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SYNTHÈSE ET DISCUSSION

La relecture des travaux réalisés sur le thème de la sexualité des handicapés mentaux au cours des vingt dernières années suscite les commentaires suivants.

LEMALENTENDU

Ce travail réalisé au début des années 80 a connu un vif retentissement dans le champ du “handicap mental”. Le malentendu s'est manifesté sous une première forme lorsque j'ai été investi du statut d'expert en matière de

"sexualité des handicapés mentaux". J'ai donc été appelé à intervenir, en France et ailleurs, sur ce sujet. Mes interlocuteurs ont souvent pensé que je venais leur parler d'une réalité à laquelle ils n'avaient pas accès eux-mêmes. J'ai tenté de comprendre ce malentendu en revenant sur mon travail et sur les approches théoriques menées sur les représentations sociales. En effet, certains auteurs considèrent que les représentations s'imposent en premier lieu par le caractère d'évidence qu'elles revêtent pour ceux qui les formulent et les utilisent (Herzlich, 1972).

J'ai donc pensé que les représentations que j'avais mis à jour et "cristallisé" dans mon travail "collaient" tellement avec les expériences des acteurs de terrain que ceux-ci avaient occulté le fait que j'avais traité - et n'avais traité que - de leurs représentations.

Je me suis souvent trouvé dans l'embarras de devoir avouer que je n'avais jamais étudié "la sexualité des handicapés mentaux". J'avais simplement écouté des éducateurs et des parents parler de ce sujet dans différentes circonstances et c'est leur "savoir" en la matière que j'avais tenté de comprendre et de questionner, beaucoup plus en référence à eux-mêmes comme sujets parlants qu'en référence à la réalité de "la sexualité des handicapés mentaux".

Cette méconnaissance me semble liée au contre-transfert des professionnels et aux attitudes des parents qui préfèrent éviter de s'interroger sur leur propre implication et leurs difficultés dans leur rapport et leur confrontation aux personnes handicapées mentales. Le problème se trouve alors déplacé. Alors que, dans des situations de formation, on vient pour parler tranquillement des autres, on se retrouve convoqué à devoir parler de soi. Cette situation recèle une dose importante de violence. Et il est parfois arrivé que des séances de formation sur "la sexualité des handicapés mentaux" provoquent des

frustrations et des conflits parmi les professionnels venus pour écouter un exposé technique sur d’autres qu’eux-mêmes. Il y avait eu erreur sur la marchandise qui devait être fournie et au lieu d'apporter des recettes sur la façon d'accommoder "la sexualité des handicapés mentaux", j'apparaissais comme celui par qui le scandale arrive, à savoir la mise à jour de l'implication des membres de l’entourage des personnes handicapées mentales.

Tout ceci illustre les difficultés que l'on rencontre lorsque l'on est confronté à des groupes qui veulent enfin "parler de la sexualité".

PERMANENCEETCHANGEMENTDESREPRÉSENTATIONS

La demande sociale et les préoccupations des acteurs impliqués dans le champ du handicap a pris des formes différentes qui peuvent être interprétés en termes de permanence et de changement des représentations.

Dans un premier temps, les acteurs et les responsables de l’administration avaient exprimé des préoccupations concernant l’exercice même de la sexualité des handicapés mentaux dans les institutions. La demande n’était pas formulée de manière précise et c’est l’ensemble de la sexualité de ces personnes qui était représentée comme un “problème”. La représentation préalable de la sexualité de ces personnes par les acteurs professionnels et les familles, comme un

“problème important” a permis la réalisation de travaux de recherche. C’est encore l’élucidation de ces représentations qui a connu un retentissement social important grâce au malentendu dont les travaux sur les représentations ont été l’objet. Par contre, les travaux qui ont tenté d’explorer plus en détail les facteurs psycho-sociaux qui sont à la racine de la construction de la représentation de la sexualité des handicapés mentaux comme un problème et qui suscite un

“malaise” chez les professionnels ont connu un moindre retentissement.

Par la suite, la formulation de la demande sociale a évolué. Le développement de l’épidémie de VIH-sida a suscité des inquiétudes parmi les entourages des personnes handicapées mentales. La nécessité de mettre en oeuvre des stratégies de prévention adaptées aux caractéristiques de ces personnes a dévoilé par contre-coup la pratique fréquente de la stérilisation, en même temps qu’elle a révélé les modes de contrôle exercés sur la vie sexuelle des personnes handicapées mentales et les représentations qui guident ces pratiques.

Ainsi, l’émergence de problèmes sociaux, tels que la contraception, la stérilisation, la prévention du VIH-sida ou les abus sexuels, qui prennent plus d’acuité du fait de la vulnérabilité attribuée aux personnes handicapées mentales ont favorisé le développement des recherches et ont permis de traiter

des représentations de la sexualité des handicapés mentaux à partir d’entrées différentes, donnant à chaque fois des éclairages différents et confirmant la structure bipolaire des représentations, élaborée lors de la première recherche.

Au delà des différentes entrées par lesquelles on aborde la question de la sexualité des handicapés mentaux, il a été possible de noter la permanence de la représentation bipolaire de la sexualité des handicapés mentaux qui sous-tend et organise le renouvellement apparent des représentations suscitées par l’émergence des “nouveaux problèmes” (en ce qui concerne le sida) ou des

“problèmes permanents” dont les acteurs prennent le plus souvent conscience sous l’effet d’événements qui se déroulent dans les institutions. En effet, “tant qu’il ne se passe rien”, c’est à dire que l’on n’est pas confrontés à des grossesses considérés comme non-désirées, à des abus sexuels ou à la découverte de cas de contamination par le VIH, il reste possible de nier explicitement l’existence de pratiques sexuelles chez les personnes handicapées mentales. Les choses se gâtent dès “qu’il se passe quelque chose”, c’est à dire l’un des événements cités plus haut et les modes de gestion ainsi que les représentations considérés comme “évidents” sont remis en question. Mais en même temps, une fois que l’on est confronté à l’une de ces situations, il reste toujours possible de maintenir le clivage et la bipolarité des représentations en lui donnant une nouvelle apparence.

L’analyse des représentations de la sexualité des handicapés mentaux a par ailleurs mis en évidence la nécessité d’étudier l’évolution historique des représentations. En effet loin de permettre de situer et de rejeter dans un passé révolu certaines représentations ou certaines de leurs dimensions, la mise en perspective historique de l’évolution des représentations permet de dresser une sorte de carte topologique des différentes représentations à l’oeuvre présentement dans le champ social et à l’oeuvre chez chaque individu. Cette démarche qui consiste à établir une homologie de structure entre les diverses représentations et pratiques repérables au cours de l’histoire a été mise en oeuvre par Luc Boltanski à propos des méthodes d’éducation de la prime enfance. (Boltanski, 1969). Par ailleurs, Georges Devereux a appliqué cette problématique de l’homologie de structure à l’analyse de la diversité culturelle dans son travail sur l’avortement dans les sociétés primitives (Devereux, 1955).

Ces démarches mettent en évidence que le répertoire des représentations n’est pas illimité et que des représentations qui peuvent apparaître comme nouvelles comportent au centre de leur structure des représentations anciennes.

L’étude des représentations de la sexualité des handicapés mentaux peut ouvrir deux perspectives de recherche différentes.

D’une part, les études menées dans ce champ constituent un élément dans un programme global d’étude des représentations de la sexualité dont elles constituent un cas particulier, voire même un miroir déformant. Les représentations de la sexualité des handicapés mentaux constituent un cas particulier, presque un modèle expérimental, qui nous renseigne sur les représentations de la sexualité dans leur généralité. En effet, les personnes et les groupes sociaux qui s’expriment sur “la sexualité des handicapés mentaux”

sont situés dans une société et dans une culture qui définit des normes sociales de l’exercice de la sexualité lesquelles sont appliquées au groupe dit des handicapés mentaux. Les représentations de la sexualité des handicapés mentaux exprimeraient ainsi en négatif les conditions de l’exercice considéré comme normal de la sexualité, dont les handicapés mentaux ou certains d’entre eux sont exclus du fait des caractéristiques qui leur sont attribuées.

Inversement les représentations de la sexualité des handicapés mentaux ne peuvent être comprises que si elles sont resituées dans l’ensemble des représentations qui construisent l’objet sexualité.

D’autre part, l’étude des représentations de la sexualité des handicapés mentaux conduit à la nécessité d’élucider les représentations dont le handicap et les personnes handicapées sont l’objet.

Le programme de recherche a porté au cours des années qui ont suivi sur l’étude des représentations du handicap et des personnes handicapées.