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PORNOGRAPHIE ET REPRÉSENTATIONS DE LA SEXUALITÉ

Cette étude vise, à explorer la place et le statut du préservatif et du safer sex dans le système de représentation que constitue la pornographie et à repérer certaines des représentations de la sexualité qui sont à l'oeuvre parmi les acteurs et les actrices qui travaillent dans le champ de la pornographie

Différents travaux ont traité de la pornographie comme système de représentations. Pour Gagnon et Simon (1973) la pornographie constitue un

"script social" de la sexualité dont les contours sont dessinés par ce qui est considéré comme illicite dans la société. Pour ces auteurs, les représentations pornographiques ne mettent en scène des actes sexuels licites - des relations conjugales - que s' ils se déroulent dans des contextes "illicites" ou inhabituels.

Inversement, ces représentations mettent plus souvent en scène des actes sexuels illicites ou inhabituels ou considérés comme déviants.

L'analyse de la pornographie comme système de représentation peut donc permettre de décrypter les systèmes d'opposition qui régissent les représentations de la sexualité et les thèmes et les aspects de l'activité sexuelle qui sont considérés comme source d'excitation. En outre, l'étude de l'évolution historique et sociale de la pornographie permet de comprendre les significations de l'activité sexuelle dans une culture donnée (Arcand, 1991).

L'étude des représentations des acteurs du X n'a pas fait l'objet de nombreux travaux. Les travaux de Robert Stoller, fondés sur l'écoute psychanalytique attentive d'un groupe d'acteurs du X et notamment du "S&M" (sado-masochisme entre adultes consentants) permettent de comprendre le rôle que jouent certaines représentations sexuelles dans la genèse de l'excitation et de l'identité sexuelles (Stoller, 1991a et b; Stoller, Levine, 1993).

Nous avons fait l'hypothèse que la pornographie constitue un miroir grossissant permettant de comprendre les représentations de la sexualité, au niveau de la culture.

Notre travail porte principalement sur la pornographie destinée, a priori, aux hétérosexuels. Il est cependant difficile d'affirmer que ce milieu n'a pas de contacts avec les milieux de la pornographie et de l'érotisme homosexuels. On sait que certaines entreprises réalisent des produits destinés aussi bien aux hétérosexuels qu'aux homosexuels. On sait aussi que les magazines et les films vidéos destinés aux hétérosexuels proposent des représentations mettant en scène des "lesbiennes". On sait que certains modèles masculins posent dans

des supports destinés aux homosexuels et aux hétérosexuels. On connaît beaucoup moins bien les pratiques du lectorat par rapport aux différents types de supports médiatiques et en fonction du critère de leur orientation sexuelle explicite ou fantasmatique. Ces remarques permettent de considérer que des thèmes explicitement homosexuels peuvent participer de la construction des scénarios imaginaires et des représentations de la sexualité destinées aux hétérosexuels.

Dans cette recherche, deux types d'interviews ont été confrontés. D'une part les interviews réalisés auprès des acteurs du X les plus populaires et publiés dans des "magazines de charme". D'autre part, j'ai réalisé un petit nombre d'entretiens approfondis auprès de certains de ces acteurs et actrices. Les analyses ont visé à comprendre les décalages entre des discours publics sur la sexualité et la prévention de la transmission sexuelle du VIH et des discours recueillis dans un contexte privé, ne visant pas la publicité des propos recueillis, dans les mêmes espaces publics.

LESENTRETIENSPUBLIÉSDANSLESMAGAZINES

Le "genre" de l'interview de la star du X est très répandu dans la “presse de charme”. Ces interviews donnent au lecteur l’illusion d'entrevoir la vie de la star au delà de ce qu'elle donne à montrer à l'écran, notamment ses sentiments et réflexions par rapport à son activité, ses ragots sur les uns et les autres, ses projets professionnels et éventuellement quelques aspects de sa vie privée.

Paradoxalement, alors que dans la presse dite "People", on s'attache surtout à faire état des histoires sentimentales et sexuelles des "grands de ce monde", les aspects non-sexuels de l'existence de ces actrices sont souvent mis en avant. Par ailleurs, le thème du sida est désormais souvent abordé d'une façon ou d'une autre dans ces interviews.

Comme dans toute situation d'interview où l'interviewer "dit pour faire dire"

(Blanchet, 1991), il faut considérer que l'entretien journalistique est très construit par l'interviewer en ceci qu'il exprime au moins autant la ligne éditoriale d'un journal que l'opinion de celui ou celle qui est interviewé. Ce type d'interview reflète donc au moins autant les questions du journaliste que celles que se pose la personne interviewée. C'est en ce sens que l'on peut dire que ces interviews reflètent les préoccupations de l'ensemble du milieu de la pornographie.

LESENTRETIENSRÉALISÉSAUPRÈSDESACTEURSDUPORNO

Nos entretiens ont porté sur un tour d'horizon du champ de la pornographie et de la sexualité. Nous avions souhaité introduire le thème du sida de manière marginale de façon à mieux saisir les significations de l'activité sexuelle dans le contexte de l'activité professionnelle de ces acteurs.

Ce mode de conduite des entretiens était fondé sur une hypothèse concernant les représentations de la sexualité dans le contexte du sida.

Les représentations de la sexualité sont structurées par un clivage qui oppose

"bonne" et "mauvaise" sexualité. Ce clivage de la représentation de la sexualité a des effets sur la représentation des partenaires qui participent à l'un ou l'autre de ces deux aspects de l'activité sexuelle. C'est aussi dans ce cadre de signification que les pratiques éventuelles de prévention peuvent trouver leur place, dans le contexte d'une "bonne" ou d'une "mauvaise" sexualité. (Giami, 1993 a, Gilman, 1985). Il apparaît ainsi que le recours aux moyens de prévention contre le VIH est loin d'être systématique pour tout rapport sexuel.

Les individus éprouvent la nécessité de se protéger en fonction de la signification qu'ils donnent à leur activité sexuelle. C'est en fonction de cette hypothèse qu'il est nécessaire d'étudier les représentations de la sexualité (type d'activité sexuelle et type de partenaire) et leurs liens avec les représentations du sida. Enfin, ces représentations de la sexualité sont rendues plus complexes du fait de l'activité et de la stratégie professionnelle. Au niveau de cette analyse, nous avons tenté de replacer "l'activité sexuelle professionnelle" dans le cadre de la représentation globale de la sexualité.

LESPROTECTIONSIMAGINAIRES

Face à la difficulté d'imposer l'utilisation systématique du préservatif pour le tournage des scènes non-simulées, les acteurs mettent en oeuvre des stratégies de protection qui peuvent être qualifiées d'imaginaires en ceci qu'elles empruntent certains de leurs éléments aux informations disponibles sur la prévention du VIH, tout en étant construites et organisées pour aussi remplir d'autres fonctions (Mendès-Leite, 1994). Celles-ci sont multiples : rassurer les acteurs en servant de rationalisation et de justification à certaines de leurs pratiques qu'ils considèrent eux-mêmes comme à risque; les faire apparaître comme sensibilisés à un problème important qui est censé les concerner. En outre, les stratégies de protection dont les discours sont partie intégrante -sont à comprendre autant comme des éléments qui participent de la gestion des relations entre acteurs et de la gestion des carrières de ces derniers que comme une forme de protection contre la contamination par le VIH. Les thèmes de la

sélection des partenaires et du changement des pratiques sexuelles illustrent cette hypothèse. Ils sont déclinés différemment dans les interviews publiés dans la presse et dans les interviews recueillies lors de l’enquête.

Les interviews des acteurs du X publiées dans la presse, font apparaître que les acteurs sont à la recherche de toute solution permettant de concilier les impératifs de leur carrière (qui passent en premier) et la réduction des risques.

Tabatha Cash raconte dans différentes interviews "avoir pris des risques pendant 2 ans "sans y penser" avant de décider d'arrêter de tourner pour des films "hard". L'usage du préservatif apparaît pour l'instant comme un obstacle au développement d'une carrière qu'il faut contourner à l'aide de différentes stratégies. Par contre, parler du sida et se montrer préoccupé par le développement de l'épidémie ou la prévention ne semble pas contradictoire avec les objectifs professionnels, bien au contraire.

Dans les interviews recueillies lors de l’enquête, la distinction entre

"pornographie" et "érotisme", qui alimente les débats, constitue une surface de projection permettant d'identifier ce qui est vécu et construit par les acteurs comme "bonne" ou "mauvaise" sexualité. Le célèbre aphorisme de Alain Robbe-Grillet : "la pornographie, c'est l'érotisme des autres" retrouve toute son actualité dans cette analyse. On retrouve en effet cette distinction chez les acteurs et les producteurs du Porno. "L'érotisme" renvoie au type d'activité sexuelle et/ou de performance artistique qui est réalisé par le sujet lui-même et par ceux qu'il considère comme "siens". Ce sont les "autres" qui font de la

"pornographie". Celle-ci est perçue comme "vulgaire", "laide" et "sale" alors que l'érotisme est perçu comme "beau" et "artistique" et exprimant "l'amour de la vie". C'est au nom de cet "amour de la vie et de l'amour" que certains acteurs justifient la nécessité de la prévention du sida.

Concernant la sélection des partenaires sexuels, les acteurs du porno construisent une hiérarchisation et une opposition entre plusieurs types de partenaires. Les stratégies de protection empruntent le plus souvent, lorsque cela est à la portée de l'acteur ou de l'actrice, la sélection ou éventuellement le refus de travailler avec un partenaire "suspect" ou "peu connu". Lorsque le préservatif n'est pas utilisé, les acteurs justifient le non-usage à l'aide de la théorie suivante selon laquelle la pénétration sans éjaculation à l'intérieur du corps du receveur n'est pas à risque de transmission. Cette théorie repose sur une autre théorie sous-jacente selon laquelle les hommes peuvent transmettre le virus mais ne peuvent le recevoir en pratiquant une pénétration active. En

d'autres termes, les hommes et les femmes pensent que le risque majeur est pour celui qui est pénétré par l'autre.

L’analyse des différents discours observés dans la “presse de charme” et recueillis auprès des “acteurs du X” a permis d’identifier l’expression de finalités différentes. La mise à plat de ces différents types de discours permet de reconstituer les différentes facettes des représentations de la sexualité qui véhiculées dans et par le milieu de la pornographie. A l’instar de l’analyse des représentations de la sexualité des handicapés mentaux et des représentations décryptées dans les questionnaires, les représentations des “acteurs du X”

contribuent à leur tour à éclairer les représentations de la sexualité et permettent d’étayer l’hypothèse de la polarisation de ces représentations.