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La notion d’usage : pour un autre regard

L’HOMME ET LA TECHNIQUE

II- Le dispositif virtuel, entre médiation et savoir

3. La notion d’usage : pour un autre regard

De nos jours, les Technologies de l‘Information et de la Communication occupent une place prépondérante et la question d‘usages fait l‘objet de plusieurs recherches et approches sociologiques, socio-politiques, etc.

Pour Chambat (1994), une ambivalence entoure cette notion du fait qu‘elle est utilisée à la fois pour « repérer, décrire et analyser des comportements et des représentations relatifs à un ensemble flou : les NTIC ».

Pour Breton et Proulx (2002), le concept d‘usage renvoie à un ensemble de définitions allant de l‘adoption à l‘appropriation en passant par l‘utilisation. Cette formulation peut être mobilisée de la façon suivante : l‘appropriation (étudiée essentiellement par les sociologues des usages) se résume souvent à l‘achat et la consommation, qui détermine sa capacité à s‘inscrire plus ou moins comme réponse à une demande sociale.

Ainsi, l‘objet se trouve investi d‘une fonction de signe qui contribue à lui conférer une « valeur », au sens symbolique du terme, valeur plus ou moins indépendante des conditions de sa production. Dans notre cas l‘achat d‘un ordinateur, la consommation du réseau Internet, et par extension, la consommation d‘un espace virtuel, celui des RSN.

L‘utilisation (étudiée essentiellement par les cognitivistes et les ergonomes) renvoie au simple emploi d‘une technique dans une situation de face-à-face avec l‘outil. De ce fait, la relation homme/objet technique ne peut s‘apprécier à la seule échelle « micro » de l‘utilisation de l‘objet, elle doit associer une vision « macro » de l‘ensemble des significations portées par la relation de l‘homme à l‘ensemble technique.

Le Moënne va au-delà de la perspective de Proulx, concernant les rapports d‘usage, et intègre la dimension processuelle à sa réflexion : « quelles sont les caractéristiques spécifiques de ces types particuliers d‘artefacts, dont on observe qu‘ils sont à la fois des institutions et des ensembles processuels construits, qu‘ils ne se confondent pas avec le projet qui vise à les structurer, ni avec les ressources que ce projet fait émerger, ni avec les modalités de coordination, ni avec les normes, ni avec les concepts, les justifications, les symboliques ? Comment penser la relation entre les connaissances des processus

organisationnels et les configurations de formes symboliques et matérielles que ces connaissances font émerger ? »207.

Selon Proulx et Breton, l‘appropriation exige la réunion de trois conditions sociales :

- Un individu doit démontrer un minimum de maitrise technique et cognitive de l‘outil et doit pouvoir donner lieu à des possibilités de détournements, de réinventions et de contributions directes des usagers à la conception des innovations techniques.

L‘appropriation des technologies prennent racine dans les travaux expérimentaux de chercheurs tels que Watzlavick, Maffesoli, Cloutier, Ravut, Proulx Breton et d‘autres.

En se basant sur les travaux de ces chercheurs, il est possible de réinterpréter l‘appropriation des nouveaux médias, en s‘inspirant et en s‘éloignant à la fois du sens qu‘on a pu accorder à ce phénomène dans les théories de la diffusion et de l‘adoption des innovations.

Ce concept d‘appropriation nous mène à comprendre comment les membres des RSN ont su développer les conditions d‘une appropriation rapide de l‘espace Facebook à titre d‘exemple. L‘appropriation par les usagers de ces technologies, passe par les mouvements de convergence, de simplification et même de design.

De fait, nous constatons trois conditions sociales propices à l‘appropriation rapide de Facebook : une utilisation facile de l‘outil, une nouvelle forme de pratique communicationnelle et d‘expression personnelle et enfin une possibilité de co-construcion de nouveaux usages comme le développement de nouvelles applications ou l‘utilisation de Facebook pour initier un débat ou bien pour soutenir des causes etc.

Le Coadic part du postulat qu‘ « un système, des services, des produits d‘information vont répondre aux besoins d‘information d‘usages multiples et variés, qui vont faire de l‘information qu‘ils obtiennent des usages multiformes ». Cela questionne le « non-usage » et l‘ « usabilité ». Selon Le Coadic, l‘ « usabilité » permet de mesurer jusqu‘à quel point un système d‘information par exemple est prêt à l‘usage.

207

Avant de développer l‘« usabilité », nous notons que les études sur les technologies semblent très focalisées sur les questions d‘usage et d‘usagers mettant de côté la question du non-usage208

.

Malgré son importance, ce dernier a été négligé par les chercheurs en SIC et notamment par ceux qui se penchent sur les réseaux sociaux numériques. Pourtant, il doit susciter davantage l‘intérêt des chercheurs et être considéré comme un phénomène à ne pas sous-estimer.

Si nous revenons à la notion d‘usabilité, nous remarquons que « le manque d‘usabilité de l‘information et des systèmes d‘information a sans doute sa part de responsabilité dans le non-usage »209

. Mais, nous pensons que dans le cadre des RSN, c‘est sa forte usabilité qui a contribué au développement croissant de son usage.

Par exemple, le « non-usage » serait dans le cas des RSN comme tel: il existe une catégorie de personnes, familières avec l‘informatique qui pratiquent le mail, le commerce en ligne et la recherche d‘informations mais qui a laissé de côté les réseaux sociaux numériques.

Cela constitue pour Feirouz Boudokhane un manque d‘intérêt et une absence de besoin et elle précise « qu‘il est important de pouvoir différencier le non-besoin basé sur une réelle justification, le non-besoin comme une défense et l‘absence de besoin par manque de connaissances et de savoir-faire »210

.

Dès lors qu‘il y a une communication médiatée par une TIC, ici Internet, nous entrons dans ce que des chercheurs appellent comme « sociologie des usages ». En ce sens, comment la sociologie des usages pourra-t-elle nous aider à ce propos ?

Il faut rappeler que « la sociologie des usages ne constitue pas une sous-discipline de la sociologie… elle désigne plutôt une préoccupation … pour un type de problèmes qui se situe au croisement de trois disciplines : la sociologie de la technique, la sociologie de la communication et celle des modes de vie »211.

208 Extrait de l‘article : Comprendre le non-usage technique : réflexions théorique en ligne à l‘adresse http://w3.u-grenoble3.fr/les_enjeux/2006/Boudokhane/index.php, consulté le 20 octobre 2008

209 LECOADIC, J-F., « Science de l‘information », Que Sais-Je ?, PUF, 2004.

210 Extrait de l‘article : Comprendre le non-usage technique : réflexions théorique en ligne à l‘adresse http://w3.u-grenoble3.fr/les_enjeux/2006/Boudokhane/index.php

211

Comme l‘ethnométhodologie et les SIC, la sociologie des usages a cherché à décrire les pratiques en situation naturelle, par le biais de questionnaires, d‘entretiens, d‘observations ou d‘enregistrements vidéo (Beauvisage, 2004). « La multiplication des observations a alors permis de constater que l‘usage débouche souvent sur des productions (objets, évènements, rencontres,…). La catégorie de l‘usage pourrait donc se poser comme révélateur de ces productions, circulations que la focalisation sur les TIC ne rendrait visible »212.

Là où les usages peuvent nous aider dans la compréhension du phénomène RSN c‘est qu‘ils semblent associer dans l‘objet d‘analyse des comportements (fréquence d‘utilisation,…), des discours (commentaires), des objets (photos, vidéos, …). Les effets des usages passent par la mise en acte des représentations qui circulent entre les acteurs.

Dans ce contexte Joëlle le Marec remarque que : « l‘usage est une dimension plastique, ouverte et complexe qui peut intégrer au moins trois dimensions fondamentales : les projets, les contextes, les techniques, les trois s‘appuyant largement sur les représentations sociales »213

. Les représentations jouent un rôle essentiel dans la formation des pratiques et sont alimentées de manière positive ou négative par l‘entourage, les médias et les discours.

Mais qu‘est ce que nous entendons par « représentation » ? Selon Jean-Claude Abric, une représentation est « un ensemble organisé d‘opinions, de croyances et d‘informations se référant à un objet en situation ». Pour Jodelet les représentations « nous guident dans la façon de nommer et définir les différents aspects de notre réalité de tous les jours, dans la façon de les interpréter, statuer sur eux et, le cas échéant, prendre une position à leur égard et la défendre »214.

Selon Yves Chevalier, la représentation est « un outil d‘appropriation du réel et non une entité, fût-elle abstraite »215 et « permet d‘interpréter ce qui nous arrive, voire donner un sens à l‘inattendu »216.

De ce fait, les représentations influencent nos actes et peuvent être déterminantes dans les positionnements de chaque individu à l‘égard d‘une TIC et peuvent affecter ses choix quand à l‘usage ou non de celle-ci.

212 HENAFF, N., « Parole authentique versus parole instrumentalisée : le pouvoir communicationnel des blogs » – 2008, Université Européenne de Bretagne, Université Rennes 2, p. 52.

213 Extrait d‘un article : L‘usage et ses modèles : quelques réflexions méthodologiques, Spirale, n° 28, (2001), p. 105-122.

214 JODELET, D., « Les représentations sociales », Paris, PUF, 1989

215

CHEVALIER, Y., « Do you speak television? » Echanges, (2006), p.31

216

De plus, des expériences antérieures peuvent influencer les perceptions des individus et l‘amener à accepter ou non un dispositif tel que un réseau social numérique.

La sociologie des usages des TIC a mis en relief l‘écart qui peut exister entre usages prescrits et usages effectifs, chose que nous avons croisé tout au long de notre recherche sur les RSN. De plus, nous remarquons que le jeu des acteurs ne procède pas de façon linaire.

Nous pensons qu‘il est important de noter que l‘usage est bien autre chose que l‘utilisation et l‘usage ne fait pas forcément l‘usager, pour illustrer, nous citons les différents travaux de compétences d‘un individu devant un ordinateur ou l‘éventail de choix parmi les multiples fonctionnalités d‘Internet : jeux en réseau, chats, messagerie, « Facebooking », militantisme…

Mais la question de l‘usage ne se réduit pas à des données statistiques (taux d‘équipement, fréquence et duré d‘utilisation, …) ni à des applications (jouer, rencontrer, écrire…) et la diffusion des objets techniques ne débouche pas sur l‘uniformisation des pratiques.

« L‘environnement dans lequel se déroulent les pratiques d‘usage peut être considéré comme le prolongement des capacités cognitives des êtres humains qui le constituent »217 ; l‘environnement est l‘ensemble de ressources cognitives disponibles pour une action.

Ainsi, le processus de formation des usages des TIC relève d‘une série d‘ajustements entre les concepteurs, les précurseurs, les prescripteurs, la technique, et les acteurs avec leurs cultures, cadres de références, langages et imaginaires. Ces ajustements sont régis par certaines motivations d‘ordre personnel comme le mimétisme, la frustration, la passion, la conviction, etc. souvent difficile à cerner.

217

PROULX, S., « Usages des technologies d‘information et de communication : reconsidérer le champ d‘étude ? » in Actes du XIIème congrès nationale des Sciences de l‘Information et de la Communication. Unesco, Paris, du 10 au 13 janvier 2001. En Ligne : http://www.er.uqam.ca/nobel/grmnob/drupal5.1/static/textes/proulx_SFSIC2001.pdf, consulté le 20 août 2010