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Les articles significatifs du journal : les stratégies discursives

Du 18 mai 1996 au 7 juin 1996

3. Analyse des résultats

3.2 Les articles significatifs du journal : les stratégies discursives

L’analyse se poursuit à présent par une lecture approfondie des 19 articles les plus significatifs du discours du journal sur lui-même parus au cours de ses quatre années d’existence. Certains de ces articles ont été reproduits intégralement et numérotés par paragraphe afin de faciliter leur lecture et leur compréhension. Nous leur appliquerons la grille argumentative suivante de P. Breton (1996, p. 92) visant à repérer les procédés journalistiques utilisés.

- identifier l’opinion : de quoi veut-on convaincre?

- s’agit-il d’un texte argumentatif?

- Quels sont les grands arguments utilisés?

- A quelle famille appartiennent-ils?

- Quel est leur contenu?

- A quel public s’adressent t-il?

- Sur quels accords préalables s’appuient-ils?

- Quelles valeurs impliquent-ils?

- Quels est le plan utilisé?

- Quelles sont les figures d’appui?

ARTICLE 1 – 22 novembre 1992

Titre : «Notre seul parti : celui des Réunionnais » Signature : Armand L. Apavou

Ce premier article analysé est un édito signé par Armand L. Apavou, fondateur du journal et directeur de la publication, en page 3 du premier numéro du journal (rubrique « la Région » daté du 22 novembre 1992. Il est titré «Notre seul parti, celui des Réunionnais» et pose le problème du

l’avons retranscrit ci-dessous intégralement et avons numéroté les paragraphes afin d’en détacher les grandes lignes.

«Notre seul parti : celui des réunionnais »

1. «La presse quotidienne s’enrichit ce matin, d’un nouveau titre – Le Réunionnais » que vous avez entre les mains. Avant même la sortie du premier numéro du Réunionnais, beaucoup s’interrogeaient sur l’opportunité de publier un quatrième quotidien à la Réunion. Notre ambition n’est pas de «prendre la place» de tel ou tel titre. En la matière, c’est le marché qui est seul juge. Le marché, c’est-à-dire les lecteurs et les annonceurs. Plus simplement, nous voulons offrir un espace supplémentaire de liberté, de démocratie, et de pluralisme dans une société réunionnaise où bien des blocages sont encore à vaincre.

2. Nous traversons en effet une phase cruciale de notre histoire.

L’absence de repère et le discrédit jeté sur les valeurs fondamentales, que sont le travail et le sens de l’effort ne font qu’amplifier l’état de confusion, où se trouve la société réunionnaise. Dans un environnement international conflictuel et de plus en plus difficile, il est important que les Réunionnais se retrouvent pour aborder l’avenir avec plus de sérénité et de confiance. Le Réunionnais sera le porteur de cette confiance.

3. Nos atouts sont connus : la jeunesse de la population, l’appartenance à l’ensemble européen, l’ancrage dans une région du monde où les potentialités de développement s’affirment. La jeunesse réunionnaise a besoin d’espoir, car c’est sur elle que repose le destin de la Réunion. Cet espoir passe obligatoirement

violence. Notre double appartenance à l’espace indiaocéanien et au grand marché unique européen, impose un profond changement de mentalité. Les Réunionnais et les entreprises locales doivent de plus en plus s’ouvrir sur le monde extérieur, prendre pied dans la compétition économique internationale. C’est là aussi que se joue notre avenir. Nous ne pouvons accepter l’idée que notre île devienne un organisme végétatif, toujours sous perfusion.

L’ambition du Réunionnais est d’accompagner une nécessaire évolution de notre île vers une économie de production, d’échanges et de solidarité.

4. Il va sans dire que Le Réunionnais est résolument indépendant de toute formation politique. Son seul parti sera celui des Réunionnais et de leur diversité».

Pour mieux comprendre l’importance de ce type d’article, rappelons ce qu’est la fonction première d’un éditorial avant son analyse.

«Genre d’énoncé apparaissant comme autant de modes distincts de la production des discours informatifs» estiment Mouillaud et Tétu (1989, p.

66), genre redoutable pour Percheron (1994, p. 125) , l’éditorial a été défini dans le guide de la rédaction de Voirol (1989, p. 83) comme «un article prenant position sur un problème d’actualité et engageant la responsabilité morale de la direction et de la rédaction du journal ».

L’éditorial peut être donc considéré comme un article. Le lexique de la presse écrite paru en 1989 souligne d’ailleurs sa singularité : «il ne peut en paraître qu’un seul par numéro» et précise que « son unité rédactionnelle doit constituer un tout cohérent et intelligible ». Lochard pour sa part considère l’édito comme un «genre le plus souvent

«masqué» qui se différencie de l’analyse et du commentaire par un affichage plus ou moins explicite d’une posture évaluative qui peut engager le scripteur dans certains titres relevant de la «presse d’opinion»

dans des postures de type polémique (désignation d’un anti-destinataire, affirmation de solidarité avec le destinataire, etc.)» (1996, p. 89).

L’édito est signé par un responsable de la publication ou du nom du journal, et l’éditorial même quelconque ne peut être neutre, il est «porteur de sens» d’où notre intérêt à cerner de plus prêt ce type particulier d’énoncé qui peut nous donner des indices sur la personnalité du journal et mieux comprendre le désir de ses fondateurs.

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Î Analysons cet édito en lui appliquant la grille de lecture de Breton.

Remarquons d’abord sa discrétion : il est placé en page 3 du journal, qui est certes une page de droite dirons-nous assez visible, mais non une page qui attire d’emblée le regard du lecteur. Dans les quotidiens en général, l’édito est toujours placé bien en évidence, c’est à dire en une du journal, à l’extrême droite ou gauche (cela dépend de la construction du journal) mais sa visibilité est instantanée de manière à ce que le lecteur n’y échappe pas. Ici, l’édito surligné par un léger filet est un peu noyé dans la masse d’information de la page 3. Nous pouvons dire à première vue que ce choix d’emplacement montre clairement que le journal n’a pas voulu donner d’importance à cet édito ou que le fondateur voulait montrer sa présence tout en restant un peu en retrait. Mais en même temps, à y regarder de plus près, la photo du fondateur, l’air serein et conquérant, accompagnant l’énoncé est là pour canaliser volontairement le regard du lecteur. C’est lui, figure connue du monde entrepreneurial réunionnais et qui plus est fondateur du journal qui donne tout de suite du relief à l’article.

Bien qu’il soit très rare dans un quotidien que l’édito soit accompagné de la photographie de son auteur (cette pratique est davantage visible dans les magazines), on a voulu ici marquer le coup et signifier clairement qui dirige !

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Î Cherchons à identifier l’opinion, de quoi veut-on convaincre?

Incontestablement ce texte cherche à convaincre. Il s’articule autour d’une question en substance : pourquoi le lancement d’un quatrième quotidien dans l’île? L’opinion proposée est la suivante : le lancement de ce nouveau journal sera le fédérateur d’une nouvelle société plus compétitive et plus confiante.

Sur le fond, Le Réunionnais s’inscrit dès le départ dans une perspective de développement économique de la société réunionnaise «l’espoir passe obligatoirement par le réel développement économique de l’île».

Dès ce premier éditorial, Le Réunionnais véhicule un message sur la vie sociale. La partie majeure de son discours se concentre sur l’aspect économique et les occurrences en ce sens sont nombreuses : «valeurs fondamentales que sont le travail et le sens de l’effort», «environnement international conflictuel», « nos atouts sont connus : la jeunesse de la population», «l’appartenance à l’ensemble européen», «l’ancrage dans une région du monde où les potentialités de développement s’affirment »,

«réel développement économique», «espace indiaocéanien», «grand marché unique européen», «les réunionnais et les entreprises locales»,

«organisme végétatif toujours sous perfusion».

La sortie du journal est présentée comme un événement relativisé : Le Réunionnais n’arrive pas en terrain conquérant, seulement en quatrième position et il en est conscient, le contexte médiatique est déjà largement occupé par d’autres quotidiens locaux depuis plusieurs années. D’ailleurs il précise ne vouloir prendre la place de quiconque «le marché est seul juge» mais occuper un nouveau créneau pour «offrir un nouvel espace de liberté et de pluralisme».

Le Réunionnais comme beaucoup de journaux qui se lancent sur le marché médiatique, assure le lecteur de son indépendance politique : «Le Réunionnais est résolument indépendant de toute formation politique». Et

parti sera celui des Réunionnais et de leur diversité», phrase qui ouvre (titre de l’édito) et clôture le discours. Voilà donc la profession de foi du journal.

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ÎÎ Demandons-nous s’il s’agit bien d’un texte argumentatif?

L’exercice consiste ici à repérer dans un premier temps les figures de style puis les arguments. Ensuite nous essayerons de voir si les figures de style prédominent par rapport aux arguments ou viennent en appui à ces arguments.

Ici nous avons affaire à un argument d’autorité qui conjugue deux types de raisonnement : l’affirmation et la compétence. Le réel décrit (le marasme économique) est acceptable par le lecteur parce que la personne qui en parle a l’autorité nécessaire pour le faire : il est lui même chef d’entreprise et possède une certaine position hiérarchique. Cet argument d’autorité est renforcé par la photo du fondateur à droite de l’article qui donne ici l’image dominante d’un chef d’entreprise «serein».

De par sa position sociale et la fonction qu’il exerce au sein de l’économie locale (rappelons qu’il est à la tête de la plus grosse entreprise de bâtiment de l’île), ce recadrage du réel lui donne donc tous les droits. En effet, qui mieux qu’un chef d’entreprise qui a réussi peut parler de la manière de réussir? D’une certaine façon il inspire confiance.

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ÎÎ Concentrons-nous sur la dynamique argumentative et les arguments utilisés?

Dans le paragraphe 2, l’auteur décrit les faits : la société réunionnaise possède des blocages qui sont encore à vaincre : absence de repères, discrédit sur des valeurs fondamentales que sont le travail et l’effort, état de confusion…

international conflictuel de plus en plus difficile». Dans cette présentation des faits, l’auteur ne donne pas de solution mais il liste dans le paragraphe suivant une série d’atouts possibles dont dispose la société pour parvenir à une meilleure réussite (arguments économiques) :

- la jeunesse de la population,

- l’appartenance à l’ensemble européen,

- l’ancrage dans une région du monde où les potentialités s’affirment.

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Î Repérons les familles d’arguments :

Il opère également quelques répétitions dans le paragraphe 3 avec les mots «jeunesse». la «jeunesse de la population» précède «la jeunesse réunionnaise». Cette technique consiste à amplifier l’argument développé précédemment. Nous repérons la même figure de style un peu plus loin avec deux mots : «espoir» et «confiance» : «Besoin d’espoir…», «espoir qui passe obligatoirement par le réel développement économique de l’île » - «plus de confiance» et «porteur de cette confiance».

Nous avons repéré une autre figure de style au paragraphe 7 où l’auteur tente de recadrer le réel et sous entend que les lecteurs acceptent un

«organisme végétatif». L’organisme pourrait être remplacer par

«système» ou «économie», mais aucune explication n’est donnée au lecteur. Dans cette phrase il sous entend que les Réunionnais végètent et doivent agir pour sortir de ce marasme économique. L’argument se fait par la mise en scène d’une résonance entre ce qui est déjà connu

«toujours sous perfusion» et ce que l’on propose de croire «organisme végétatif» : le scripteur estime que les réunionnais ont conscience de cet état «sous perfusion» renforcé par le pronom «toujours» (c’est sa thèse) et qu’il ne faut pas accepter cet état de fait. Il utilise d’ailleurs le pronom

«nous» se confondant ainsi avec l’auditoire, se mettant en quelque sorte à la même hauteur que le lecteur pour donner plus de poids à son argument et lui montrer qu’il partage le même sentiment. C’est le cœur, la sensibilité

du lecteur que l’auteur tente d’atteindre. C’est un argument de type conservateur.

ARTICLE 2 – 14 mars 1993 Titre : «Cent pour cent fidèles»

Signature : La rédaction

Il s’agit d’un appel de une apparaissant à sa place habituelle (à droite) sur une colonne grisée et en encadré. L’article est bien visible et titré «Cent pour cent fidèles». Il est signé «La Rédaction». Nous l’avons reproduit ci-après, la numérotation des paragraphes est de nous.

«Cent pour cent fidèles»

1. Cent jours. Cent matinées de présence. Et des milliers d’heures pour être là. Simplement. Sans fards. Par conviction. Certains vous diront par obstination.

2. Le Réunionnais existe. Et vit, malgré les augures classiquement pessimistes qui veulent que tout ce qui se crée dans l’île soit voué aux gémonies. Et que l’enfer attende les novateurs trop confiants.

3. Un journal ne se fait pas sur un coup de tête. Ni sur un bilan à réinvestir. Il se fait sur un choix. Celui du parler vrai. Et sur une volonté : celle d’expliquer, de détailler à chacun ce que dit la vie de tous les jours. Au-delà des langues de bois et des discours politique-affairistes.

4. Le Réunionnais, n’est pas le journal d’un parti. Il veut être le journal de la raison. Même si la raison, parfois, dérange. Et si le «parler

5. Et si aujourd’hui Le Réunionnais est heureux de sortir son centième numéro, c’est grâce à ses lecteurs chaque jour de plus en plus nombreux à nous faire confiance.

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ÎÎ De quoi veut-on convaincre?

Que Le Réunionnais a réussi à s’implanter dans le paysage médiatique.

D’ailleurs du paragraphe 1 au paragraphe 3, le journal insiste sur cette présence et, sur un ton de revanche masqué, sous-entend que cette réussite n’a pas été facile.

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Î Dynamique argumentative et arguments utilisés?

Au-delà du jeu de mot évident : «Cent pour cent» écrit en toutes lettres qui est un clin d’œil au numéro 100 qui paraît ce jour là, d’emblée, le titre tente de courtiser le lecteur. Il s’agit ici d’un argument mathématique approximatif. Si ce terme 100 % est couramment employé dans le domaine publicitaire, nous pouvons nous interroger ici sur l’efficacité de cette argumentation. «Cent pour cent fidèles», n’est qu’une affirmation purement personnelle du journal lui-même. Il parle en son nom propre. Et difficile dans l’absolu de vérifier l’exactitude de cette information pour le lecteur qui n’a en aucun cas accès aux chiffres de vente du journal.

Puis l’auteur poursuit sur sa lancée, pour prouver que cette «fidélité maximum» est réelle, il a recours à une amplification consistant à insister sur le terme cent : «Cent jours» ; «cent matinées de présence» et l’amplification se poursuit sur un chiffre encore plus spectaculaire «des milliers d’heures pour être là». Dans ce paragraphe 1 et jusqu’au début du paragraphe 2, il emploie des phrases courtes, le plus souvent sans sujet/verbe/complément, avec seulement un sujet/un verbe «Le réunionnais existe», parfois seulement un adjectif «Simplement» ; «sans

ces déclarations qui donnent peut-être cette impression d’ampleur mais ne sont en aucun cas prouvées.

Au paragraphe 3, l’auteur quitte le champ mathématique approximatif pour entrer dans le champ de la rhétorique argumentative, tentant encore une fois de courtiser le lecteur toujours en employant des formules courtes avec amplification et accentuation de certains passages destinées à toucher le lecteur «un journal ne se fait pas sur un coup de tête. Ni sur un bilan à réinvestir. Il se fait sur un choix. Celui du parler vrai. Et sur une volonté : celle d’expliquer». Si l’amplification constitue une forme très convaincante de présentation du réel, encore faut-il que l’information soit fiable. Or, ici, les informations sont douteuses ce qui réduit considérablement leur efficacité.

Cet argument d’amplification est encore présente au paragraphe 4, lorsque l’auteur parle des raisons d’être du journal. «Le Réunionnais n’est pas le journal d’un parti» ; «il veut être le journal de la raison» ; «même si la raison parfois dérange». À la fin de ce paragraphe, l’auteur emploie une analogie «après tout ce n’est pas en caressant le dodo dans le sens de la plume, qu’on lui donnera du poil ». Cette phrase sous entend que le journal veut justement faire l’inverse de ce qui est admis.

Remarquons au passage la récurrence de l’auto-citation : «Le Réunionnais» ou «le journal» sont employés à six reprises du début à la fin du texte pour les mêmes raisons déjà évoquées dans des discours précédents : «le Réunionnais n’est pas le journal d’un parti» ; «au-delà des langues de bois et des discours politique-affairistes».

Commentaire : il est évident que cet article tente de courtiser le lecteur et donc de le convaincre. C’est d’ailleurs ce dernier qui est directement interpellé en substance du début à la fin du texte. Certaines informations sont seulement enrobées de manière différente et ainsi ré-employées,

toutes ces redondances sont de nature vaseuse. Aucune valeur scientifique ne peut être accordée à ce chiffre approximatif de 100 % donné par le journal. Un chiffre qui ne peut être en aucun cas vérifiable par le lecteur. Ce texte relève plutôt de la rhétorique que de l’argumentation. Il affirme, courtise, impose, se venge, se délecte, s’auto-félicite… bref, en un mot, il se fait sa pub et ressemble davantage à un billet d’humeur qu’à un appel de une.

ARTICLE 3 – 22 novembre 1993

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