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L’exploitation des ressources naturelles et le développement des

et le développement des territoires : entre conflits

et coopération

1.1. Exploitation des ressources naturelles et tensions :

la place du local

L’exploitation et la mise en valeur des ressources naturelles dans la perspective d’un aménagement intégré a longtemps favorisé le développement des territoires en particulier celui des milieux ruraux (Dugas, 1979). Cette approche, loin d’être remise en question au XXIe siècle, est la pierre angulaire des nombreux programmes gouvernementaux. Ainsi, l’exploitation du gaz de schiste s’est retrouvée au cœur de la campagne des élections provinciales de 2014 au Nouveau-Brunswick. Cependant, ces stratégies de développement génèrent aussi de nombreuses controverses. Celles-ci s’ancrent dans les visions contradictoires que les acteurs attribuent aux territoires : espaces productifs, cadre de vie, support aux loisirs, autant d’éléments sur lesquels se construit l’acceptabilité sociale (Beuret, 2006 ; Fortin, 2008). Ces controverses sont alimentées par des craintes et des conflits vécus localement, mais elles mobilisent des acteurs situés à différents échelons territoriaux. Les points soulevés portent principalement sur la protection de l’environnement et la maîtrise locale de l’activité en vue d’un partage plus équitable des retombées. Pour répondre à ces inquiétudes, les acteurs publics développent leurs propres outils applicables à différentes échelles territoriales, dont un cadre réglementaire en vue de mieux réguler ce qui relève du bien commun (qualité de l’air, de l’eau, des paysages, etc.) ainsi que des procédures d’ajustement comme les études d’impact environnemental, les tables de concertation, les comités de travail, les

tournées de consultation, etc. (Beuret, 2006 ; Lascoumes & Le Bourhis, 1998). Cependant, ces approches ne sont pas toujours suffisantes. Elles peuvent même parfois amplifier les conflits ou être interprétées comme des tentatives de manipulations lorsque le lien de confiance entre le gouvernement et les citoyens est rompu (Batellier & Sauvé, 2011).

À la régulation des activités d’exploitation des ressources naturelles par les gouvernements s’en superpose une autre de type marchand, de plus en plus mondialisée. Cette mondialisation s’accompagne d’une centralisation des processus décisionnels à travers les fusions de corporation (Chouinard et al.,

2005), dont le contrôle échappe le plus souvent aux espaces locaux qui supportent l’exploitation des ressources naturelles (Klein, 2008). L’échelon local et la société civile exercent pourtant un rôle fondamental pour intégrer à ces processus décisionnels d’autres acteurs et intérêts, comme ceux relatifs à la main-d’œuvre, aux collectivités locales ou aux élus municipaux, ce qui favorise des ajustements dans le sens d’une plus grande équité entre les territoires et les couches sociales (Chouinard et al., 2005 ; Stöhr, 2003 ; Thiesse, 1994). Par conséquent, la montée du local apparaît comme une réaction à certains effets déstructurants de la mondialisation (Klein, 1997). La régulation de ces activités est ainsi définie à différents niveaux par les marchés internationaux, le cadrage réglementaire et politique des institutions publiques nationales et infranationales ou les rapports de force s’exprimant autant au niveau local que global. Des compromis sociaux se négocient entre des acteurs locaux et extralocaux autour de ce qui semble acceptable et souhaitable pour un territoire et à un moment donné. Dans cette perspective, toute référence à « l’intérêt général » est d’abord un construit social indissociable du contexte dans lequel il est évoqué (Lascoumes & Le Bourhis, 1998). Cette construction est, en outre, essentielle pour que des projets ayant des conséquences majeures sur de multiples dimensions territoriales puissent voir le jour. Pareilles conciliations reposent sur le dialogue entre les acteurs d’une part, et sur la stabilisation temporaire des rapports de force entre ces derniers, de l’autre (Mermet, 2009).

Dans le cas de projets portant sur l’exploitation des ressources naturelles, même si plusieurs paramètres sont largement définis à des échelons extralocaux, l’examen de cette coordination, à l’échelle locale, nous en apprend beaucoup sur la capacité du milieu à dénouer les tensions inhérentes au modèle d’exploitation. C’est à cet échelon que l’on peut observer les effets combinés des processus ascendants et descendants mobilisés dans le cadre de la construction locale de l’acceptabilité sociale, la coordination locale à travers la capacité à définir les contours d’un projet commun jouant un rôle central dans l’ancrage communautaire des projets (Fortin & Fournis, 2014).

1.2. Entrepreneuriat collectif et la construction des compromis

territoriaux

Le mouvement coopératif a favorisé, particulièrement en Atlantique, le développement des territoires ruraux dans de nombreux secteurs économiques : finance, pêche, agriculture, alimentation, etc. (Chouinard et al., 2005 ; Chouinard et al., 2010). Dans ce contexte, il est pertinent de s’interroger sur la capacité de ces organisations à composer avec les tendances et les tensions liées au modèle néolibéral d’exploitation des ressources (Gingras & Carrier 2006 ; Chouinard et al.,2005 ; McCallum, 2003). Parmi les avantages inhérents au modèle coopératif en matière de développement territorial, deux dimensions ressortent : la capacité des organisations coopératives à stimuler la concertation et à établir des partenariats afin de concrétiser des initiatives locales et la contribution de cette forme d’organisation à la cohésion sociale. Ces dimensions reposent sur l’aptitude des acteurs collectifs et individuels à développer des relations de confiance. Cette dernière permet de réduire l’incertitude associée à la rationalité marchande et à améliorer l’efficacité de la coordination entre les acteurs (Parodi, 2006 ; Chouinard et al., 2005).

La culture du débat, liée au mode de gouvernance de ces organisations, est propice à des prises de décisions respectant les intérêts de tous les membres. Cette culture de la délibération s’illustre à travers la qualité de la démarche participative qui précède le vote : formation, dialogue sur les valeurs, discussions sur les objectifs, etc. (Bocquet et al., 2010). Elle constitue un atout important lorsque la concertation autour d’enjeux controversés est nécessaire. La concertation permet de poser les bases à une action commune eu égard à la construction de références partagées (Beuret, 2006). Grâce aux apprentissages collectifs générés par des échanges répétés sur de longues périodes de temps, son effet est durable. Bourque (2008) définit la concertation comme un processus collectif de coordination basé sur une mise en relation structurée et durable entre des acteurs sociaux autonomes qui acceptent de partager de l’information, de discuter de problèmes ou d’enjeux spécifiques afin de convenir d’objectifs communs et d’actions susceptibles de les engager ou non dans des partenariats. Le partenariat, quant à lui, est beaucoup plus formel, « il implique un engagement contractuel à partager des responsabilités, à mettre en commun des ressources et à se diviser des tâches suite à une entente négociée » (Bourque, 2008 : 6). Au-delà de leur mode de fonctionnement interne, les coopératives, grâce à leur ancrage territorial, possèdent des atouts importants pour structurer des échanges fructueux entre les parties impliquées dans la mise en valeur des ressources naturelles. Elles sont intégrées aux réseaux coopératifs, sectoriels et locaux. L’étude de cas faite sur l’intercoopération sur l’île Lamèque souligne

l’importance des relations de longue date entre les coopératives et la municipalité pour concrétiser les partenariats nécessaires au développement du territoire (Chouinard et al., 2010).

La cohésion sociale fait référence aux processus sociaux qui contribuent à assurer la pérennité des liens entre les individus qui composent une communauté, une collectivité, une société (Gingras & Carrier, 2006). Cette cohésion repose sur le partage de valeurs. Les entreprises d’économie sociale et les coopératives, parce qu’elles favorisent la délibération dans la prise de décision, seraient favorables au développement de liens de confiance et à la cohésion sociale (Lévesque, 2007). Ces organisations favorisent des pratiques (comme la priorisation de l’emploi sur la rentabilité ou le partage des retombées économiques avec les membres ou la communauté) qui reposent sur des valeurs partagées, dont les solidarités générationnelles et intergénérationnelles (Bocquet et al., 2010 ; Gingras & Carrier, 2006 ; Lévesque, 2007). Ces valeurs et ces pratiques sont au cœur des processus favorisant la cohésion sociale. L’ancrage territorial des organisations coopératives (Draperi, 2000) favorise non seulement le développement de partenariats mais aussi la mise en œuvre de pratiques reposant sur des valeurs priorisées par les acteurs des territoires. Ces organisations ne peuvent généralement pas résoudre les défis de la compétitivité par la délocalisation de leurs activités, puisque leur raison d’être est liée aux territoires dont elles sont issues (Bocquet et al., 2010 ; Parodi, 2006 ; Chouinard et al., 2005). La coopérative n’a pas seulement été créée pour profiter d’une opportunité d’affaires, mais aussi pour répondre aux besoins d’une population : autonomie, création d’emplois, accès à des services. Il n’en demeure pas moins que les coopératives, à l’instar des autres types d’entreprises, expérimentent des divergences au sein de leur organisation, partagées entre la promotion d’un développement pour les territoires et l’insertion dans des filières économiques très compétitives (Bocquet et al., 2010 ; Parodi, 2006 ; McCallum, 2003). Mais comme elles limitent la rémunération du capital, elles sont davantage en mesure de concilier compétitivité et équité sociale et de protéger les intérêts collectifs de leurs membres (Bocquet et al., 2010). En ce qui concerne les valeurs environnementales présentes dans la majorité des conflits liés à l’exploitation des ressources, le mode de fonctionnement des organisations coopératives ne les oblige pas spécifiquement à adopter une attitude socialement responsable (Bocquet et al., 2010). Cependant ces organisations sont de plus en plus sensibles aux impacts écologiques de leurs activités, notamment parce qu’elles sont à l’écoute des inquiétudes de leurs membres, sans avoir forcément à tenir compte du retour sur investissement comme y sont contraintes les entreprises traditionnelles (Mills & Davies, 2013).