• Aucun résultat trouvé

Après un an, quel regard portons-nous sur la stratégie de lutte contre la pauvreté du gouvernement ?

Le panel citoyen était content de se réunir une nouvelle fois, en présence des membres du comité d’évaluation, afin de poursuivre la réflexion engagée il y a plus d’un an sur l’évaluation de la Stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté.

Malgré la période très perturbée en raison de la crise sanitaire, il était important pour nous de poursuivre les travaux entamés jusqu’ici.

À la suite des interventions du samedi 9 janvier, plusieurs éléments ont positivement marqué notre attention.

‒ en premier lieu, nous sommes rassurés de constater que les objectifs fixés par la Stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté ont été maintenus malgré le contexte de pandémie ;

‒ la présentation d’un bilan intermédiaire de la Stratégie nous a permis d’apprendre que certains des objectifs ont été atteints depuis sa mise en application. Nous avons retenu que plus de 82 000 places en crèche ont bénéficié du bonus « Mixité » en 2019, et qu’il y a eu également la mise en place de maraudes mixtes dans dix-sept départements ciblés.

Ces présentations nous ont aussi permis d’approfondir certains aspects de la Stratégie :

La formation et l’accompagnement des publics jeunes entre 18-25 ans, avec l’extension de l’obligation de formation à 18 ans depuis la rentrée 2020 et l’engagement d’une réflexion sur une prestation sociale pour les jeunes âgés de 18 à 25 ans.

L’approche de la Stratégie, à travers une gouvernance territoriale et la nomination de commissaires régionaux à la lutte contre la pauvreté, a également retenu notre attention. Bien que le rôle et la mission de ces commissaires restent à préciser, l’idée de décentraliser, de mobiliser de nouveaux acteurs, aux profils et compétences diverses, semble aller dans le bon sens.

Néanmoins, cette journée d’échanges n’a pas répondu à toutes nos attentes.

Malgré leur richesse, les interventions nous ont apporté peu d’éléments nouveaux. Nous avions déjà abordé la plupart des thématiques, comme la définition de la grande pauvreté ou le non-recours, ce qui a pu donner à certains d’entre nous un sentiment de « retour en arrière », voire de stagnation.

Pour cette deuxième rencontre avec le comité, il nous a manqué un véritable bilan d’étape, sur la mise en œuvre la stratégie de lutte contre la pauvreté et son évaluation. En l’état, il nous est difficile d’appréhender les évolutions concrètes de la Stratégie jusqu’à ce jour.

─ Après une année, nous aurions souhaité disposer d’un « tableau de bord » avec des données précises sur l’état d’avancement des mesures de la Stratégie, des éléments de comparaison d’année en année, des résultats chiffrés (par exemple, a-t-on observé une baisse de la pauvreté depuis la mise en place de certaines mesures de la Stratégie ? Combien de personnes qui étaient à la rue ont eu accès au logement ? Combien d’enfants de familles en grande difficulté ont pu être accueillis en crèche ?)

À l’heure actuelle, nous manquons de données pour mesurer les bénéfices concrets de chaque mesure en matière de lutte contre la pauvreté : autrement dit, quelle mesure a été mise en place effectivement, et quels sont les résultats qu’elle a produits ? Parmi les objectifs fixés, quels sont ceux qui ont été atteints, et comment ? Quels sont ceux qui ont été reportés, et pourquoi ? Dans le même ordre d’idée, il nous a été dit que l’objectif de mixité sociale dans les crèches a été atteint à 96 %, mais nous ne disposons d’aucun indicateur pour appréhender les bénéfices sur les publics visés : dans les faits, comment ces 96 % ont-ils été mesurés ? Est-ce que la mixité sociale s’est créée davantage ? Est-ce qu’il y a eu des effets positifs en termes d’apprentissage et d’acquisition du langage chez l’enfant, comme il était prévu ? Est-ce que Est-cette mesure a permis aux parents de travailler/de chercher du travail ?

─ En l’absence de données chiffrées et de suivi des premiers résultats d’évaluation, il apparaît toujours aussi complexe de se mettre dans la peau de l’évaluateur. Pour identifier de nouveaux critères d’évaluation ou éventuellement des axes d’amélioration, nous avons besoin de savoir quelle est déjà la portée de cette stratégie.

─ Par ailleurs, nous avons l’impression de concentrer le travail d’évaluation sur des mesures à venir ou sur des mesures qui n’existent pas encore, et non sur les actions déjà engagées pour les publics précaires.

Au-delà de ce constat, il nous a semblé que l’impact de la crise sanitaire liée au coronavirus sur la pauvreté n’est pas suffisamment pris en compte dans l’évaluation de la politique publique.

─ S’il est encore trop tôt pour prendre la mesure de cette crise, ses effets sur l’augmentation du niveau de pauvreté sont indéniables et d’ores et déjà perceptibles, en attestent l’augmentation de la demande d’aide alimentaire, du nombre de demandeurs d’emploi ou du RSA, les impayés locatifs observés au cours du premier confinement… Il est indispensable que ces effets soient anticipés dès à présent dans l’évaluation à venir des mesures de la Stratégie.

─ Comme nous l’avions souligné dans une note de synthèse sur l’impact de la pandémie sur la pauvreté adressée au comité en septembre 2020, nous sommes persuadés que la crise sanitaire ne peut être qu’un amplificateur et un accélérateur de la pauvreté, en maintenant les personnes en situation de précarité dans la pauvreté, en faisant basculer de nouveaux publics dans la pauvreté, par un « effet domino ».

─ La crise sanitaire a déjà un impact important sur des domaines qui sont liés à la Stratégie de lutte contre la pauvreté, qu’il s’agisse du logement, l’emploi, la santé, l’éducation, l’accès aux droits sociaux, la fracture numérique, les besoins énergétiques...

 Nous savons que des mesures de la Stratégie ont été retardées en raison du contexte, à l’instar de la formation des 600 000 professionnels de la petite enfance, de la création de crèches dans les QPV ou encore de la tarification sociale des cantines ;

 Par ailleurs, la crise sanitaire vient nuancer les résultats obtenus sur certains objectifs, comme le bonus de mixité sociale dans les crèches.

─ Le contexte actuel a également un impact sur l’ensemble des publics visés par la Stratégie et même au-delà.

 À commencer par les plus jeunes, qui constituent l’axe prioritaire de la Stratégie mais pour lesquels, paradoxalement, nous n’avons pas obtenu d’indicateurs de suivi pour pouvoir évaluer l’impact de cette crise sur ces publics ;

 L’expérience du confinement a exposé la petite enfance à une double fracture numérique et scolaire et, chez les familles les plus précaires, à des conditions de vie dégradées (perte de revenus des parents, logement exigu, sur-occupation…) ;

 Il nous paraît indéniable que le décrochage scolaire observé au cours du premier confinement est à prendre en considération ;

 Par ailleurs, la crise accentue les difficultés d’insertion sur le marché du travail pour les jeunes (fermeture des entreprises, mise en arrêt de certains secteurs de notre économie, difficultés à trouver un stage ou une alternance…).

─ La pandémie a révélé des « nouveaux pauvres » ayant déjà basculé ou étant susceptibles de basculer dans la pauvreté à moyen et long terme, soit :

Les étudiants ;

Les personnes en fin de droit de chômage ;

Les personnes bénéficiaires du chômage partiel, susceptibles de perdre leur emploi ;

Les indépendants et les autoentrepreneurs ;

Les dirigeants des petites et moyennes entreprises ;

Les travailleurs non déclarés ;

Les personnes dont l’activité est en arrêt (comme les commerçants, hôteliers, intermittents) ;

Les personnes isolées, notamment les personnes âgées ;

Les familles monoparentales ;

Les migrants ;

Les saisonniers ;

Les travailleurs frontaliers.

─ Dans ce contexte il est important d’établir de nouveaux indicateurs et pour cela, des outils de recensement nous semblent incontournables.

─ Par ailleurs, il est nécessaire de prendre en considération les effets liés aux mesures d’urgence engagées par le gouvernement depuis le début de la crise sanitaire sur le niveau de pauvreté.

Ces constats nous mènent à nous interroger sur la capacité de la Stratégie de lutte contre la pauvreté à s’adapter à cette nouvelle crise et, au-delà, sur la façon dont le comité peut prendre en considération ses effets dans son travail d’évaluation.

Notre avis sur les compléments d’action proposés