Conclusion & prospectives

Toutes ces conclusions confirment l’idée que «d’une manière générale, pour accompagner son développement, la société réunionnaise «importe»

des dispositifs techniques et sociaux conçus et appliqués ailleurs – en France métropolitaine essentiellement – puis les réinterprète pour mieux se les approprier» (Watin, 2001 : 255) et que nous sommes bien «en présence d’une presse d’information qui agit à l’échelle d’une entité géographique insulaire comme le ferait une presse nationale à l’échelle des contours d’un pays» (idem : 118).

Partant de cette constatation, il est permis de s’interroger sur le choix stratégique des fondateurs. Pourquoi Le Réunionnais a t-il été crée dans un tel contexte social? Pourquoi également avoir choisi d’importer le modèle du Parisien, un format «tabloïd» destiné à un public particulier dans un contexte urbain, si l’on en croit Mouillaud et Tétu qui attribue le développement de la presse ”tabloïd” «aux exigences de la lisibilité en site urbain. La lisibilité pose un problème qui est à une autre échelle que le transport du journal. Elle peut être mise en rapport avec un ensemble de phénomènes liés aux processus de l’information, ou, en termes plus sociologiques, de la «distinction» (Bourdieu). Partout en effet, où une grande quantité d’items se trouvent en situation de concurrence, des processus d’ordre tendent à lutter contre la menace de l’entropie» (1989 : 195).

Contrairement à l’Angleterre où il est né, ce type de format n’a jamais connu un réel développement en France, notamment dans la presse quotidienne régionale. Le Parisien lui-même qui avait inauguré sa formule

«tabloïd» en 1989 a du rénové sa maquette après des difficultés commerciales importantes. En d’autres termes, pourquoi avoir importé à la Réunion un modèle voué à l’échec en Métropole? Et pourquoi n’avoir réalisé aucune étude de marché préalable pour connaître les attentes du lectorat réunionnais avant de se lancer dans un tel projet?

Il semble en effet surprenant qu’aucune étude de marché n’ait été réalisée avant le lancement de ce journal alors même qu’elle paraît nécessaire, voire impératif, dans un tel contexte de concurrence. Mais par ailleurs, une seule étude de marché aurait-elle suffit à maîtriser les attentes d’une société créole «télescopée» soumise à des transformations rapides que Watin (2001 : 77) résume «comme le passage d’une société de Plantation, d’ordre traditionnelle, rurale et paysanne, vers une forme de société industrielle moderne, de masse et urbaine d’inspiration métropolitaine». En moins de trente ans, la Réunion a connu des changements que les pays industrialisés ont mis un siècle à ingérer. Cette évolution brutale a ainsi donné naissance à une société créole hybride où coexiste deux univers : la tradition et la modernité «qui s’interpénètrent ici et maintenant pour produire une forme originale de modernité réunionnaise» (Idem, 2001 : 77) qu’il faut appréhender dans sa globalité pour en saisir toute la particularité dans une société insulaire où tout reste à faire dans beaucoup de domaines et le champ qui nous intéresse particulièrement : les médias. «La description historique du développement des médias de masse est en cours ; il importe maintenant de mieux appréhender la position particulière d’une presse quotidienne régionale s’inscrivant dans le territoire local mais qui apparaît, de fait, comme une presse « nationale » à l’échelle de l’île. Il reste également à comprendre une sociologie des acteurs des médias, tout comme une analyse de leurs pratiques dans le contexte particulier d’une société insulaire (Watin, 2001, p. 256). Voilà qui ouvre des perspectives à une étude plus approfondie. D’autant plus que la presse quotidienne régionale dans son ensemble est aujourd’hui confrontée à de nouveaux bouleversements face à l’émergence des nouvelles technologies de la communication.

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