réalisées principalement à partir des Coléoptères. Les types d’envi-ronnements traduits par les assemblages de Coléoptères peuvent être regroupés en différentes catégories : habitats aquatiques, habitats de transition (lieux maré-cageux), habitats liés aux plantes (herbacées, ligneuses), espèces coprophages... Les changements dans les grandes catégories écologiques des Coléoptères sont représentés graphiquement sur la figure 30. L’analyse d’ensemble de cette série d’histogrammes montre une assez grande stabilité des assemblages et de la diversité taxonomique, on remarque toutefois une plus faible diversité dans la moitié inférieure de la séquence (couche SN) – à l’exception du seul échantillon 9, qui présente les plus grandes valeurs tant en nombres d’individus que de taxons – et une diversité plus élevée dans la moitié supérieure (soit la tourbe). En fin de séquence (couche TLT), on note une très nette chute de la diversité taxonomique, peut-être due à des phénomènes taphonomiques peu favorables à la conservation des restes d’insectes : l’échantillon 18 est extrêmement pauvre. L’échantillon supérieur 19 n’est pas positionné chronologiquement de manière certaine et il est préférable de ne pas en tenir compte dans l’analyse.

La presque totalité des taxons identifiés dans la séquence pourraient vivre aujourd’hui dans la région, à l’exception du charançon Stenoscelis submuricatus qui est cantonné à la moitié sud de la France.

n° US n° éch type de sédiments poids (kg)

VD 115 19 organique (bois) 5,763

TR / 9 TLT 2<3m 18 sableux (mollusques) 5,72

WD 119 T.sup 17 tourbeux (bois et graines) 8,9

TR9 tourbe 2<3m 16 tourbeux (graines) 4,3

BE 115 tourbe 15 tourbeux (bois) 3,1

BE 115 tourbe 14 tourbeux (bois, graines) 5,2

WD 119 tourbe 13 tourbeux (bois) 7,906

VD 117 tourbe inf. 12 tourbeux (bois) 5,809

VD 113 tourbe inf. 11 tourbeux (bois) 4,911

XD 115 tourbe inf. contact SV 10 tourbeux (bois) 4,846

TR9 SN 2<3m sableux (pas d’insectes) 5,1

VD 117 SN foncé 9 organique (bois) 5,03

VD 112 SN 8 organique (végétaux) 2,3

ZD 118 SN 7 organique (bois et graines) 3,29

YD 119 SN 6 organique (bois) 4,23

YD 116 SN 5 organique (bois) 5,103

EE 105 SN 4 sableux (coquillages, graines, bois) 4,8

BE 115 SN 3 tourbeux (graines) 6,3

ME 105 SV 2 organique (bois et mollusques) 3,86

Habitats aquatiques

La faune aquatique est assez riche, ce qui n’est pas surprenant dans un tel contexte de dépôt. En revanche, il est remarquable que la faune aquatique liée aux eaux courantes soit totalement absente. Les Elmidae, qui vivent pour la plu-part exclusivement dans les eaux bien oxygénées des ruisseaux et des rivières, ne sont représentés que par le genre Dryops, qui par exception n’est pas lié aux eaux courantes mais vit dans la boue, à l’interface eau/sol émergé au bord des eaux courantes ou stagnantes. La faune aquatique d’eaux dormantes comprend les représentants des familles Haliplidae et Dytiscidae, ainsi que beaucoup d’espèces d’Hydraenidae et d’Hydrophilidae. Parmi les espèces de Dytiscidae constantes dans les assemblages figurent les ubiquistes Colymbetes (probable-ment fuscus), Agabus bipustulatus et Acilius, qui vivent dans tous types de col-lections d’eau : flaques, étangs, rivières à cours lent. Parmi les Hydraenidae, les Ochthebius, les Limnebius, les Hydrochus et les Helophorus vivent majoritaire-ment dans les eaux dormantes, comme les Hydrophilidae (Hydrobius fuscipes, Anacaena, Laccobius, Chaetharthria, Hydrophilus caraboides, Hydrous). Habitats de transition (milieux humides, marécages,

berges des lacs et des rivières)

Ces milieux humides, riches en matières organiques en voie de décomposition, sont toujours extrêmement favorables aux Coléoptères. Les deux familles les mieux représentées dans ces habitats des bords des eaux sont les Carabidae et les Staphylinidae. Parmi les Carabidae, les espèces les plus régulières dans les assemblages d’Houplin-Ancoisne sont Dyschirius globosus et Bembidion doris, qui affectionnent tous les deux les mares ombragées en forêt, riches en détritus végétaux pourrissants. Parmi les Staphylinidae, la plupart des taxons peuvent entrer dans cette catégorie, mais certains recherchent plus particulièrement les détritus végétaux, comme Micropeplus staphylinoides, Olophrum fuscum, Arpedium quadrum, les Lesteva, les Oxytelus, les Stenus ; d’autres sont asso-ciés aux berges sableuses des cours d’eau et des lacs dans lesquelles ils creusent des galeries, comme les Bledius. Le vaste genre Trogophloeus comprend de

aquatiques hygrophiles xylophages, saproxylophages, phyllophages 19 18 17 16 15 14 13 12 11 10 9 8 7 6 5 4 3 2 1 0 10 20 3040 50 6070 800 10 20 30 0 2 4 6 8 0 5 10 15 0 2 4 6 8 10 12 14 0 10 20 30 40 50 60 0 30 60 90 120150 coprophages,

coprophiles non classés total (taxons) total (individus)

Fig. 30 : Évolution au cours du temps des principales catégories écologiques de Coléoptères à Houplin-Ancoisne. Les histogrammes en barres pleines concernent les nombre d’individus (© P. Ponel, CNRS).

nombreuses espèces d’identification très délicate, surtout fréquentes sur les argiles nues et les sables humides au bord des eaux, tout comme les Platysthetus. un grand nombre d’espèces phytophages sont associées aux plantes qui croissent dans les milieux marécageux et les bords des eaux. Phalacrus caricis est para-site des inflorescences de Carex attaquées par une maladie cryptogamique, le charbon. Parmi les chrysomélides, Donacia clavipes est associé aux phragmites, Donacia semicuprea à Glyceria aquatica, Donacia crassipes à Nymphaea alba, Donacia marginata à Sparganium ramosum, Donacia thalassina à Scirpus lacus-tris. Les Plateumaris sont morphologiquement proches des Donacia, P. disco-lor et P. sericea sont monophages sur diverses espèces de Carex. Prasocuris phellandrii est encore un chrysomélide spécialisé, lié aux ombellifères aqua-tiques comme Oenanthe, Cicuta et Sium, il est présent sur la quasi-totalité de la séquence sédimentaire. Parmi les charançons, le genre Bagous comprend de nombreuses espèces amphibies dont beaucoup sont oligophages sur une grande variété de plantes aquatiques. Tanysphyrus ater/lemnae est associé aux Lentilles d’eau (Lemna), Notaris scirpi exploite les Scirpus, Carex, Typha, alors que N. acridulus vit sur les Glyceria. Les Limnobaris sont souvent trouvés en compagnie des Plateumaris sur les Carex. Eubrychius velutus et Litodactylus leucogaster sont oligophages sur Myriophyllum, plante aquatique complète-ment submergée, alors que les diverses espèces de Rhinoncus se développent sur les Polygonum et les Rumex.

Habitats liés à la strate herbacée (milieux secs)

Les espèces liées aux plantes terrestres non ligneuses sont bien moins nom-breuses en taxons et en individus que celles liées aux plantes palustres. Elles fournissent cependant quelques indications intéressantes sur la composition de la strate herbacée. Le Nitidulide Brachypterus urticae et le charançon Cidno-rhinus quadrimaculatus sont pratiquement les seuls dans cette catégorie, tous deux inféodés aux orties. Cependant, de nombreux taxons, identifiés seulement au niveau générique, ne peuvent donc fournir de renseignements précis, mais leur diversité suggère incontestablement une plus grande variété dans la compo-sition spécifique de la strate herbacée. C’est le cas de Cryptocephalus, Chryso-mela, Phyllotreta, Haltica, Chaetocnema, Psylliodes, Apion, Donus/Hypera, Gymnetron, etc.

Habitats liés aux arbres

La faune de Coléoptères xylophages et saproxylophages (liés aux arbres) est bien plus abondante. Parmi les espèces liées au bois dépérissant ou récemment mort, Plagiodera versicolora et Agelastica alni sont oligophages sur Salix et Populus pour le premier, sur Alnus pour le second. Parmi les trois taxons de Scolytus, seul S. carpini parasite presque exclusivement le Charme Carpinus, les deux autres taxons, intricatus et scolytus, sont moins spécialisés. La bonne représentation des taxons associés aux Frênes est remarquable, puisqu’on note trois scolytes qui dépendent de cette essence : Hylesinus crenatus, Leperisinus varius et Phloeotribus scarabaeoides. L. varius est présent dans un grand nombre d’assemblages, depuis la base jusqu’au sommet de la séquence sédimentaire. La présence du Tilleul est suggérée par un autre scolyte, Ernoporus caucasicus, alors que celle du Chêne est indiquée par Platypus cylindrus : ce dernier, bien qu’assez polyphage, est surtout parasite de gros spécimens de diverses espèces de Quercus qu’il perfore de profondes galeries. La présence de Chênes est éga-lement évoquée par les occurrences de Curculio sp., charançons bien connus

en raison de leur rostre démesuré et de leur développement à l’état larvaire à l’intérieur des glands de diverses espèces de Chênes. La larve, arrivée au terme de son développement, se laisse tomber au sol où elle se nymphose (cependant l’une des espèces de Curculio se développe dans les noisettes). Anthonomus rubi attaque diverses espèces de Rosacées ligneuses.

D’autres Coléoptères se développent aux dépens du vieux bois mort, souvent en état de décomposition plus ou moins avancée et soumis à des attaques fongiques. C’est le cas des Anobiides (vrillettes) : Xestobium rufovillosum, Anobium den-ticolle, Anobium sp., qui s’attaquent à de nombreuses essences feuillues, le plus fréquemment aux gros arbres comportant de vieilles branches mortes. Le gros Lucanide Sinodendron cylindricum est également associé aux vieux arbres, sou-vent aux gros Hêtres. Il est remarquable que l’occurrence de cette essence soit notée dans l’assemblage 12, alors qu’un autre Coléoptère lié au hêtre, Dasytes caeruleus, est noté dans l’assemblage 13 sus-jacent. Cinq espèces de charan-çons sont également des saproxylophages qui exploitent divers feuillus, dont Dryophthorus corticalis, Phloeophagus lignarius et Stenoscelis submuricatus, polyphages, ainsi que Cossonus cylindricus, qui recherche les Peupliers et les Saules au bord des eaux. La plupart des Eucnemides sont des espèces rares associées aux vieux arbres feuillus : à Houplin-Ancoisne, Dromaeolus barnabita est noté vers la fin de la séquence sédimentaire. Enfin, plusieurs exemplaires du genre Cerylon ont été identifiés dans cette séquence : il s’agit d’un genre qui fré-quente exclusivement les écorces déhiscentes des vieux arbres.

Il existe en outre, dans les assemblages d’Houplin-Ancoisne, plusieurs taxons qui peuvent être considérés comme liés aux branchettes mortes des vieux arbres feuillus, ainsi le genre Agrilus, qui comprend de nombreuses espèces, ou le genre Epuraea, considéré comme essentiellement corticole.

Enfin, un groupe assez bien représenté dans les assemblages d’Houplin-Ancoisne est composé d’insectes coprophages (se nourrissant directement d’excréments) ou coprophiles (liés indirectement aux excréments), le passage aux détritiphages (liés aux matières animales ou végétales en décomposition) se faisant de manière progressive. Il est donc délicat de classer certains taxons, en particulier parmi les Hydrophilidae et les Staphylinidae.

Dans les assemblages fossiles d’Houplin-Ancoisne, quelques Hydrophilides appartiennent à cette catégorie, avec le genre Sphaeridium, Megasternum boletophagum, qui fréquente aussi les végétaux en décomposition ; parmi les staphylins, les Oxytelus présentent une biologie comparable. Les exigences éco-logiques des Scarabéides (Geotrupes, Onthophagus verticicornis, O. ovatus, Aphodius erraticus, A. depressus, A. obscurus, A. scrofa, A. fimetarius) sont mieux définies : ce sont tous des coprophages bien caractérisés, alors qu’une espèce proche comme Oxyomus silvestris fréquente plus volontiers diverses matières en décomposition.