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Synthèse des auditions des commissaires à la lutte contre la pauvreté

Au premier trimestre 2021, le président du comité d’évaluation de la Stratégie pauvreté a auditionné quatorze commissaires à la lutte contre la pauvreté dont onze de régions de France métropolitaine et trois pour des départements d’Outre-mer.

Cette synthèse met en avant les éléments saillants de ces échanges et les points de vigilance sur lesquels le comité d’évaluation souhaite attirer l’attention.

Le profil, les missions et le positionnement des commissaires

Les commissaires sont tous, à une exception près, issus de la fonction publique d’État ou territoriale, certains étant passés de l’une à l’autre. En collectivité, ils ont le plus souvent occupé des fonctions de DGA ou DGS. Deux commissaires viennent de la direction générale à la cohésion sociale (DGCS), d’autres sont passés par les ARS.

Dans les territoires ultramarins, la mission de lutte contre la pauvreté est portée par un membre du corps préfectoral, secrétaire général de préfecture ou sous-préfet délégué à la cohésion sociale et à la jeunesse. Le caractère monodépartemental de ces territoires justifie ce choix. Les sous-préfets ne sont pas concernés par les constats portés sur le positionnement des commissaires métropolitains.

La plupart des commissaires ont leur bureau en préfecture de région ou dans les locaux du SGAR. La plupart d’entre eux peut s’appuyer sur un secrétariat partagé, mais ne dispose que rarement de chargés de mission dédiés.

Les missions confiées aux commissaires sont conformes au décret qui les encadrent et peuvent être déclinées dans une lettre de mission du préfet et/ou une feuille de route. Tous les commissaires affichent une motivation en adéquation avec leurs parcours et engagements professionnels antérieurs.

Leur positionnement vis-à-vis des préfets de département et des services de l’État est facilité par leur participation au comité de l’administration régionale (CAR), mais reste très dépendant de la configuration régionale. La présence de préfet délégué à l’égalité des chances (PDEC), ou les très grandes régions introduisent une médiation des services de l’État entre les conseils départementaux et les commissaires. Cette configuration les positionne plutôt dans une fonction d’animation régionale.

Les modalités de travail mises en œuvre dans les territoires autour de la stratégie comportent des figures imposées et des figures libres. L’organisation de conférences régionales et l’animation des groupes de travail sont des modalités d’animation des

réseaux d’acteurs prescrites par la DIPLP. En termes opérationnels, des comités de pilotage sont le plus souvent organisés au niveau régional et des comités de suivi au niveau départemental associant a minima les services de l’État et ses opérateurs.

Les commissaires entretiennent de bonnes relations de travail avec les services déconcentrés (ex-DRJSCS et DIRECCT) avec lesquels ils s’organisent en équipe projet.

La collaboration des rectorats et des ARS est plus difficile à obtenir. Au niveau des collectivités, les relations avec les élus restent plutôt du domaine des préfets. La majorité des commissaires travaille directement avec les services des conseils départementaux avec qui les relations sont relativement fluides. Les conseils régionaux sont plus en retrait sur la question de la pauvreté, les partenariats se nouant essentiellement autour de l’obligation de formation des 16-18 ans.

Les commissaires entretiennent de bonnes relations avec les réseaux associatifs qui apprécient de trouver en eux un interlocuteur au niveau régional. En revanche, les points de vue et les pratiques des commissaires divergent sur la participation des personnes concernées. Les plus acculturés à cette question ont à cœur de la développer et certains s’appuient sur des opérateurs expérimentés.

Le fait de disposer d’une enveloppe régionale contribue à les positionner dans le jeu d’acteurs local. Les commissaires l’utilisent pour passer des appels à projets régionaux ou pour répondre à des besoins locaux identifiés par les préfets de département. Certains soutiennent aussi l’essaimage d’actions exemplaires identifiées par les groupes de travail.

Les commissaires ont été recrutés à un haut niveau de compétence et de motivation.

Leur positionnement, très dépendant du contexte régional, reste fragile et constitue un point de vigilance au moment de la création des DREETS1. Le manque d’appui administratif est unanimement identifié comme un frein à la conduite de leurs missions.

Leur vision de la mise en œuvre de la stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté et de la contractualisation avec les départements

La démarche de contractualisation proposée par l’État dans le cadre de la stratégie a dans un premier temps été perçue comme une reprise en main des compétences propres des départements. L’allégement du pacte de Cahors2 et le respect par l’État de ses engagements financiers ont contribué à lever certaines préventions initiales.

1 Directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités.

2 Les contrats de Cahors sont des pactes financiers conclus en 2018 entre l’État et les collectivités dont les dépenses de fonctionnement étaient supérieures à 60 millions d’euros. Ils interdisent aux collectivités d’augmenter leur budget de fonctionnement de plus de 1,2 % par an. Ces contrats sont encadrés par l’article 29

Unanimement, les commissaires regrettent d’avoir été nommés après la signature de la première convention et de n’avoir pu infléchir leur contenu qu’au moment du premier avenant. Ils partagent toutefois un certain nombre de constats positifs quant à la plus-value de la démarche.

La contractualisation a permis de restaurer le dialogue avec l’État et entre les départements. Elle marque un changement de posture de l’État et un effort de transparence des départements sur des politiques déconcentrées depuis plusieurs décennies. Elle oblige les départements à mieux structurer leurs actions en termes d’objectifs et de moyens. Elle instaure une culture de l’évaluation inégalement développée jusque-là. En poussant les départements à améliorer l’efficacité de leurs actions et en réduisant l’hétérogénéité des pratiques, elle contribue à améliorer la qualité du service public et à renforcer l’équité territoriale.

Les commissaires identifient également les faiblesses de la démarche contractuelle et plus largement de la mise en œuvre de la stratégie.

L’adaptation aux besoins des territoires apparaît comme un point faible de la première génération de conventions. Le manque de temps et d’ingénierie disponibles pour réaliser les diagnostics et le caractère figé des conventions en sont les principales causes.

De même, les indicateurs adossés à la contractualisation n’ont pas été suffisamment concertés avec les collectivités qui ne les lisent pas de la même manière et ne disposent pas toujours des systèmes d’information pour les recueillir.

Les crédits engagés par l’État dans la contractualisation – sans être négligeables – semblent relativement modestes au regard des budgets des politiques sociales des départements. L’enjeu pour les commissaires est donc de donner à voir l’ensemble des moyens engagés par l’État dans la lutte contre la pauvreté, via les mesures nationales de la stratégie dont le poids budgétaire et l’impact sont plus déterminants. Ils se heurtent en cela à deux difficultés.

La première est une difficulté technique car les commissaires ne disposent pas d’un tableau de bord et de remontées d’informations leur permettant de suivre l’avancée de la mise en œuvre des mesures de la stratégie dans leur région. Certains l’ont constitué à leur niveau.

La seconde est liée à la coordination interministérielle autour de la pauvreté, car la cohérence de l’action de l’État est mise à mal par la multiplication des appels à projets ou

de la loi du 22 janvier 2018 de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022. Les conventions d’appui à la lutte contre la pauvreté et d’accès à l’emploi précisent que les dépenses du département correspondant à la part État de la convention ne sont pas prises en compte dans la norme d’évolution des dépenses de fonctionnement du pacte de Cahors. Les contrats de Cahors ont été suspendus en 2020 par la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19.

à manifestations d’intérêt ministériels qui s’émancipent de la stratégie. La protection de l’enfance, le plan « Logement d’abord » et le service public de l’insertion et de l’emploi sont les plus fréquemment cités. Ces procédures demandent beaucoup de travail d’une part et ne donnent pas une impression d’efficience à leurs interlocuteurs d’autre part. Plusieurs commissaires préconisent de réunir l’ensemble de ces dispositifs dans une convention cadre de type contrat de plan État-Région.

Pour les commissaires, la principale réussite de la contractualisation est d’amener de nouveaux enjeux et modes de collaboration avec les conseils départementaux1. Pour leur permettre de déployer avec succès l’ensemble de la stratégie dans les territoires et obtenir ainsi l’impact attendu sur la pauvreté, ils appellent de leurs vœux une meilleure coordination interministérielle.

L’impact de la crise sanitaire vu par les commissaires

La crise sanitaire a renforcé les coopérations entre acteurs. Elle a remis au premier plan les besoins essentiels comme la mise à l’abri, l’aide alimentaire et la santé.

La crise a aussi mis en évidence la fragilité du modèle associatif de l’aide alimentaire qui constitue pour eux un point de vigilance important dans le contexte actuel.

La crise a aussi déstabilisé les dynamiques d’insertion de nombreux bénéficiaires du RSA et anéanti les bons résultats de certains départements.

Globalement, les commissaires considèrent que les mesures prises par le Gouvernement sont adaptées aux problématiques de leurs territoires, notamment pour les jeunes. Ils pointent aussi le montant insuffisant de l’appel à projets dédié aux associations de lutte contre la pauvreté dans le cadre du plan de relance. Le ratio entre les crédits disponibles et la somme des demandes est de 1/10.

Pour les commissaires, la crise sanitaire a confirmé la pertinence de la stratégie et les a confortés dans leur engagement. Pour autant, elle a amoindri l’ambition transformatrice de la stratégie, avec un renoncement au moins temporaire au revenu universel d’activité et une « reministérialisation » des sujets.

1 En dehors du cas particulier des Outre-mer.

COMPLÉMENT 10

CONTINUITÉS ET DISCONTINUITÉS