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Les 14 et 16 mars 1996, trois employés du journal sont mis en examen

4. Synthèse globale

Au terme de cette étude sur l’apparition du journal Le Réunionnais dans l’espace médiatique local, nous avons mis à jour les particularités de ce journal. Quatre thèmes récurrents s’en dégagent :

Un format de type «tabloïd»17

Dès le départ, Le Réunionnais s’est inscrit dans un format de type tabloïd où l’information se donne «à voir» plutôt qu’ «à lire» comme le prouve l’analyse du premier numéro.

Les articles sont courts pour être vite lus, les pages abondamment illustrées pour donner cette impression de divertissement, les titres bandeaux18 foisonnants et l’accent mis sur la proximité. C’est une logique accordant plus d’importance à l’image qu’au discours. Soignées et travaillées, les unes du journal Le Réunionnais (annexes 1 bis) sont des

«mises en scène» qui s’apparentent davantage à des écrans télévisuels qu’à des unes informationnelles. Toutes ces particularités dénotent des similitudes proches de la ligne éditoriale du journal Le Parisien .19

Ce ne sont pas les seules ressemblances. Outre Le portage à domicile,20 Le Réunionnais a également déployé les hommes et les moyens en se dotant de machines ultra-modernes et d’une importante équipe de professionnels composée de journalistes, pigistes, et correspondants détachée sur toute l’île.21

17Mot d'origine anglaise désignant un petit format de journal.

18 Bandeau (ou streamer) : titre d’appel à la une placé en vedette au-dessus du titre du journal, sur toute la largeur de la page (Voirol, 1989 : 15).

19 (Voir page 24 de ce mémoire). L’objectif des fondateurs du Parisien était de créer un journal populaire de qualité. La une est considérée comme la «vitrine» du journal et les rubriques s’adaptent en fonction des évolutions sociales et culturelles de la société. Il lance en 1985 ses quatre premières éditions sur Paris et sa région et passe à la couleur le 25 janvier 1986. En 1989, il édite sa nouvelle formule (format tabloïd) sans succès. (Source : leparisien.com)

20 Le Parisien a également développé le portage à domicile avec une livraison avant 7 heures du matin directement dans les boîtes à lettres (Idem).

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Pour donner l’impression d’être à chaud sur l’actualité, les photographes ont accompagné les journalistes sur chaque sujet poussant le mimétisme jusqu’à emprunter au journal Le Parisien les mêmes couleurs dominantes (bleu/blanc/rouge) au niveau du nom du journal, comme nous pouvons le constater, à titre comparatif, à travers la reproduction ci-dessous, des unes des deux journaux respectifs, ainsi que deux pages intérieures du 7 janvier 1985 (pour Le Parisien ) et du 18 mars 1995 (pour Le Réunionnais).

Une mise en page mouvante

Nous constatons également que Le Réunionnais ne conserve jamais une maquette figée dans le temps, cette forme personnalisée, cette identité conférant à chaque journal un style propre et constituant un point

La UNE

de Aujourd’hui en France, nom des journaux diffusés en dehors de la zone de diffusion du Parisien.

8 septembre 2003

La UNE

du journal Le Réunionnais du 21 septembre 1995

d’ancrage fort pour le lecteur. Au contraire, au cours de son existence, le journal n’a cessé d’adopter une mise en page mouvante donnant

l’impression de s’ajuster en permanence sur ses principaux concurrents.22 Cela est dû, certes, aux changements successifs de rédacteurs en chef à la tête du journal, mais peut-être à la volonté de plaire au lecteur, de s’adapter à la demande du lectorat local.

Un discours contradictoire

Au delà de ces points communs, nous avons également fait ressortir les contradictions du discours journalistique relevant davantage du méta-discours que de l’information. Deux arguments sont récurrents dans ces discours : les arguments de valeur et d’autorité. Par diverses stratégies discursives, l’objectif des rédacteurs est de convaincre l’auditoire (ici le lecteur) que le pluralisme n’existe pas. Or, à la création du journal Le Réunionnais en 1992, ce vide est déjà comblé par les trois quotidiens en place (Le Quotidien, Le Jir, Témoignages), deux hebdomadaires (7 Réunion, Visu) ainsi que divers magazines et revues économiques. Or,

«La liberté, la démocratie, et le pluralisme» sont des arguments de valeur présents dans tous les discours, de la création à la disparition du journal.

Notons également une certaine similitude avec les valeurs défendues par Le Quotidien en 1977 : la proximité et le pluralisme de la presse.

Nous voyons également apparaître une contradiction majeure à travers l’entretien du fondateur. Tout en reconnaissant que le contexte médiatique de l’époque était déjà largement occupé en terme de marché,

«si c’était à refaire, avec l’expérience que j’ai, je ferais d’abord une étude de marché et je me rendrais probablement compte qu’il n’y a pas de place pour trois quotidien», le fondateur se contredit en soutenant que le pluralisme était encore à conquérir «le pluralisme était à conquérir, oui je pense».

Enfin, un autre argument émerge de manière récurrente : l’argument d’autorité à travers la présence du fondateur qui se positionne à des moments opportuns de l’évolution du journal : À sa création dans un éditorial, dans un billet en page 3 coïncidant avec l’apparition d’un sondage Médiamétrie et à des moments clés de la période de crise par des articles le plus souvent signés et des interviews où il apparaît au premier plan. En se positionnant de la sorte, le fondateur montre qu’il décide, qu’il joue un rôle social important, qu’il est un acteur incontournable au sein du journal. Une position contradictoire avec son affirmation dans l’entretien «Je m’exprimais très peu, le moins possible dans ce journal». En effet, pour expliquer que Le Réunionnais n’a pas eu de repreneurs, il évoque la raison suivante : «le problème, c’est que je menais tout de front».

L’omniprésence du fondateur de manière directe ou implicite est significative à travers cette analyse. Ainsi, même lorsqu’il n’intervient pas en son nom propre, les rédacteurs le mettent en avant, le personnifie en tant que créateur du journal. Il doit être cité, placé en amont de tout acte de communication.

La grille de présentation de l’entretien ci-dessous fait apparaître ces contradictions évoquées ainsi que les non-dits du discours du fondateur véhiculant un certain sens. Ce que Bardin définit comme «le potentiel inédit de tout message. Le latent, le non apparent» (1993, p. 13).

Grille de présentation de l’entretien

Thèmes récurrents extraits

La presse

«La presse est passionnante» ; «La presse n’est pas un métier commun et puis on

métier passionnant» ; «on sent plus les choses qu’on entend, après on se fait sa propre opinion vous savez»

de presse pour s’exprimer en tant que chef d’entreprise» ; «Le pluralisme était à conquér

pour informer » ; «communiquer, c’est un métier vous savez» ; «le journalisme est un métier où les hommes s’inv sont les hommes qui me passionnent» ; «Le Réunionnais était dans une charnière»

L’aspect économique «Nous nous sommes retrouvés dans un contexte économique difficile» ; «le journal nous a coûté de l’argent»

d’entreprise, je crois que je ne le referais pas» ; «le métier de la presse est difficile à vendre

L’appartenance réunionnaise

«Le Quotidien avait connu de gros problèmes par le passé et heureusement qu’à ce moment là tous les réunionnais l’on moi-même, mes frères… »

«je suis un bon exemple pour les réunionnais » ; «il ne fallait plus perdre d’argent, c’était mon objectif

Les erreurs de gestion

«Le problème, c’est que je menais tout de front» ; «j’étais investi dans ce journal, et je n’ai pas a le métier de la presse et puis gérer c’est autre chose» ; «il y a un aspect gestion qui manquait réfléchi, cela s’est monté très vite » ; « Nous n’étions peut-être pas assez pros au départ

un espèce de tourbillon qui m’a entraîné» ; «on ne peut pas être un bon créateur et un compta existaient, mais nous n’avons pas cherché parce que ce n’était pas une priorité»

Le sentiment d’un passé colonial

«Il y a 10 ans, on aurait pas oser attaquer le groupe Bourbon » ; « n’oubliez pas que les îles ont toujours travaillé s avec une certaine classe qui se sentait protégée». ; «oui, une situation de monopole mais plus que cel

certaine classe sociale» ; «c’est autre chose» - «il y a un aspect gestion qui manquait importants issus de grandes familles mauriciennes qui contrôlent tout »

Le besoin de

Trois traits dominants sont repérés dans cette grille : le manque de professionnalisme, le discours économique, l’argument d’autorité. Le fondateur n’a pas une connaissance précise du fonctionnement de la presse, il est davantage guidé par des valeurs personnelles. Le métier de la presse, à travers le journaliste, semble susciter chez lui de l’admiration.

La presse se présente un peu comme un sommet dans l’échelle sociale, un sommet qu’il qu’il n’a pu atteindre pour des raisons implicitement dévoilées dans l’entretien : l’impossibilité d’avoir pu accéder aux études supérieures. A deux reprises, il va annoncer «qu’il est parti de rien» sans entrer dans les détails. Et lorsqu’on tente d’insister sur ce point, il semble vouloir gommer cette partie de son existence.

Repérons également la prégnance du discours économique : «le journal nous a coûté de l’argent » ; «contexte économique difficile» ; «en tant que chef d’entreprise» ; «il y a le métier de la presse et gérer, c’est autre chose » ; « on ne peut pas être un bon créateur et un comptable en même temps» ; «l’économie est tenue par des groupes importants». Le fondateur semble très préoccupé par la rentabilité de son entreprise. Il a délégué peu de responsabilités.

Une apparition dans un paysage médiatique pluraliste

Le Réunionnais arrive en 1992, dans un contexte d’ouverture des débats.

Les valeurs récurrentes de défense et de liberté d’expression sur lesquelles se positionnent le journal s’inscrivent dans un contexte médiatique particulier de pluralité de la presse réunionnaise. Et «la proximité», autre valeur défendue par le journal n’a pas fonctionné, parce qu’il suppose l’emploi de marqueurs créoles et un choix stratégique proche des réunionnais. Or, ce n’est que dans les premiers numéros que l’ensemble des choix stratégiques (articles courts et multiples sur une seule page, beaucoup d’illustrations) opérés par Le Réunionnais colle à ses promesses. Très vite, le journal a du s’ajuster au marché en développant une actualité semblable à la concurrence. Ce n’est qu’en

est revenu à une politique de proximité en renforçant la parution des suppléments lancés par son prédécesseur comme «Vivre ici », «But », mais cette politique n’a, semble-t-il, pas permis le redressement de la situation. Il faut aussi reconnaître que ce créneau est déjà occupé par les journaux concurrents.

Toutes ces conclusions confirment l’hypothèse que Le Réunionnais est arrivé dans un contexte social particulier, un moment d’ouverture et de débats, ne permettant pas la création d’un nouveau journal sur les mêmes valeurs fondatrices que Le Quotidien en 1976 : la liberté d’expression et le pluralisme. A cette hypothèse centrale, nous rajoutons un autre constat : Le Réunionnais était un modèle importé du Parisien inadapté au contexte local.

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