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Relance économique, théorie de la dépendance et de l’économie

La relance économique de la Gaspésie gagnerait probablement à s’éloigner des mécanismes qui ont historiquement charpenté son économie. Ces mécanismes ayant résulté en une situation que l’on pourrait qualifier, sinon de précaire, à tout le moins de fortement dépendante de leviers extérieurs pour en assurer le développement.

S’il est vrai que l’extraction des ressources naturelles aura été historiquement la locomotive économique de la région et qu’elle permit une prospérité relative, mais temporaire, il est tout aussi vrai qu’aujourd’hui cette part est reléguée à un rôle secondaire, le moteur principal étant maintenant assuré par l’État (31,9 % des emplois). Le tableau suivant permet d’apprécier cette nouvelle structure économique.

Tableau 2 : Part de l’emploi total par secteur, région Gaspésie - Îles-de-la-Madeleine et Québec, moyenne 2010-2012

Secteur

Moyenne 2010-2012 Région Gaspésie – les Îles-

de-la-Madeleine Québec

Secteur primaire 7,6 % 2,2 %

Fabrication 6,8 % 12,5 %

Construction 6,5 % 6 %

Secteur tertiaire

Services gouvernementaux et parapublics Services à la consommation Services à la production 79,1 % 31,9 % 30,8 % 16,4 % 79,2 % 26 % 27,2 % 26 %

Source : Statistique Canada, 2014 Les fermetures d’usines et l’exode régional représentent des pivots dans la transformation du paysage économique régional, notamment par le changement au niveau des moteurs d’emplois : du secteur manufacturier vers les services publics. On peut raisonnablement émettre l’hypothèse que ces emplois jouent un rôle quant au maintien de la population en place, mais qu’ils sont peu enclins à générer de nouveaux projets d’envergure. Les emplois des services gouvernementaux sont par définition plus stables et moins exposés aux variations cycliques qui affectent les marchés des commodités, cependant, ils sont aussi caractérisés par des contraintes et prérogatives liées aux choix de l’État central. Puisque le filet social assure le relai lorsque les secteurs primaires tombent en panne et lors des saisons creuses, notamment au niveau touristique et que par ailleurs le secteur de la construction (6,5 % des emplois) semble principalement s’appuyer sur le développement de la filière éolienne (MEIE, 2014), nous pourrions estimer que près de la moitié (46 %) des emplois actuels sont liés à des prérogatives d’aménagement extérieures à la région, renforçant la vulnérabilité régionale.

2.1. Contours d’une dépendance économique

Initialement développée comme catégorie d’analyse plutôt que comme approche théorique, la théorie de la dépendance facilita l’interprétation des politiques publiques des économies capitalistes de périphérie, au premier

titre celles d’Amérique du Sud. Théorie critique, elle s’appuie sur les grandes relations ayant modelé les rapports Nord-Sud de l’avant Deuxième Guerre mondiale, qualifiées de « développement du sous-développement » (Conway & Heynen, 2014). Cette approche avance notamment, sur la base des notions de marché libre, que les richesses naturelles des pays du Sud y représentent un avantage comparatif. N’ayant pas accès aux capitaux, non plus qu’aux technologies leur permettant d’exploiter ces ressources, les pays bénéficient de ces richesses en se positionnant comme exportateurs de ressources primaires vers les pays du cœur capitaliste.

Ce modèle s’appuya sur des politiques d’aménagement propres aux économies primarisées qui devinrent la toile des relations politiques et économiques de l’axe Sud-Nord. Politiques fiscales attractives, notamment en termes d’accès au territoire et de faibles redevances, et levée de barrières tarifaires pour les importations cristallisèrent ces pays dans un rôle d’exportateurs de produits primaires et importateurs de biens de consommation (Conway & Heynen, 2014). Cette logique de développement conféra l’autorité aux corporations multinationales par leur contrôle sur les dispositifs d’extraction et d’investissements en capitaux nécessaires à l’exploitation des ressources. L’avantage comparatif se traduisit en une économie orientée vers l’exportation de produits primaires, très sensible aux variations cycliques affectant l’économie de ces marchés et où la consommation domestique est liée à l’importation de biens transformés dans les économies du Nord.

Ce contexte, caractéristique d’un rapport centre-périphérie, aussi théorisé par Innis dans l’analyse des économies primarisées, cimente les relations dans une logique de dépendance. Les politiques publiques assurent au capital une circulation vers le Nord sur une autoroute à doubles voies et à sens unique. Le centre s’accapare rentes, emplois et diversification induis par l’économie de transformation. La dépendance aux investissements et technologies extérieurs se traduit par l’affaiblissement des capacités de planification et d’innovation économique endogènes. La prise de contrôle et la régulation des leviers financiers, politiques et technologiques d’exploitation échappent au Sud (Conway & Heynen, 2014). D’aucuns argueront qu’il s’avérait impossible pour les économies pauvres d’instaurer ce modèle vu le besoin massif en capitaux par ailleurs non disponibles. Argument de poids, il renvoie à la trajectoire politique et aux choix d’aménagement du capitalisme en avalisant les caractéristiques de la financiarisation à venir : l’accaparement, la concentration et l’accumulation de la richesse par le contrôle sur l’endettement, sur les technologies de production et par la dépossession, notamment par l’assouplissement de la fiscalité et la privatisation des services publics (Pineault, 2014).

La singularité du territoire qui nous occupe réside dans le fait que nous avons affaire à une région intégrée aux pays du cœur capitaliste mais dont l’économie renvoie au contexte de marginalisation et de dépendance économique dans le rapport centre-périphérie.

2.2. La Gaspésie, une économie de commodité

L’historique du développement gaspésien recoupe à plusieurs égards les caractéristiques du développement de l’économie de produit de base (extractivisme). Cet ensemble, compris comme les principaux éléments de coordination économique, enchaîne cette dernière dans une logique extractive qui s’opère depuis des siècles (Mimeault, 2009). Les secteurs traditionnels que sont la forêt, le poisson et les mines ont tous opéré à l’intérieur d’un modèle où les prérogatives d’aménagement sont étrangères au territoire, marginalisant la population dans son propre développement économique. Le centre, par son contrôle technologique et financier, s’accapare la rente tirée de l’extraction des ressources. La spécialisation et la concentration de l’activité des communautés, souvent mono-industrielles, forgèrent l’ossature économique des communautés impliquées.

L’exportation massive de produits de base faiblement transformés consacre la dépendance régionale aux cycles des marchés, reléguant à l’État le rôle de tampon lors des cycles de crise (boom and burst). La faible complémentarité, les faibles diversifications et l’innovation sont légitimées dans la réponse aux besoins industriels plutôt qu’une réponse aux problématiques économiques (Minville, 1981). L’exploitation nécessitant une main-d’œuvre fortement spécialisée, cette contrainte aura défini les besoins en éducation. Le taux régional de diplomation de 2000, où 40 % de la population gaspésienne n’avait pas de diplôme secondaire, semble confirmer cet aspect. Les asymétries socio-économiques entre cette région et l’ensemble de la population québécoise ont été progressivement mises en évidence par l’effondrement des emplois liés à l’exportation des produits de base.

Inscrite dans une fragilité structurelle et confrontant la région à une faible croissance à long terme, l’économie spéculative a, en toute logique, rendu les services qu’elle pouvait. Le passé n’étant pas toujours garant de l’avenir, l’histoire devrait convaincre de l’importance d’envisager des alternatives plus structurantes favorisant l’établissement et la prospérité des communautés ; notamment en cherchant à valoriser une économie plurielle renforçant les capacités des gouvernements dans leur rôle de planification du développement à long terme.

2.3. Une transition vers l’alternative ?

Cherchant à mitiger les conséquences délétères accompagnant les fermetures d’usines et dans l’objectif de redéployer les secteurs de la fabrication et de la construction de la région, le gouvernement du Québec, de concert avec des acteurs régionaux comme la Conférence régionale des élus (CRÉ) et des MRC, entreprit successivement deux plans de relance économique, comprenant les filières industrielles, énergétiques et touristiques (Desjardins, 2014 ; Gouvernement du Québec, 2013). Ces principales stratégies furent le plan de relance régionale de 2001 incluant les filières éolienne, maricole et touristique et la stratégie d’intervention gouvernementale pour le développement de la région Gaspésie-Îles-de-la-madeleine 2013-2018, comprenant la relance de l’éolien, la cimenterie de Port-Daniel, les hydrocarbures, le projet d’Orbite Aluminae, la réorganisation des transports et le tourisme (Gouvernement du Québec, 2013).

Faisant partie des trois priorités définies au sein du créneau ACCORD en 2006, l’industrie touristique pourrait être envisagée comme un des principaux leviers de transition économique régionale. Pour ce secteur, trois projets majeurs totalisant 30 M$ sont appelés à voir le jour d’ici 2017. À cela s’ajoutent les projets industriels majeurs que sont la cimenterie de Port- Daniel-Gascons (1,1 G$), la filière des hydrocarbures (Pétrolia, Gastem et Junex), la relance éolienne (800 mégawatts) et la fragile reprise de l’industrie forestière confortée par la relance de l’habitation aux États-Unis (Desjardins, 2014). La région espère aussi l’extraction d’alumine de haute pureté de l’entreprise Orbite en 2017.

Par l’importance des capitaux en jeu et des capacités technologiques mobilisés par des acteurs extérieurs, l’orientation vers l’exportation de produits de base, les politiques fiscales d’attractivité, l’assouplissement des contraintes environnementales (pétrole et cimenterie) de même que l’intérêt pour des formations professionnelles et techniques favorisant ces implantations, il y a tout lieu de penser que ces projets, représentant les principaux investissements dans l’économie de la région, renvoient aux modèle extractiviste. À ce titre, la page d’accueil du site d’Emploi Québec renseigne de façon éloquente sur le déterminisme économique régional :

L'économie de la région repose, en grande partie, sur l'exploitation et la première transformation des ressources naturelles ainsi que sur l'industrie touristique. Les activités économiques principales varient au rythme des saisons et sont, dans plusieurs cas, tributaires des fluctuations des marchés internationaux. (Emploi Québec, 2015)