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REFUS D ' ENGAGEMENT DANS LES ESSAIS VACCINAUX CONTRE LE VIH

PROBLÉMATIQUE

Nous avons tenté de décrire et d’expliquer les représentations qui sont élaborées par des individus qui ont déclaré refuser de s'engager dans des essais vaccinaux contre le VIH. L'analyse de leurs représentations permet de comprendre les significations qui sont à l'oeuvre, dans le refus de s'engager dans ce type d'essai, mais aussi par comparaison celles qui sont élaborées par les volontaires .

La perspective de la psychologie sociale clinique (Revault d'Allonnes et al.

1989) adoptée dans cette étude, nous a conduits à interroger ces significations comme des manifestations de la subjectivité dans un contexte spécifique. Dans le précédent travail nous avons pu observer que d'une part, de nombreux candidats aux essais de phase 1 ont inscrit leur candidature dans une perspective de "donner son corps à la science"; d'autre part, lors des appels publics à candidature, les investigateurs ont reçu des lettres d'injure très critiques à l'égard d'une expérimentation sur le sida utilisant des volontaires humains.

Qu'il s'agisse d'une adhésion positive aux essais ou d'un refus exprimé violemment, les personnes ont eu recours à de nombreuses métaphores qui débordent du langage scientifique d'un essai vaccinal (Giami, Lavigne, 1996).

Cette situation nous a rappelé que la science, l'imaginaire et l'irrationnel entretiennent des relations complexes, que la science est portée par l’imaginaire et que les découvertes scientifiques s’intègrent dans l’imaginaire social (Puiseux, 1992; Ponnau, 1994; Lecourt, 1996).

Une revue de la question a mis en évidence l'influence qu'exercent les représentations de l'affection concernée, des sujets et des bénéficiaires potentiels de l'expérimentation, des rôles et des pratiques médico-scientifiques, sur les motivations à se porter volontaire dans une expérimentation médico-scientifique. Les résultats contradictoires de ces recherches indiquent qu'il est problématique d'opposer d'une part, la rationalité, la modernité, la santé psychique, le haut niveau d'éducation et l'altruisme de ceux qui acceptent de donner leurs organes ou de se porter volontaires pour des expérimentations, et d'autre part, l'archaïsme, l'irrationalité, les perturbations psychiques, et le manque d'altruisme de ceux qui refusent de le faire. L'ensemble de ces composantes psycho-sociales apparaissent partagées, à des degrés divers, par les volontaires et les non-volontaires. Certains de ces travaux montrent bien

comment la force des motivations (positives ou négatives) et le poids des représentations viennent interférer avec la compréhension des informations relatives aux expérimentations, aux substances injectées ou aux organes prélevés mettant en question le caractère "informé" et rationnel du consentement requis (Hecht, 1993; Pedinielli, 1993; Silvestre, 1995).

L'engagement aussi bien que le non-engagement peuvent ainsi être considérés comme comprenant une dimension "irrationnelle".

L'approche par les représentations permet de donner un sens à des phénomènes considérés, à première vue, comme "irrationnels" et de leur restituer la cohérence et la rationalité intrinsèques qui s'y trouvent exprimées, au delà de l'expression considérée comme "erronée" et qui reste un phénomène de surface. "L'hypothèse intellectualiste selon laquelle le développement de la culture et de la pensée scientifique dissiperait les croyances doit être abandonnée au profit d'une interrogation sur les raisons d'être d'une telle coexistence." (Druhle, 1996, p. 13).

Ainsi, au lieu de considérer que les représentations reflètent un “retard” du sens commun ou une “insuffisance” de rationalité face à l'avancement de la science, il convient de considérer que les élaborations représentationnelles constituent une forme structurelle de réponse aux avancées scientifiques qui se situent en autonomie relative par rapport à celles-ci. Les représentations ne viendraient pas suppléer à une connaissance défectueuse ou dépassée mais prendraient appui sur les informations disponibles et dispersées, en les condensant, pour exprimer indirectement des positions difficilement explicitables au regard des normes et des contraintes sociales, ou peu ou pas accessibles à la pleine conscience des individus. Ainsi loin d'être réductibles à des "erreurs" ou des "fausses croyances" 13, les propos, une fois décodés comme des représentations, exprimeraient une certaine vérité du sujet et de son rapport aux objets qui sont effectivement représentés au travers de la représentation d'un objet. Il est donc nécessaire de bien distinguer d'une part, les représentations dont la science et les scientifiques font l'objet dans leur globalité et d'autre part la façon dont les connaissances scientifiques sont interprétées et réélaborées par le public. En d'autres termes, les représentations que les personnes interrogées élaborent au travers de leurs supposées "erreurs"

constituent des métaphores de leurs rapports au sida, de leurs relations aux personnes atteintes par cette affection et de leurs perceptions de la médecine et de la science.

Concernant plus particulièrement le sida, cette situation et renforcée par le fait

13 Comme on peut le lire dans un certain nombre de publications sur la “perception sociale” du sida, et comme si une croyance pouvait être vraie ou fausse ... mais ceci est une autre histoire.

que les malades du sida ont été très précocement et, durablement, représentés dans le registre de l'altérité et que cette représentation remplit une fonction défensive à l'égard d'une identification envers ceux-ci (Gilman, 1988). La question centrale est donc bien d'identifier ce qui se représente au travers d'une représentation des vaccins, dans le contexte d'un refus de se porter volontaire pour des essais vaccinaux contre le VIH.

Nous avons fait l'hypothèse que la méconnaissance observée chez les "non-volontaires" au travers de leurs représentations des substances vaccinales reflète leur position subjective à l'égard de ce que eux-mêmes ont qualifié de

"monde du sida" et à l'égard de la médecine et de la science. S'agissant d'un groupe de personnes dont on sait par ailleurs qu'il a accès à l'information scientifique, cette méconnaissance ne peut donc être attribuée uniquement à un déficit de connaissance. D'autant plus que les messages scientifiques présentent, à la source, des ambiguïtés importantes.

L'analyse des propos tenus par un groupe de personnes, considérées a priori comme des volontaires potentiels mais ayant, au cours des entretiens, déclaré refuser de s'engager dans des essais vaccinaux contre le sida a permis de mettre en lumière les fondements des processus de méconnaissance qui ne sauraient être réduits aux lacunes des processus de transfert de connaissances.

R ÉSULTATS

Nous avons tenté de montrer comment le refus de s'engager dans des essais vaccinaux contre le VIH est ancré dans un système de représentations qui associe terme à terme des représentations des substances vaccinales, des types de volontaires et les démarches qui les animent, ainsi que des représentations de la recherche médico-scientifique. Compte tenu du niveau élevé d'éducation et de formation scientifique des personnes interrogées, il est difficile d'expliquer les différentes formes de méconnaissance qui sont développées à propos des mécanismes d'action des substances, par les lacunes de l'information scientifique. Ces différentes formes de méconnaissance (vaccin égal virus; vaccin égal remède; vaccin égal protection) peuvent être expliquées à l'aide des représentations des personnes considérées comme pouvant se porter volontaires pour de tels essais ou en être les bénéficiaires potentiels.

Prenant appui sur les ambiguïtés structurelles des messages scientifiques concernant la notion de vaccin, le refus d'identification oriente ainsi la

méconnaissance des mécanismes d'action des substances vaccinales.

Partant d'une assimilation entre la participation volontaire à une expérimentation entraînant une contamination par le virus, et certains des comportements à risque, les personnes interrogées ont esquissé les contours de leurs représentations d'un "monde du sida" auquel ils ne s'identifient pas. Le refus de s'engager dans une démarche de prise de risque perçue comme

"incompréhensible" peut être interprété comme un refus de l'identification au

"monde du sida" : "on n'est pas comme ceux qui cherchent à se contaminer par tous les moyens et donc, on ne prend pas le risque de se contaminer". La seule voie entrouverte à une identification au "monde du sida" repose sur la prise en compte de la souffrance d'un malade. Un clivage est ainsi établi entre d'une part, un "monde du sida" représenté principalement sous l'angle du sexe, et, d'autre part, la souffrance attribuée à la maladie. Ce clivage organise l'identification possible envers certaines catégories de personnes atteintes et celle qui reste impossible à l'égard d'autres catégories de personnes. La peur suscitée par le risque d'infection est renforcée par les incertitudes, les controverses scientifiques et les enjeux politiques dont le sida fait l'objet. Enfin, cet ensemble de peur et d'incertitude prend place dans un climat de crise de confiance à l'égard de la médecine.

La représentation des personnes censées s'engager dans un essai pour un

"vaccin-remède" renvoie en premier lieu aux "malades du sida". Ce que les personnes interrogées ne sont pas et n'ont pas envie de devenir. En outre, la condition de malade suscite la représentation du malade qui est utilisé à son insu comme un "cobaye". Dans les deux cas on assiste à un refus d'identification avec les personnes ainsi désignées. Par contre, le seul cas de figure pouvant comporter une identification des personnes interrogées concerne la démarche de personnes proches, et notamment de personnes proches d'un enfant atteint. Il s'agit dans ce cas d'aider à sauver une "victime".

Le refus d'identification avec le "monde du sida" - qu'il s'agisse des personnes

"à risque" de contamination, celles déjà contaminées et les malades - a fourni la clef de nos interprétations. Ce refus d'identification est constitué d'un ensemble comprenant la peur de la maladie liée au risque mortel qu'elle fait courir, le rejet conscient et la fascination inconsciente pour la sexualité associée au

"monde du sida", le rejet face à une démarche qui est assimilée à un désir de contamination active (Lisandre, 1996). La seule identification partielle à cet univers porte sur la souffrance liée à cette maladie et sur la figure de l'enfant malade auquel il est nécessaire de porter secours et assistance.

Ce système de représentations est schématisé dans le tableau suivant :

Tableau 2 : Représentations des essais vaccinaux

MÉCANISMES D'ACTION

DES SUBSTANCES TYPE DE VOLONTAIRE DÉMARCHE DU

VOLONTAIRE SCIENCE / MÉDECINE

Vaccin = Prévention efficace Groupes à risques :

Individus ayant les pratiques

Ce travail confirme donc qu'il est difficile de considérer que les représentations du sida et des personnes atteintes par cette affection sont homogènes et qu'elles structurent des attitudes univoques.

DISCUSSION :

LES RECHERCHES EN SCIENCES SOCIALES