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Mise en œuvre des bois d’architecture

En intégrant les observations archéologiques et dendrologiques (morphologie et section des pièces, débitage, présence de nœuds, rythmes et anomalies de crois-sance...) aux résultats des analyses dendrochronologiques (phases d’abattage, assemblages dendrotypologiques abordés dans le chapitre suivant concernant les aspects chronologiques), il a été possible, après remontage des différents éléments, de reconstituer les techniques mises en œuvre à Houplin-Ancoisne lors du débitage et du façonnage des bois d’architecture. Plusieurs tendances semblent se dégager.

Sélection de gros arbres

une première tendance concerne la sélection, l’abattage, puis le débitage d’arbres de grosse section. Ainsi, en croisant courbure des cernes et orientation des rayons ligneux, il est possible d’avancer une estimation des diamètres des billes employées : la plus petite section avoisine les 56 cm minimum et la plus forte section 140 cm minimum (fig. 67). En dépit d’évaluations strictes – aux-quelles il faudrait ajouter les épaisseurs d’aubier et d’écorces manquantes –, on perçoit bien que les choix qui ont prévalu lors du prélèvement des bois d’œuvre ont été dirigés prioritairement vers les arbres de belle venue. Et même si ces éléments ont pratiquement tous été refendus, la logique a été respectée, puisque l’on retrouve les plus petites sections dans les parois, et les plus grosses parmi les poteaux faîtiers et les puits.

De même, l’emploi de gros Chênes, creux ou non, âgés ou non, suggère une gestion du potentiel forestier sur le long terme, avec probablement une mise en réserve de sujets particuliers selon des critères technologiques, mécaniques, culturels et/ou cultuels, qui nous apparaissent de façon plus ou moins évidente. Techniques et traces d’abattage

Les seules traces tangibles d’outils sont observables à la base des plus gros poteaux (634 et 735), où sont encore clairement visibles biseaux et pointes émoussés qui pourraient constituer en réalité les reliques de larges encoches d’abattage (fig. 68). Les mieux conservées – celles du poteau 634 – s’étendent sur près de 25 cm de longueur, et l’on devine en lumière rasante l’enlèvement de gros éclats. L’orientation des fibres du bois indique clairement des poteaux érigés dans le sens anatomique de croissance de l’arbre, pied en terre, parfaite-ment compatible avec des poteaux à base planoconvexe. D’ailleurs, les traces de façonnage semblent réduites au strict minimum, à l’image du poteau 735, dont la section hexagonale suggère l’enlèvement de gros éclats de bois à l’aide de coins ou encore des empattements de l’arbre.

Les interprétations concernant des poteaux « pied en terre » portent sur l’amélio-ration de l’assise de la superstructure en butte aux vents dominants mais aussi, comme cela a été avancé en de multiples occasions (Gentizon, Monnier 1997 ; Pétrequin 1991), sur la mise à profit de fourches naturelles permettant le calage d’une panne faîtière. Cependant, ce dernier aspect peut paraître secondaire quand on sait que les arbres sélectionnés et employés présentent de très fortes sections. Et même une fois fendu ou refendu, 634 pouvait encore posséder, à une douzaine de mètres de hauteur, une largeur encore confortable de 30 à 40 cm, amplement suffisante pour entailler une encoche.

Signature dendrologique de la culée noire

S’agissait-il également d’atteindre une longueur maximale de fût utile, quitte à avoir recourt à une branche axiale de moindre importance ?

Bien sûr, il est impossible de répondre à cette interrogation sur la base d’un cor-pus aussi restreint et parfois mal conservé. Toutefois, cette remarque concernant la recherche d’un poteau de grande longueur n’a rien d’anodin lorsque l’on sait que 634, 735, mais aussi 819 présentent tous trois une structure anatomique particulière (fig. 69).

Dans le plan transversal :

– les pores sont sensiblement plus petits chez ces Chênes ;

– le caractère de zone poreuse s’estompe au point de ne plus discerner une limite interannuelle franche, comme c’est pourtant généralement le cas pour le Chêne ; – la distribution des gros pores ne se limite pas au bois de printemps, mais s’étale à travers tout le cerne ;

– les rayons ligneux, habituellement larges, sont beaucoup plus minces et plus nombreux. 249 iso 1 iso 2 iso 11 iso 7 iso 4 iso 5 124 289 puits 102 ~ 110 cm ~ 140 cm 819.2 819.1 634 735 ~ 130 cm ~ 60 cm 295 ~ 70 cm 581 ~ 56 cm 570 ~ 74 cm 819.4 819.5 819.6A 819.6B

Fig. 67 : Localisation des échantillons dendrochronologiques et synthèse des données archéodendrologiques (© V. Bernard, CNRS).

Dans le plan radial (fig. 69) :

– le fil du bois présente une courbure marquant le départ des empattements. Ces différentes caractéristiques dendrologiques confirment donc la présence de

« bois de racine » à la base de trois éléments architecturaux1 à Houplin-Ancoisne.

Cela signifie, en d’autres termes, que les fûts de grosses sections sélectionnés pour la réalisation de poteaux faîtiers et de cuvelage de puits intègrent égale-ment les parties basses de l’arbre situées sous le niveau du collet et traditionnel-lement considérées comme laissées en place par les Néolithiques. Or, dans le cas d’Houplin-Ancoisne, il n’en est rien et la partie souterraine de ces gros arbres

634 819.2 819.1 634 819.M2 56∞ 36∞ ~ 140 cm 735.II 735.II 735.I 36° ~ 130 cm 0 20 m 0 20 m A B

Fig. 68 : Analyse des techniques d’abattage. A : restitution du mode de débitage et du façonnage de l’arbre

partagé entre les structures 634 et 819 ; B : estimation de la section du poteau 735, mode de façonnage et de débitage (© V. Bernard, CNRS).

est partie intégrante des bois d’œuvre. Cet aspect tendrait à nuancer sensible-ment les données issues de l’archéologie expérisensible-mentale et de l’ethnographie, où l’on voit, à de rares exceptions, l’abattage d’arbres de petite à moyenne section (30 cm maximum [Iversen 1956]) entamés assez haut, compte tenu d’angles d’attaque de haches de pierre d’environ 60°, la hauteur de l’encoche d’abattage étant elle-même proportionnelle à la section de l’arbre (Choulot et al. 1997). Pour l’abattage des arbres employés à Houplin-Ancoisne, dont les sections mini-males restituées se répartissent entre 56 et 140 cm (fig. 67), il faut donc envisa-ger une autre technique permettant l’extraction du système racinaire. À moins

sens de croissance

bois initial = bois de printemps bois final = bois d'été

819.5

Exemple de bois de tronc à croissance lente et régulière. Chêne (sessile ?).

735

Exemple de bois de racine ou de collet. Chêne (pédonculé ?).

À noter ici et ci-dessous :

- des pores sensiblement plus petits chez ces chênes ;

- des limites interannuelles moins franches ; - une dispersion des gros pores à travers tout le cerne ;

- des rayons ligneux plus nombreux.

634

Exemple de bois de racine ou de collet. Chêne (pédonculé ?).

0 1 cm Fig. 69 : Anatomie du bois de tronc

et du bois de racine (© V. Bernard, CNRS).

d’utiliser des arbres arrachés par la tempête (ce qui limiterait notablement les possibilités d’implantation humaine et nierait toute forme de projet !), l’extrac-tion d’un arbre complet implique le déterrage et le secl’extrac-tionnement de ses racines. Enfin, l’abattage par lui-même pouvait être exécuté par traction animale, et largement facilité par l’inertie d’un tronc de ce gabarit. Cette technique dite de la culée noire avait déjà été mise en évidence sur le site des Fontaines Salées à Saint-Père-sous-Vézelay dans l’yonne (Bernard 1999 ; Bernard et al. 2008). En l’occurrence, des chênes creux avaient été sélectionnés pour la fabrication de cuvelages monoxyles, et leur abattage à culée noire avait permis de rentabiliser au maximum les parties basses de l’arbre, les premières à subir les attaques fon-giques. En ce qui concerne le puits 102 d’Houplin-Ancoisne, on pourra avancer les mêmes arguments, dans la mesure où la restitution archéodendrologique de sa section évoque un cuvelage monoxyle et voir ainsi dans l’évidage du tronc une « formalité » facilitée par le pourrissement naturel à cœur de ce type de gros arbre. un élagage préalable, ou éhouppage, pourrait dans ce cas précis être sérieusement envisagé pour éviter l’éclatement dans sa chute de la précieuse bille creuse. Malheureusement, les données expérimentales ou forestières nous manquent sur ce type de sujet, peu fréquent dans nos forêts actuelles.

Pour ce qui est des poteaux, la contrainte technique est tout autre, puisqu’il s’agit, comme nous le suggérions précédemment, de mettre à profit la plus grande longueur de fût utile en vue d’obtenir une pente de toit suffisante pour empêcher le pourrissement de la couverture végétale, et aussi de bénéficier des qualités d’un bois madré, particulièrement résistant. Le manuel de Goujon de la Somme à l’usage des agents forestiers et maritimes est tout à fait éloquent et précisait d’ailleurs, en 1803 : « comme le pied d’un arbre, s’il est sain, offre le bois le plus compact et le plus parfait, il sera toujours avantageux de déraciner les arbres… ». La culée noire constitue donc un mode d’abattage parfaitement adapté aux arbres de gros diamètre sans perte de matière et dans une grande économie d’efforts (et d’outils ?). Et si les expérimentations archéologiques ne concernent pas ce type de gros individus, en revanche, l’abondante documentation des Eaux et Forêts nous rappelle que des équipes de trois à quatre personnes sont amplement suffisantes pour abattre en une journée un chêne d’environ 1 m de diamètre.

Aux haches et herminettes de pierre, toujours indissociables du travail de fores-terie néolithique, il faudrait désormais ajouter le pic en bois de cerf ou en silex, la pelle taillée dans une omoplate de bovidé ou dans une pièce de bois, les cor-dages, le joug et les animaux de trait pour l’arrachage du fût (fig. 70).

Mais, paradoxalement, doit-on voir dans ce procédé simple, éventuellement associé au cernage, ce que malheureusement on ne pourra jamais réellement prouver, une avancée technique en matière de défrichement, d’essartage et de conquête de nouveaux espaces agropastoraux ?

Dans ce cas de figure, l’impact des défrichements sur le milieu forestier devait être considérable, puisqu’en extrayant les racines, l’Homme pénalisait une régé-nération sylvigénétique rapide, par rejets de souches (ou recépage), pour privilé-gier le semi-naturel. Cependant, on peut douter que de si gros individus aient été en mesure de se reproduire par voie végétative à la suite d’un abattage tradition-nel. La question qui vient spontanément à l’esprit est maintenant de savoir si les structures archéologiques interprétées comme des chablis, ou plus exactement comme des trous de chablis, ne pourraient pas correspondre en réalité à des sapes réalisées lors d’exploitations forestières. Cela sous-entendrait également un recours plus fréquent à la culée noire que ce que nous venons d’exposer ici, compte tenu du grand nombre de fosses de ce type découvertes sur les chantiers archéologiques. Ce type d’extraction, s’il doit apparaître plus

systématique-ment, impliquerait une menace supplémentaire pour les sols les plus fragiles, déjà fort endommagés par les différentes pratiques agropastorales. Il est vrai que la corrélation désormais bien établie entre forte dynamique sédimentaire, recul des pollens d’arbres et abondance des phases d’abattage dendrochrono-logiques (Leroyer 1997 ; Bernard 1998) cristallise l’expansion démographique maintenant bien documentée du Néolithique fi nal. À ce titre, le Bassin parisien illustre parfaitement une dynamique dont l’ampleur dépasse largement ce cadre (Billamboz 1995).

12-15 m 3-5 m

effet de cisaillement dû à l'inertie des branches dans la chute de l'arbre

tas de terre

pic en bois de cerf

pelle en homoplate de bovidé hache

arbre de très grosse section (140-150 cm)

grosses racines coupées à la hache

sol forestier (feuilles, brindilles, branchettes)

joug taillis et rejets de souches =

milieu forestier semi-ouvert déjà exploité

une fois les racines brûlées par un feu contrôlé, l'arbre est arraché

par un attelage de bœufs

Fig. 70 : Abattage à la culée noire au Néolithique (© V. Bernard, CNRS).

Façonnage des planches et des poteaux

L’autre tendance forte est une réelle parcimonie dans l’emploi du matériau ligneux, grâce notamment à une parfaite maîtrise des techniques de débitage. Le cas des quatre (ou trois, car il est possible que les archéologues aient pensé que l’une d’entre elles, livrée en deux morceaux, ait appartenu au même bois) planches horizontales constituant le fond du puits 819 est, à ce titre, particu-lièrement révélateur (fig. 71). En effet, ces planches ont été débitées sur faux

819.4 819.6A 819.6B 819.5 819.1 819.4 819.5 819.6A ~ 60 cm 819.6B élément sous-jacent 819.4 819.5 819.6A 819.6B déformations similaires

d’un départ de branche

déformations similaires d’un départ de branche courbures identiques courbures identiques 819.6A 819.4 819.5 819.6B 0 0 10 cm 50 cm

Fig. 71 : Principaux éléments issus de 819. Remontage archéo-dendrologique et restitution du mode de débitage (© V. Bernard, CNRS).

quartier, ce qui constitue de loin la technique de refend la moins évidente, car les rayons ligneux du Chêne font tendre naturellement le bois à fendre selon cet axe. Refendre un bois sur faux-quartier implique donc d’aller contre le fil du bois et d’accepter, de manière encore plus accrue, tous les accidents propres au débit sur maille, comme l’éclatement du bois ou la fuite du plan de clivage en présence de nœuds ou de branches. Pourtant, à partir du remontage des planches au sein de la bille – qui a pu être opéré et validé grâce à l’observation des sections des pièces –, de l’angle décrit par les rayons, grâce à la position rela-tive des échantillons au sein du montage dendrochronologique, mais également grâce à la courbure des fibres et à la présence de nœuds, on voit bien qu’aucune partie de bois ne manque. Et même en dépit de deux gros nœuds ou départs de branches, l’axe longitudinal des planches 819.4 et 6B ne semble pas en avoir souffert. Toujours est-il que le volume de bois représenté par les quatre planches est extrêmement faible.

Autre problème technique : comment fendre ou refendre un tronc d’au moins 1,40 m de diamètre (634 et 819.1-2) avec un outillage aussi modeste que celui dont disposaient les hommes du Néolithique ?

Pour fendre un tel arbre, il faut en premier lieu préparer une section plane à la hache ou à l’herminette pour placer une série continue de coins de bois dur ou de bois de cerf sur la ligne d’amorce de la fente. À partir de là, les coins sont déplacés et positionnés latéralement, de part et d’autre de la bille, en suivant la progression du plan de clivage. Parfois, à cette étape du travail, les Amérin-diens de la côte pacifique employaient un madrier en guise de coin, manipulé perpendiculairement au fil du bois par deux personnes placées de chaque côté de l’énorme tronc de cèdre dont ils tiraient des planches (Stewart 1984, p. 41). Il est également possible de préparer une saignée à la hache sur le tronc à terre, avant d’envisager de l’attaquer à l’aide de coins et de leviers faits de bois durs. une dernière solution consiste à utiliser l’inertie des branches d’un gros arbre lors de sa chute. Revenons plutôt sur l’éhouppage déjà évoqué précédemment, et peut-être pratiqué dès cette époque pour préserver les troncs creux d’un éclatement malencontreux. Bien sûr, il fallait qu’un ou deux hommes grimpent jusque dans le houppier pour abattre toutes les branches radiantes, les unes après les autres. Encore actuellement, il s’agit d’une pratique réservée aux plus aguerris des bûcherons, car il faut pouvoir travailler sans être déséquilibré et sans se laisser écraser ou emporter par la chute d’une branche.

Que dire alors d’un homme armé d’une hache de pierre, qui doit de surcroît attaquer une branche avec un angle suffisamment ouvert ?

Maintenant, sans éhouppage, le gain de temps devait être considérable et les risques d’accidents mortels réduits. Dans sa chute sur l’une de ses grosses branches, l’arbre pouvait cependant éclater et se fendre, parfois sur toute sa longueur, par un effet d’inertie en ciseau (Ballu 2000). Dans ce cas, la répartition d’un même arbre entre différentes structures, en l’occurrence entre 634 et 819, semble nettement moins problématique.