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Pourquoi faut-il cartographier les controverses ?

POSITIONNEMENT THEORIQUE ET METHODOLOGIQUE

III- Cartographier les controverses : un champ aux conflits multiples

2- Pourquoi faut-il cartographier les controverses ?

Tout simplement parce que nous sommes, de nos jours, dans un océan d‘information et cet océan n‘a plus les caractéristiques qu‘il avait autrefois, c‘est-à-dire autorisé avec une source précise qui rendait indiscutable l‘information et qu‘on allait ensuite dans des manuels, dans des sources éditées, classées par les institutions, les académies ou même le gouvernement.

Aujourd‘hui la donne a changé, cette information se trouve controversée, diffuse et massive. De plus, cette information vient d‘experts, de scientifiques, de chercheurs qui sont souvent en désaccord. Cependant nous nous trouvons inondé par une masse d‘information beaucoup plus grande et qui n‘a plus les caractéristiques d‘autrefois, c‘est-à-dire, avoir une source d‘autorité unique, voire verticale. Néanmoins, en tant que chercheur nous devons arriver à prendre une décision, à se situer dans telle ou telle position, affirmer ou réfuter un énoncé, une théorie, ou simplement une idée.

L'enjeu de la cartographie de controverses scientifiques et techniques, selon Bruno Latour, est de réussir à « déployer les versions concurrentes des mêmes affaires scientifiques et techniques », de « retrouver une objectivité qui ne repose plus sur un silence admiratif, mais sur la gamme des avis contradictoires portant sur les versions opposées des mêmes enjeux ». L'objectif est donc de parvenir à mettre en parallèle ces différentes versions afin de pouvoir se faire un avis sur le sujet.

En effet, fidèles à la vision de la cartographie des controverses développée par Bruno Latour, notre but est avant tout de créer un espace de discussion où les différents points de vue au sujet de cette controverse pouvaient être rassemblés, afin de mieux équiper les chercheurs et les guider dans leur construction d'un avis propre sur la question.

Pour cela au lieu de chercher à explorer et à comprendre ce qui se cache derrière telle ou telle pratique de membre d‘un réseau social numérique donné, de questionner à l‘aide de questionnaires qui eux aussi ont leurs limites et qui supposent que les membres ont conscience de leurs pratiques (ce qui n‘est pas évident), nous avons décidé de parcourir les controverses qui entoure ce monde qui se résume par les médias sociaux. En d‘autres termes, nous avons décidé de tenter un travail de conception de technologies inédites qui dépasserait le seul point de vue de l‘observation des usages.

2.1- Comment cartographier une controverse ?

Dans ce travail, il ne s‘agit pas d‘observer et de mesurer les usages depuis leur « extérieur » (les usagers en situation, l‘analyse de données échangées entre membres, ou le type d‘informations diffusées ou autres) mais de cartographier les controverses qui en découlent. Ainsi, le défi est autant intellectuel que technique qu‘il faut résoudre, dès lors il faut :

a- Adapter une démarche qui consiste à : surveiller, collecter/ Repérer, sélectionner et traiter. b- Repérer le moment et le lieu de la controverse (principe d‘agrégation des pages web et des sites

web (français et anglais), localité thématique, qui peuvent être décrits, analysés, documentés, archivés.

c- Etre capable de classer les controverses et de comprendre les multiples dimensions et leurs relations mutuelles.

d- Réduire les grandes masses de données de web et construire des figures, des cartographies comme outils de synthèse

2.2- Synthèses et limites

a- Les controverses sont au principe d‘une agrégation observable de documents de sources diverses et ces agrégats peuvent être décrits, identifiés et recensés. Mais, les controverses posent un problème en termes d‘observation scientifique puisqu‘elles agglomèrent, ou au contraire, elles désagrègent des champs des connaissances et parfois à grande échelle en peu de temps.

A titre d‘exemple, nous évoquons l‘exemple d‘une étude récente consacrée à l‘Arctique et aux fontes des glaces. Nous trouvons une agrégation récente et massive de thématique

diverses qui vont des transports maritimes à l‘ethnologie334

en passant par les consortiums pétroliers335 ou par les études liées à la mécanique des glaces

b- Les controverses redistribuent et repartissent les connaissances ; elles constituent des moteurs sociaux importants de production de documents numérisés d‘informations distribuées sur des bases de données en général et sur le web en particulier.

Dans cette perspective nous constations que les controverses sont descriptibles en tant que traces. Ainsi, notre objectif est de réaliser des cartographies dynamiques des controverses qui tournent autour des RSN. Cela est possible en mobilisant des propriétés de distance, de centralité et de périphéries de structure d‘agrégats et de groupes, de procédés d‘hiérarchisation, de voisinage ou d‘inclusion336

.

c- La réalisation de cartographies dynamiques des controverses permettra d‘extraire, de décrire et de classer des modèles originaux d‘informations jusque là illisibles. Il s‘agit donc de rendre lisibles et interprétables des controverses à l‘aide d‘un espace de représentation et d‘investigation, rendant ainsi possible l‘explicitation d‘un savoir « explicite, partageable, opératoire et capable d‘enrichissement des connaissances » comme l‘a décrit récemment P. LEVY.

Il faut noter que les controverses sont des phénomènes difficiles à observer. Cette difficulté vient d‘abord du fait qu‘elles incluent des champs a priori hétérogènes : des acteurs, des organisations, des concepts, des arguments, des faits sociaux, des artefacts, des points de vue, des références historiques, etc. qui se mêlent dans une série d‘interactions difficilement réduite ou classables dans une vision synthétique et encore plus dans des modèles.

334

Travaux consacrées aux études des Indiens Inuits qui sont un peuple autochtone ou peuples indigènes, des régions arctiques de la Sibérie et de l'Amérique du Nord ainsi que du Groenland.

335 GazProm et Total notamment

336

Http://webatlas.fr/wp/?option=com_content&view=article&id=57:publications&caid=46:presentations&Itemid=73, consulté le 3 juillet 2011.

De plus, une autre limite s‘ajoute et qui découle de la nature même de la controverse. A l‘opposé d‘une forme figée, d‘une connaissance négociée et admise comme évidence, une controverse révèle d‘une incertitude partagée où s‘engouffre le débat à travers un jeu distinct de confrontations ou d‘interactions. En cela, les controverses relèvent d‘une dynamique de points de vue et d‘instabilité et se nourrie de moments de transformation et de pôles contradictoires, voire opposés.

Revenons maintenant sur ce qui apparaît de plus en plus comme la dimension essentielle des Technologies de l‘Information et de la Communication et éclaire particulièrement notre objet de recherche. Le web constitue une matrice technique partagée et façonnée par des usages dont le réseau garde la mémoire et le fait même d‘utiliser une technologie numérique (mails, réseaux sociaux numériques, forums, blogs, etc.) contribue à produire des traces qui constituent en elles-mêmes un réservoir immense de données disponibles et exploitables.

Avec le web, le social devient potentiellement traçable, dès la plus petite échelle (un individu, une idée, une interaction, un produit, un achat, etc.) à la plus grande échelle comme le montrera notre étude. Cette question de la traçabilité du social éclaire spécialement certaines pistes théoriques et expérimentales que nous avons traquées jusqu‘ici mais, comme au départ d‘un puzzle, sans pouvoir les organiser en un tout cohérent.

Peu importe que l‘on y voit le règne du « système marchand » ou d‘un espace de « libération citoyenne » ; YouTube, Facebook, MySpace, Dailymotion, LinkedIn, Twitter, AIDSspace, Classmates, Look‘n Be, etc., fonctionnent comme des formes manifestes d‘ingénierie sociale, nourrie par l‘apport spontané de réseaux sociaux, implicitement ou explicitement organisés.