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CHAÎNES DE CAUSALITÉ ET APPORTS DE LA LITTÉRATURE POUR LES MESURES AXÉES

SUR L’ACCOMPAGNEMENT (DARES)

Par Sébastien Grobon, adjoint à la cheffe de la Mission d’analyse économique, DARES Avril 2020 Les éléments de la Stratégie ayant trait à l’accompagnement, l’emploi et la formation peuvent être regroupées en trois ensembles :

─ un renforcement du soutien à l’insertion des jeunes en difficultés, en prolongeant leur formation initiale, ainsi qu’en renforçant les dispositifs permettant leur suivi et leur accompagnement ;

─ un renforcement et une mise en cohérence de l’ensemble des offres d’accompagnement offertes aux personnes éloignées de l’emploi. Cela passe par des dispositifs unifiés comme la Garantie d’activité, ou l’idée d’un service public de l’insertion, une articulation entre l’action de Pôle emploi et celle des départements, qui disposent de plus de moyens, et entre l’accompagnement social et les aides à l’insertion professionnelle ;

─ Le recours à des politiques d’emplois subventionnés : insertion par l’activité économique (IAE) et expérimentation associatives1.

La Stratégie vise donc à faire du retour à l’emploi l’instrument principal de la sortie de la pauvreté. Il s’agit d’éviter la marginalisation en accroissant les contacts avec les services publics d’aide à la recherche d’emploi et l’insertion, de faciliter ces contacts en unifiant les dispositifs et les acteurs, et de favoriser les dispositifs offrant transitoirement un emploi aidé pour améliorer à terme les chances de retour à un emploi classique (IAE et expérimentations associatives).

La chaîne de causalité ci-dessous est une représentation simplifiée des mécanismes susceptibles d’entraîner une réduction de la pauvreté à partir des politiques d’accompagnement et de formation, par l’intermédiaire d’une action sur les différents freins au retour à l’emploi. Elle ne préfigure pas de la réalité de ces mécanismes, mais aide à identifier les risques et étapes à valider pour que cette chaîne se réalise.

Figure 1. Chaîne de causalité des mesures accompagnement, formation et emploi de la Stratégie pauvreté

1 « Territoires zéro chômeur de longue durée », Convergence, TAPAJ (travail alternatif payé à la journée) et SÈVE Emploi (médiation active vers l’emploi).

Le chemin théorique entre les mesures et l’objectif visé de réduction de la pauvreté se lit de la manière suivante. En théorie, l’accompagnement constitue une manière d’identifier l’ensemble des freins à l’emploi afin de pouvoir y remédier. Il s’agit d’abord d’une aide à la recherche d’emploi, qui permet également si nécessaire l’accès à une formation susceptible d’améliorer l’adéquation du niveau de qualification au type d’emploi recherché, ou encore l’ouverture de droits, à commencer par l’allocation chômage ou à des minima sociaux, mais également d’autres droits permettant de remédier à certains freins tels que la santé ou le mode de garde. L’accompagnement vise aussi à permettre à la personne suivie de gagner en autonomie et en confiance en soi, pour la conforter dans sa recherche d’emploi. L’objectif final est néanmoins l’accès à l’emploi, qui est d’abord vu comme garant d’une sortie de la pauvreté, qui sera d’autant plus durable que l’emploi sera stable, de qualité, et assurera l’autonomie financière du ménage. En second lieu, l’emploi participe également à l’intégration sociale et d’amélioration du capital humain. À plus long terme, le fait d’améliorer le succès de recherche d’emploi parmi les publics les plus en difficultés est également un facteur d’égalité des chances, qui limite l’irréversibilité des situations de pauvreté ainsi que leur hérédité sociale.

La stratégie consistant à rassembler différents types d’accompagnement pourrait en simplifier l’accès et favoriser une prise en charge globale de l’ensemble des freins à l’emploi. Inversement, la multiplication de dispositifs cloisonnés peut réduire la lisibilité des mesures proposées et freiner l’accès aux dispositifs, tout en étant source d’inégalités de traitement et en compliquant fortement le traitement de l’ensemble des freins : autant de problèmes qui réduisent les chances d’accès à l’emploi. Si le retour à l’emploi reste le critère principal d’évaluation de l’efficacité de ces dispositifs, son succès dépend grandement de la distance initiale de la personne accompagnée à l’emploi ou au système scolaire, difficilement observable dans les données administratives, mais déterminant l’amplitude de la force de rappel constituée par les différents freins listés dans le graphique ci-dessus, et donc l’ampleur des moyens à déployer pour les lever. Enfin, la prise en compte des enseignements tirés de dispositifs associatifs expérimentaux, tels que SÈVE Emploi, Convergence ou Territoires zéro chômeur de longue durée (TZCLD), peut permettre d’enrichir la palette des outils proposés, en recourant notamment à des manières alternatives d’accompagner les personnes vers l’emploi. Cela peut passer par une logique de mise en situation immédiate de travail (« circuits courts », à l’opposé de la logique séquentielle d’élaboration d’un projet et du passage obligé par une formation) d’accompagnement des entreprises (appui RH pour améliorer la procédure de recrutement, ainsi que la prise de poste), d’accompagnement des personnes dans les premiers mois de leur prise d’emploi, voire de changement du mode d’organisation du suivi (collectif plutôt qu’individuel). La difficulté réside aussi dans la capacité de l’institution accompagnatrice à être réellement partie prenante du marché du travail local en créant des liens de confiance avec les entreprises locales pour tirer parti des spécificités locales.

Ce modèle permet d’identifier les questions évaluatives suivantes :

1. Les mesures de la Stratégie pauvreté permettent-elles d’améliorer la lisibilité des dispositifs d’accompagnement autour d’un interlocuteur unique (amélioration de la gouvernance) ? Ce dernier est-il clairement identifiable par le public cible (amélioration du recours) ?

2. L’ensemble des freins à l’emploi est-il couvert ? La Stratégie se donne-t-elle les moyens d’y remédier ? Les difficultés des entreprises à recruter sont-elles également prises en compte ?

3. Ces mesures permettent-elles d’améliorer l’accès aux différentes mesures d’accompagnement (taux de suivi), en particulier au sein des publics les plus vulnérables ?

4. Permettent-elles d’intensifier le suivi des personnes déjà accompagnées (volume de suivi) ?

5. Permettent-elles d’améliorer les taux de retour à l’emploi des personnes suivies (rendement du suivi) ?

6. Ces mesures ont-elles un effet plus important sur certains publics, ou restent-elles en échec sur d’autres publics ? Peut-on relier ces situations à des caractéristiques observables dans les enquêtes ou données administratives ?

Les deux premières questions nécessitent d’analyser les effets de la Stratégie sur la gouvernance des mesures d’accompagnement. Les deux suivantes interrogent à la fois l’effectivité des mesures envisagées par la Stratégie, et la nature du public touché (public déjà suivi ou nouveau public, qualité du ciblage). Les deux dernières interrogent l’effet des accompagnements sur l’indicateur final de retour à l’emploi, et le lien qui peut être fait avec les caractéristiques observées dans les données.

Le suivi de ces mesures nécessite d’avoir des remontées de données sur les politiques locales ou des études de cas, afin d’évaluer les changements institutionnels permis par les mesures du plan. Il nécessite par ailleurs des données détaillées sur la nature de l’accompagnement réalisé par les différents acteurs, permettant dans l’idéal de savoir l’ensemble de ce qui leur est proposé d’une part, et s’ils parviennent à un emploi, dans l’idéal en fonction de leur profil, pour contrôler au moins en partie des biais de sélection.

Dans le cas où les mesures de changement de l’accompagnement ne se feraient pas au même rythme dans tous les territoires, il conviendrait de coordonner cette mise en place afin de pouvoir comparer des territoires traités et non traités.

Les points suivants s’appuient sur des synthèses de la littérature existante pour dégager les principales préconisations qui en résultent, sans prétendre à l’exhaustivité. Concernant l’accompagnement et la formation des demandeurs, d’emploi1 :

L’accompagnement précoce des demandeurs d’emploi, grâce à un suivi régulier et renforcé, a un impact positif important sur le retour à l’emploi, à la fois en termes de rapidité et de qualité. L’effet semble d’autant plus important que le suivi est intensif, et se trouve renforcé s’il est associé à des mesures de contrôle, mais ces dernières ont aussi des effets pervers : elles risquent de diminuer la qualité ou l’adéquation de l’emploi retrouvé ou simplement substituer des recherches d’emploi formelles (au sens de vérifiables par l’accompagnateur) aux recherches informelles (reposant sur les réseaux sociaux) ce qui est particulièrement dommageable pour les publics peu qualifiés dont les canaux de recrutement sont majoritairement informels.

Dans tous les cas, un tel accompagnement doit être mobilisé dès le début des épisodes de chômage et se traduire par un suivi régulier. Il semble particulièrement efficace pour les jeunes ;

la formation des demandeurs d’emploi a des effets positifs si son contenu est adapté : elle améliore la qualité des emplois trouvés et la stabilité de l’emploi. Mais, comme la formation peut aussi retarder la reprise d’un emploi (effet d’enfermement), elle doit être prioritairement dirigée vers les publics les plus en difficultés. De plus, on attend un effet plus important en période de récession, période où l’intensification des recherches et du contrôle n’ont pas d’effet ;

un pilotage unifié de l’ensemble des actions d’accompagnement est préférable et peut s’accompagner d’un outillage des conseillers en charge de l’accompagnement afin de les aider à allouer les moyens disponibles sur des critères objectifs, tout en gardant une certaine souplesse leur permettant de tirer parti de leurs propres connaissances issues du suivi ;

les problèmes de santé constituent un frein à l’emploi bien identifié2, même si l’effet de la santé sur les parcours professionnels est variable selon les caractéristiques individuelles (âge, sexe, niveau de qualification) ;

l’effet causal de l’insertion par l’activité économique n’a pas été étudié, mais une analyse descriptive des trajectoires des bénéficiaires semble indiquer pour certains un maintien en emploi, voire un infléchissement de leur trajectoire3. Les parcours sont très dépendants du profil, et le dispositif semble insuffisant pour sortir une majorité des

1 Voir Fontaine F. et Malherbet F. (2013), « Accompagner les demandeurs d’emploi. Pour en finir avec le retard français », coll. « Sécuriser l’emploi », Presses de Sciences Po. Parent G. et Sautory O. (2014),

« L’accompagnement des demandeurs d’emploi », Travail et Emploi, n° 139, p. 75-89.

2 Voir Barnay T., Jusot F. (2018), Travail et santé, coll. « Sécuriser l’emploi », Presses de Sciences Po.

3 Voir Bellit S. (2019), « Les salariés en insertion par l’activité économique : quels parcours avant l’entrée ? Quelles perspectives à la sortie ? », Document d’étude n° 227, Dares.

bénéficiaires de l’exclusion durable du marché du travail. Il semble toutefois compenser la faiblesse des offres d’emploi dans certaines régions ;

─ l’accompagnement associé à une mise en situation de travail rapide semble produire des effets de dynamique vertueuse et de raccourcissement des parcours1.

Concernant les jeunes les plus en difficultés :

les politiques visant à rendre l’éducation plus accessible, notamment en prolongeant la scolarité obligatoire, sont susceptibles d’avoir un effet sur le parcours des jeunes les plus en difficultés. Un effet bénéfique est attendu pour ceux qui auraient, sinon, arrêté leur scolarité juste après l’âge de fin d’études obligatoire. C’est le cas si l’extension de scolarité leur permet de prolonger leur scolarité, ou au moins d’acquérir davantage de compétences générales, et notamment non-cognitives, c’est-à-dire non corrélée avec les résultats scolaires, mais utiles pour la vie professionnelle (respect des règles, ponctualité, fiabilité). Les résultats d’études internationales montrent globalement un effet positif2, mais ceux portant sur la France sont plus partagés : l’une de ces études3, portant sur la baisse du seuil de réussite de baccalauréat en 1968, conclut à des effets positifs durables sur le marché du travail (salaires et positions professionnelles plus élevées), alors que l’autre4, s’intéressant à l’augmentation de la durée de scolarité obligatoire survenue en 1967, ne conclut à aucun effet, notamment parce que cette réforme n’a pas conduit à une diminution du nombre de sorties sans diplôme du système éducatif. Se pose donc la question de la capacité du système scolaire à trouver des outils permettant à ces jeunes de tirer parti des années supplémentaires de scolarité ;

les politiques d’aide et d’accompagnement aux jeunes sans diplôme ou peu qualifiés ont également montré des effets positifs. C’est notamment le cas de la Garantie jeunes5, programme d’accompagnement intensif, tourné vers le gain d’autonomie, l’emploi ou une expérience formatrice et accompagné d’une allocation, et

1 Wuhl S. (1998), Insertion. Les politiques en crise, Puf, Paris ; Mayen P. (2007), « Passer du principe d’alternance à l’usage de l’expérience en situation de travail comme moyen de formation et de professionnalisation », dans Merhan F., Ronveaux C. et Vanhulle S (2007), Alternance en formation, De Boeck Supérieur, p. 83-100 ; DGEFP (2013), Appui au recrutement & Médiations pour l’emploi, Recueil des travaux préparatoires au 4e séminaire de la DGEFP du 24 octobre 2013.

2 Voir Kramarz F., Viarengo M. (2015), « Ni en emploi, ni en formation. Des jeunes laissés pour compte », Presses de Sciences Po, coll. « Sécuriser l’emploi ».

3 Maurin E. et McNally S. (2008), « Vive la Révolution! Long-Term Educational Returns of 1968 to the Angry Students », Journal of Labor Economics, vol. 26(1), p. 1-33.

4 Grenet J. (2013), « Is Extending Compulsory Schooling Alone Enough to Raise Earnings? Evidence from French and British Compulsory Schooling Laws », Scandinavian Journal of Economics, vol. 115(1), p. 176-210.

5 Gautié J. (2018), « Rapport final d’évaluation de la Garantie jeunes », février. Voir aussi Gaini M., Guillerm M., Hilary S., et al., « Résultats de l’évaluation quantitative de la Garantie jeunes », Travail et Emploi, 153, p. 67-88.

destiné à des jeunes ni en emploi, ni en études, ni en formation, connaissant une situation économique et sociale précaire et présentaient des freins importants à l’emploi. L’évaluation a conclu à des résultats positifs sur l’emploi, y compris l’emploi durable. Des politiques proches, dites de « deuxième chance », ont déjà fait leur preuve dans d’autres pays, telles que les job corps aux États-Unis ou d’autres mesures fondées sur le « mentoring » en Allemagne ou aux États-Unis, mais elles sont encore peu développées en France (par exemple, l’Epide (Établissements pour l’insertion dans l’emploi) ou les internats de la deuxième chance) et leur efficacité n’a pas encore été évaluée.

COMPLÉMENT 9

ÉVALUATION DE LA GOUVERNANCE ET DE LA