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Survol des théories actuelles sur le développement économique de la

En territoires périphériques, les activités économiques sont généralement attirées par la présence de ressources naturelles (terres, forêts, mines, maritimes, énergie, etc.) sur des sites et des milieux généralement dispersés. Cette dotation territoriale permet de répondre à la demande en matières premières des économies plus centrales du vaste monde. En reprenant l’analyse des mercantilistes, les économistes classiques ont fort bien analysé cette condition de base. Dès 1923, une modélisation économique en contexte canadien fut proposée par Mackintosh, inspirée par la montée en importance de la théorie macro-économique. Selon sa lecture, les activités économiques en périphérie débutent essentiellement par l’attraction d’industries extractives de ressources qui effectuent le démarrage du processus cumulatif de croissance.

Sur cette base, les travaux de Minville (1934, 1938, 1943) ont permis de lancer l’inventaire systématique des réserves de ressources naturelles du Québec afin d’asseoir une politique publique de prospection d’activités économiques. Les effets structurants générés en périphérie québécoise, comme ailleurs au Canada, ont alimenté les théoriciens dans l’élaboration du modèle staple-led- growth, soit la « croissance conduite par les matières premières » (Innis, 1930, 1957). Cette modélisation fut ensuite reprise par Watkins (1977) afin d’en formaliser davantage le fonctionnement général et les effets engendrés. Plus récemment, les analyses de Hayter et al. (2003) et d’Argent (2013) s’avèrent particulièrement intéressantes sous l’angle de critères bien tranchés.

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École nationale d’administration publique 40

En contextes périphériques variés, trois composantes économiques ressortent distinctement de notre lecture de ce modèle de croissance et de développement :

1- L’existence de bonds de la demande mondiale de matières premières par grands cycles structurels au sein desquels s’inscrivent des cycles conjoncturels ;

2- Sur des sites bien dotés et attrayants, on note l’arrivée d’immobilisations massives à la fine pointe de la technologie, effectuée par de grandes sociétés ;

3- Les opérations extractives s’accompagnent de fuites financières hors des circuits économiques locaux et d’une faible diversification des sites dans un esprit de croissance auto-entretenue.

Sous l’angle de l’analyse spatiale, la théorie de la localisation industrielle, initialement proposée par Weber (1929) et reprise par Isard(1956), a conduit à bien comprendre qu’en périphérie, les diverses activités affiliées dans la production de biens finaux, notamment les équipementiers, les fournisseurs d’intrants, les transformateurs, les services aux entreprises ou aux travailleurs, les financiers, les marchands, etc. s’établissent en fonction de critères d’efficacité qui favorisent leur dispersion entre plusieurs points principaux, notamment :

1- Les sites d’extraction dispersés en fonction des réserves de ressources ; 2- Les lieux autochtones et non-autochtones localisés à proximité des sites ; 3- Les lieux de transbordement des marchandises ;

4- Les grands marchés consommateurs de produits finaux ; 5- Les places financières internationales avec leurs sièges sociaux.

En nuançant ce qui est illustré par la théorie de la polarisation (Boudeville, 1962), il apparaît que la centralité ne favorise pas beaucoup la concentration des activités en milieu périphérique. Le vaste espace est plutôt structuré en fonction du facteur premier d’une meilleure accessibilité aux bassins et gisements de ressources qui conditionne la formation de corridors de pénétration à partir des avant-postes de transbordement de marchandises (Vance, 1970 ; Proulx, 2014).

Ces modalités économiques et spatiales se traduisent par des filières de production dans les ressources naturelles qui n’arrivent pas à former des grappes d’activités territorialisées comme on peut l’observer dans certaines industries localisées en régions centrales (Proulx, 2002-2012). On observe peu d’effets d’agglomération susceptibles d’entraîner le cumul économique (Polèse, 2009). Seuls les extracteurs, les fournisseurs réguliers, quelques services et certaines opérations d’affinage des matières premières s’installent près des bassins et des gisements de ressources naturelles. Cette production territoriale limitée alimente néanmoins l’emploi, les revenus, la

consommation et ainsi de suite. Les autres activités qui structurent les filières se localisent plus librement ailleurs à travers l’espace national, voire le plus souvent mondial.

En périphérie nordique, certains avant-postes dont l’économie s’avère plus diversifiée, peuvent profiter de leur position privilégiée dans l’espace pour accaparer certaines retombées que génère l’extraction de ressources naturelles. Ces avant-postes captent une partie des fuites économiques hors des petits établissements humains dispersés et peu diversifiés, d’une part, en leur offrant des intrants pour les activités d’extraction ou, d’autre part, en affinant les matières premières avant livraison. Les cas de Sept Îles, de Havre- Saint-Pierre, de Baie-Comeau, de Val d’Or, d’Amos et de Saguenay illustrent ce phénomène au Québec. Par leur localisation stratégique, ces villes polarisent d’autres activités telles que des grossistes, des manufactures, des services spécialisés, des usines, mais aussi des institutions d’éducation supérieure, de grandes surfaces commerciales, ou des résidences spécialisées. Elles deviennent des pôles de développement de la périphérie nordique. Leur multifonctionnalité initiale et leur capacité d’innovation alimentent en réalité leur diversification économique à un certain degré par la création de nouveaux foyers générateurs de développement.

Si cette mécanique de croissance et de développement correspond au fameux modèle général de Harrod-Domar (Solow, 1956, 1994), des spécificités dans le déploiement en périphérie lui sont propres ou exacerbées, notamment par les fuites très importantes hors des circuits locaux. Ce phénomène limite d’autant plus les effets entraînants ou multiplicateurs sur les lieux d’extraction en soumettant l’économie des établissements locaux à la croissance économique et la poursuite ponctuelle des immobilisations exogènes (Frank, 1968).

Pour réduire cette dépendance bien connue et modélisée des périphéries (Holland, 1978 ; Stöhr & Taylor, 1981), trois conditions essentielles endogènes furent isolées. Associés au modèle classique de l’organisation communautaire, Friedmann et Weaver (1979) ont proposé de miser sur l’appropriation collective de leviers de développement pour le territoire, y compris la desserte publique de biens et services collectifs. Un des leviers ciblés à cet effet concerne la rétention des fuites monétaires hors des circuits en misant sur un degré de fermeture sélective du territoire. Selon ces auteurs, cette appropriation de leviers serait possible par un exercice de coordination territoriale des diverses fonctions exercées dans les divers secteurs (agriculture, manufacturier, éducation, commerce, transport, etc.) afin de créer des effets de synergies autour d’enjeux communs bien interpellés par la collectivité. Pour ce faire, des moyens communautaires deviennent alors essentiels.

On a aussi avancé que l’entrepreneuriat pouvait faire une différence dans le degré de diversification économique d’un territoire périphérique (Coffey et Polèse (1984) et Julien (2005)) déjà en démarrage. Plus récemment, un autre facteur important fut tiré de la théorie pour pointer vers les conditions favorables à la croissance et au développement dans les lieux périphériques. Il s’agit de l’apprentissage et de la créativité dans les initiatives innovatrices (Florida, 1995, 2005), notamment celles visant les institutions pouvant soutenir les deux premières conditions endogènes évoquées, soit l’appropriation de leviers et l’entrepreneuriat. À cet effet, l’interaction de qualité cognitive entre les parties prenantes de la périphérie serait essentielle. Ces modèles pourraient suggérer que les politiques publiques d’un État demeurent plutôt marginales dans l’occupation des territoires périphériques où joueraient au premier plan la dictature de la géographie de la localisation des ressources et les pressions incontournables de l’économie mondiale dont l’action s’explique par les théories spatiales de la localisation et de la polarisation. Lorsqu’elles sont mises en œuvre, les politiques publiques serviraient plutôt à contrer les effets les plus néfastes des agents économiques, en favorisant l’accès à la ressource par le développement d’infrastructures et de services publics comme le transport (routier, maritime, aérien), l’électricité, l’éducation, les services sociosanitaires, etc. Les politiques publiques auraient aussi intérêt à s’intéresser aux forces vives locales pour faire émerger un développement bien ancré sur son territoire.

Nous proposons ici de développer une autre hypothèse, et sans doute à contre-courant, en observant le développement de la ressource hydroélectrique dans les trois plus grandes régions productrices du Québec. Au lieu d’appuyer le développement territorial, l’hypothèse est que certaines politiques publiques des pouvoirs centraux du Québec pourraient inhiber ou freiner le développement des territoires riches en ressources naturelles, une fois la première impulsion donnée. Par l’analyse de la fiscalité locale et de l’organisation territoriale imposée par Québec dont les effets se poursuivent sur le long terme, le territoire riche en ressources devient largement astreint au rôle de simple réservoir à exploiter au bénéfice d’intérêts localisés hors du territoire. L’analyse des conditions fiscales et territoriales associées au harnachement de la production hydroélectrique dans les trois plus grandes régions productrices du Québec pose la question lancinante de la possible ou de l’impossible occupation durable de la périphérie québécoise à l’intérieur de cet encadrement juridique.

Comme les grandes entreprises et les grands projets demeurent la figure de proue des activités économiques de la périphérie québécoise, notamment dans l’exploitation des ressources naturelles, y compris la ressource hydraulique du Québec, il faut d’abord identifier quelles sont les grandes

régions qui se classent aux premiers rangs de l’exploitation hydroélectrique pour ensuite mieux comprendre les politiques publiques du Québec qui déterminent les règles de l’organisation territoriale et de son financement, bref, les règles qui, dans une large mesure, imposent les conditions de l’occupation des territoires.

2. Les grandes régions productrices d’hydroélectricité