• Aucun résultat trouvé

POSITIONNEMENT THEORIQUE ET METHODOLOGIQUE

I- Formulation d’un modèle théorique

3- La Symétrie de Bloor

3- La Symétrie de Bloor

Le Strong programme désigne le courant d‘étude développé à partir du milieu des années soixante par David Bloor et ses collègues de la Science Studies Unit de l‘Université d‘Edimbourg. Ce qu‘on appelle généralement le strong programme, a émergé de la réunion de la philosophie, de la sociologie et de l‘histoire289

.

« Le strong programme consiste à reconnaitre que, dans la mesure où toute entreprise de connaissance du monde est relative à ses conditions d‘acquisition, la démarche scientifique initiée par l‘être humain en société est un processus systématiquement borné par nos sens comme par nos croyances collectives, et qui n‘est pas en mesure d‘atteindre des certitudes absolues ; pour David Bloor, à l‘échelle d‘une société,

289

BRIATTE, F., « Entretien avec David Bloor », Tracés. Revue de Sciences humaines [en ligne], 12 | 2007, mis en ligne le 27 mai 2008. URL : http://traces.revues.org/index227.html, consulté le 30 mai 2009

un regard naturalise sur l‘établissement de la connaissance nous apprend que celle-ci n‘a « pas grand-chose à voir avec l‘expérience sensorielle de ses membres individuels, où la somme de ce que l‘on pourrai appeler leur connaissance animale. Elle désigne plutôt leurs vision (s) collective (s) de la Réalité »290 .

« Le concept de vérité n‘existe par conséquent qu‘à l‘état de connaissance conventionnelle particulière, historiquement contingent et relative aux facteurs sociaux et culturels interagissant avec notre expérience sensible »291.

Pour Bloor, la trajectoire intellectuelle d‘une connaissance exacte ne diffère pas essentiellement de celle d‘une croyance fausse, puisque le moindre fragment de la connaissance scientifique est imprégné de la faillibilité naturelle de notre faculté de compréhension. Le programme fort propose que les facteurs sociaux, omniprésents, innervent l‘inégalité de notre connaissance scientifique, qui se caractérise par son homogénéité constitutive.

« L‘existence de connaissance scientifiques vraies ou fausses ne possède plus d‘explication naturelle et doit s‘interpréter, à l‘inverse, comme l‘aboutissement de processus de différenciation socialement déterminés. En ce sens, le strong programme cherche à rendre compte du statut des connaissances en société, au lieu d‘y prendre son appui initial »292

.

Les quatres axiomatiques formulés dans le programme fort de Bloor tournent autour de cet objectif de recherche:

a- La perspective première étudie l‘ensemble des causes qui aboutissent à la formation des propositions scientifiques, c‘est le principe de causalité.

b- La seconde perspective qui est la réflexivité, se résume par l‘assemblage des causes qui vise à produire des théories explicatives susceptibles d‘être généralisées à toue activité scientifique par la suite. La réflexivité doit être appliquée à elle-même.

Il faut noter toutefois que l‘esprit humain produit naturellement des énoncés évaluatifs sur les connaissances qu‘il acquiert à partir de celles qu‘il possède déjà. Donc, lorsque l‘esprit humain se

290 BLOOR, D., « Knowledge and Social Imagery», Chicago, University of Chicago Press, p. 16

291 BRIATTE, F., « Entretien avec David Bloor », Tracés. Revue de Sciences humaines [en ligne], 12 | 2007, mis en ligne le 27 mai 2008. URL : http://traces.revues.org/index227.html

292

penche sur des propositions scientifiques appartenant au passé, son appréciation immédiate est anachronique, asymétrique et sa connaissance future est anticipée.

«S‘il manque de s‘affranchir du biais induit par la connaissance des verdicts scientifiques contemporains, le chercheur court le risque de projeter sa propre expérience dans son objet d‘étude et d‘aboutir, au mieux, à une explication incomplète des phénomènes qu‘il examine »293

c- Ainsi, nous arrivons à la troisième perspective du programme fort qui est l’impartialité. Dans cette perspective le chercheur doit rectifier la pente naturelle de son état d‘esprit et de construire ses théories expressives en s‘interdisant tout jugement sur les propositions qu‘il étudie.

De plus, le chercheur doit étudier de la même manière les échecs et les réussites scientifiques sans privilégier l‘analyse des uns aux dépens des autres.

d- Parallèlement, la quatrième perspective du programme fort, qui est la symétrie, fait appel au même type d‘explications pour analyser les échecs ou les succès au lieu d‘invoquer des causes d‘ordre social pour les premiers, naturels pour les seconds.

Mis en pratique, ces quartes axiomatiques que nous venons d‘évoquer, déterminent le contexte dans le lequel le relativisme intervient dans le programme fort bloorien.

« Résultat de la mise en condition du chercheur confronté à son objet d‘étude, le relativisme de David Bloor est un dispositif méthodologique destiné à préserver l‘homogénéité causale inhérente à la connaissance scientifique dans les raisonnements que nous lui appliquons. L‘existence d‘une distinction ontologique entre propositions scientifiques vraies et fausses n‘est à aucun moment remise en cause en vertu de cette exigence méthodologique.

Au contraire, elle y est inscrite en filigrane : en l‘absence de cette distinction, la connaissance ne nécessiterait pas de mise en symétrie et les précautions dont s‘entoure le strong programme n‘auraient alors pas lieu d‘être »294

.

293 Idem

294

BRIATTE, F., « Entretien avec David Bloor », Tracés. Revue de Sciences humaines [en ligne], 12 | 2007, mis en ligne le 27 mai 2008. URL : http://traces.revues.org/index227.html

3.1- Limites du principe de la symétrie dans le programme fort

Bien que le principe de symétrie ne recommande que de faire preuve d‘ «une curiosité de même degré et de même nature »295 envers les connaissances vraies et fausses, ses antagonistes proclamaient que Bloor voulait abolir cette distinction et interdire toute possibilité à la science d‘atteindre toute forme d‘objectivité.

Sur le même plan, ses détracteurs l‘accusent de vouloir s‘acheminer presque mécaniquement vers une explication réductionniste de la science, où seule l‘intervention de la société influence la composition de la connaissance.

Les traits prêtés au programme fort par ses contradicteurs le présentent « comme une théorie subjectiviste à portée anti-scientifique, caractéristique qui lui sont généralement attribués au même titre qu‘à toute démarche relativiste, conférant au terme une fonction de « stigmate épistémologique » »296

. Face à ces attaques, la défense du programme fort passe, d‘abord, par la reconnaissance de l‘existence de plusieurs variétés de relativisme. De plus, le strong programme semble être condamné à une ambigüité permanente exigeant une justification constante de son hypothèse de travail.

Pour rééquilibrer le débat, Bloor suggère que l‘opposition entre le relativisme et ses critiques ne subsiste que grâce au flou définitionnel dans lequel les adeptes des positions anti relativises ou absolutistes maintiennent la notion de « science ».

Mais si le poids de la preuve venait s‘inverser, les défenseurs « d‘une lecture absolutiste du développement de la connaissance seraient amenés à fournir les preuves de l‘indépendance des propositions scientifiques exactes vis-à-vis de la société, exercice de justification auquel le programme suggère que leur position ne survivrait pas car nécessitant un recours à l‘existence d‘une vérité dogmatique, de nature immanente et incontestable ».

Cette position provocatrice ne devrait-elle pas relancer le débat sur la relativité de la connaissance scientifique aux limites naturelles de l‘intellect, son cadre historique d‘exercice et ses ressources culturelles disponibles ?

295 BARNES, B. et BLOOR, D., «Relativism, rationalism and the sociology of knowledge», Rationality and Relativism, M. Hollis et S. Lukes ed., Oxford, Blackwell, 1982, p. 22

296

BRIATTE, F., « Entretien avec David Bloor », Tracés. Revue de Sciences humaines [en ligne], 12 | 2007, mis en ligne le 27 mai 2008. URL : http://traces.revues.org/index227.html

3.2- Les limites de la Symétrie chez Latour

D‘abord, « la théorie de l‘acteur-réseau est devenue dans le monde des sciences sociales anglophones une référence habituelle (« Actor Network Theory »), associée en général aux travaux de Bruno Latour. Ce dernier, un peu effrayé par les multiples interprétations impliquées dans la diffusion de l‘expression, a tenté il y a quelques années de la renier (Latour, 1999). Puis, acceptant l‘idée qu‘il ne pouvait de toute façon arrêter le processus, et bombardé de questions sur la notion d‘acteur-réseau par des étudiants ou des chercheurs, il a décidé d‘assumer l‘expression et d‘expliciter (de construire ?) la fameuse « théorie » générale qu‘elle est censée designer ».297

Puis, Latour dresse une tentative de refondation de la sociologie, en s‘appuyant sur ses propres recherches, sur les travaux des chercheurs qui ont contribué à l‘élaboration de la notion d‘acteur-réseau, sur un ensemble d‘autres recherches venant des sciences studies, de l‘ethnométhodologie ou autres. Pour Latour, « la tentative d‘expliquer les faits scientifiques par des facteurs sociaux a échoué et la conclusion qu‘il en tire n‘est pas qu‘il existerait un «noyau dur» des faits qui résisterait à toute influence sociale, mais plutôt qu‘il faudrait redéfinir le social pour y inclure les «actants» sans lesquels les faits scientifiques perdent la plus grands partie de leur sens. Les faits ne sont pas «socialement construits», ils sont construits par l‘association entre des actants humains et non humains. C‘est le principe de la «symétrie générale» qui redéfinissait dès 1979298 le principe de symétrie du «programme fort»299 de David Bloor»300.

Comme nous l‘avons, chez Bloor, le principe de symétrie consiste à traiter dans les mêmes termes les participants d‘une controverse scientifiques sans faire intervenir la connaissance de l‘issue de celle-ci, la symétrie généralisée de Latour et Wooglar (1979) demande de traiter dans les mêmes termes la nature et la société.

297 GROSSETTI, M., « Les limites de la symétrie », SociologieS [En ligne], Débats, Les limites de la symétrie, mis en ligne le 22 octobre 2007. URL : http://sociologies.revues.org/index712.html, consulté le 14 février 2009

298 Voir Latour et Woolgar, 1979

299 BLOOR, D., «Knowledge and Social Imagery», Londres, Routledge, 1976.

300

GROSSETTI, M., « Les limites de la symétrie », SociologieS [En ligne], Débats, Les limites de la symétrie, mis en ligne le 22 octobre 2007. URL : http://sociologies.revues.org/index712.html

Il est intéressant de noter que pour Yves Gingras, la position de Bruno Latour n‘est pas relativiste301

, en tout cas pas dans le sens qui lui a souvent été reprochée par ses antagonistes. (Gingras, 1995). Latour écrivait que « comme le règlement d‘une controverse est la cause de la stabilité de la société, nous ne pouvons utiliser la société pour expliquer comment et pourquoi une controverse a été résolue »302. En « généralisant » le principe de symétrie introduit par Bloor pour rendre possible une explication

sociologique du contenu des sciences, Latour propose alors « de considérer de façon symétrique les

efforts pour recruter et contrôler les ressources humaines et non humaines »303

Latour introduit à sa « symétrie » une solution intéressante à la question de la construction des faits scientifiques : ce sont les « actants » qui font que les chercheurs ne peuvent pas faire n‘importe quoi, dans les controverses, et peuvent contrebalancer les effets de position sociale.

«Transposé en sociologie générale, cette position conduit à élargir la gamme des entités agissantes aux « non-humains », principale spécificité de la sociologie de l‘acteur-réseau. Bruno Latour reprend là l‘essentiel des arguments développés dans son article de 1994 sur l‘interobjectivité (Latour, 1994). Aux conceptions du social comme déjà là qu‘il attribue à la sociologie de la société (social n°1) et du social comme construction permanente qu‘il préconise (social n°2), il ajoute le social des interactionnistes, celui des interactions en face à face (social n°3), qui ne forme qu‘un petit sous-ensemble des associations qui composent les sociétés »304.

Pour Bruno Latour, ce sont les objets qui différencient les humains des babouins, ces objets qui s‘avèrent être source des asymétries. L‘intérêt de la position de Latour est de donner un statut théorique plus affirmé à ce que l‘on pourrait appeler la dimension matérielle de la vie sociale.

301 GINGRAS, Y., « Un air de radicalisme : sur quelques tendances récentes en sociologie de la science et de la technologie », Actes de la recherche en sciences sociales, n°108, juin, (1995), pp. 3-17

302

GINGRAS, Y., « Pourquoi le programme fort est-il incompris ? », Cahiers internationaux de Sociologie, Vol. CIX [235-255], 2000

303 LATOUR, B., « La science en action », Pais, La Découverte, 1989, p.234

304

GROSSETTI, M., « Les limites de la symétrie », SociologieS [En ligne], Débats, Les limites de la symétrie, mis en ligne le 22 octobre 2007. URL : http://sociologies.revues.org/index712.html

De fait, l‘approche de la l‘acteur-réseau élaborée par Bloor met les objets au cœur du processus explicatif, ce qui explique d‘ailleurs qu‘elle soit perçue comme un retour au « réalisme »305

.

L‘introduction des non-humains dans un « réseau » comprenant des humains, renferme sur plusieurs limites : l‘objectif de « traiter également et dans les mêmes termes la nature et la société » (Latour et Woolgar, 1979) « se transforme du fait même de l‘idée d‘acteur-réseau en « traiter également et dans les mêmes termes » les humains et les non-humains, ce qui peut conduire à abandonner une grande partie des acquis des sciences humaines et sociales qui reposent précisément sur les spécificités des humains »306.

a- La première limite prend appui de la division entre humains et non-humains. Pour

Latour, ce sont les objets qui distinguent les humains des babouins. Il est incontestable que c‘est l‘une des différences mais il existe une autre qui se résume par le langage. Autrement dit, même en l‘absence des objets matériels et d‘écriture, « les humains disposent d‘un équipement « cognitif » qui leur permet de mémoriser des « associations » et surtout de les transmettre à distance de proche en proche, quitte à les retraduire en permanence »307.

Nous pouvons ainsi considérer que la langue est un « non-humain » qui ne se matérialise que dans les cerveaux humains et peut laisser des traces durables dans les mémoires humaines. Lorsqu‘il s‘agit de lister les non-humains à prendre en compte dans une analyse, il faut que les objets matériels soient « mis en mots » et ils ne peuvent l‘être que par des humains.

Donc, nous constatons qu‘il existe une limite intrinsèque à la symétrie humains/non-humains puisque l‘observateur peut « analyser directement les associations entre les premiers, mais pour celles qui impliquent des non-humains, il doit s‘appuyer sur des descriptions humaines »308

305 GINGRAS, Y., « Pourquoi le programme fort est-il incompris ? », Cahiers internationaux de Sociologie, Vol. CIX [235-255], 2000

306 GROSSETTI, M., « Les limites de la symétrie », SociologieS [En ligne], Débats, Les limites de la symétrie, mis en ligne le 22 octobre 2007. URL : http://sociologies.revues.org/index712.html

307

Idem

308

b- La deuxième limite qui caractérise la symétrie de Latour venant du manque d‘un

répertoire commun de caractérisation des actants.

c- La troisième limite est celle de la symétrie généralisée : une relation entre humains peut

devenir symétrique ou être considérée comme telle à un certain niveau, ce qui n‘est pas le cas de relations humains/non humains. « Un réseau socio-technique sera donc nécessairement fondé sur des relations qui ne seront pas totalement comparables, puisque seules celles qui concernent les humains auront la possibilité d‘être symétrique »309. Par conséquent, la symétrie généralisée pose problème.

309

GROSSETTI, M., « Les limites de la symétrie », SociologieS [En ligne], Débats, Les limites de la symétrie, mis en ligne le 22 octobre 2007. URL : http://sociologies.revues.org/index712.html