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Les auteurs qui se sont servi des outils de l’École de la régulation ont cherché à rendre compte de certaines évolutions sur les plans économique, politique et institutionnel. La perspective régulationniste a d’abord été élaborée pour rendre compte principalement des rapports sociaux et économiques à l’échelle des pays et des États-nations. Elle n’a pas été tellement appliquée à l’analyse des réalités régionales, du moins pas aussi souvent qu’on aurait pu le souhaiter. Certains auteurs ont préconisé son application aux contextes régionaux (Benko & Demazière, 2000 ; Filion, 1996). Il vaut la peine de souligner la contribution d’Alain Lipietz dans Le capital et son espace (1977). Dans cet ouvrage, Lipietz a établi une hiérarchie des régions industrielles et

une typologie des régions agricoles de la France et a caractérisé les rapports sociaux propres à chaque type d’espace. Son travail ne concernait toutefois pas les régions ressources puisque cette notion ne s’applique pas bien au cas français. Par exemple, les périphéries en France seraient les zones de déprise agricole ou, sur le plan industriel, les localités où domine le montage déqualifié. La notion d’une périphérie à haut salaire et à qualification relativement élevée ne fait pas partie des catégories élaborées par Lipietz. Son travail peut être vu comme un point de départ, mais il est nécessaire d’élaborer des concepts adaptés au contexte québécois et canadien et collant aux réalités de l’exploitation des ressources naturelles, ce à quoi se sont employés certains chercheurs britanno-colombiens qui ont emprunté des éléments importants de la perspective régulationniste.

Leur démarche est parallèle à celle des chercheurs qui ont utilisé le modèle

staples/post-staples. Il est significatif que le point de départ empirique, soit le cas de la Colombie-Britannique, ait été le même. Ces auteurs ont axé leur analyse sur le passage du fordisme au postfordisme. Ils ont plaidé que le mode d’exploitation des ressources naturelles dans cette province a, pendant toute la partie médiane du XXe siècle, correspondu à un fonctionnement fordiste de l’économie et de la société. Même si le modèle ne colle pas à 100 % - par exemple, la technologie du travail en forêt ne peut être assimilée à celle du travail à la chaîne répétitif et déqualifié - de nombreuses caractéristiques permettent de faire ce rapprochement : compromis entre le capital et le travail (hauts salaires et règles protectrices comme l’ancienneté véhiculée par le monde syndical), appui de l’État aux grandes entreprises dans l’accès aux ressources, dans l’exportation des produits, dans la gestion du système de relations de travail, etc. Le fordisme version canadienne a été qualifié de perméable (Jenson, 1989 et 1990) mettant ainsi l’accent sur certains traits de l’économie canadienne, fortement tournée vers l’exportation et largement ouverte à l’investissement étranger.

À partir du milieu des années 1970, le modèle fordiste entre en crise et on assiste à l’émergence d’une ère postfordiste caractérisée par la flexibilité. Une conjugaison de différents changements conduisent à des restructurations qui se traduisent par certaines fermetures et par des baisses d’emploi. Les facteurs suivants sont mentionnés par des auteurs comme Hayter et Barnes (Barnes & Hayter, 1994 ; Hayter, 2003) :

la mondialisation des marchés apporte des conditions plus difficiles de fonctionnement et de rentabilité, à cause notamment de la concurrence des pays à moindres coûts de production ;

• l’adoption de technologies nouvelles restructure le travail et les lieux de travail et fait baisser la taille de la main-d’œuvre ;

• la cause de la protection de l’environnement impose de nouvelles pratiques aux exploitants et aux gouvernements qui réglementent l’exploitation (aires protégées, par exemple) ;

• les revendications autochtones modifient les conditions d’exploitation ; • les capacités d’intervention des gouvernements sont encore importantes,

mais en diminution (« [...] these developments underline the uncertain winds of change blowing through BC’s forest economy while exposing the decline of ability of the provincial government - whether right-wing or left-wing - to lead its remapping » Hayter, 2003, p. 723) ;

• les territoires de ressources, un peu partout dans le monde, sont devenus des territoires âprement disputés (« deeply contested spaces »), objets de conflits, de controverses et de convoitises diverses (Hayter, Barnes & Bradshaw, 2003).

Selon cette approche, le passage du fordisme au postfordisme a entraîné l’augmentation de l’instabilité et de l’incertitude pour les territoires de ressources. Le sort des villes mono-industrielles, spécialement celles liées à une seule entreprise, illustre ce passage. Nées avant et pendant le fordisme, ces villes, typiques des régions ressources, ont connu une certaine prospérité au milieu du XXe siècle. Lucas (1971) avait établi que ces villes suivaient un parcours typique qui les conduisait à une étape, dite finale, de maturité, gage de stabilité, de prospérité et de permanence. Ce pronostic optimiste de la période fordiste s’est trouvé totalement défait dans la période postfordiste (Barnes, 2005). À l’ère postfordiste, les paramètres régissant le fonctionnement et l’existence des villes mono-industrielles se sont modifiés (Hayter, 2000). Les changements dans les conditions de production ont fait que certaines de ces villes ont fermé et que d’autres ont vu les revenus moyens de leurs habitants décliner. Dans les zones isolées, les nouvelles exploitations de type postfordiste ne devraient plus désormais donner lieu à la fondation de nouveaux établissements humains, mais plutôt à des chantiers temporaires où se pratique une forme de migration alternante (le

fly-in/fly-out en serait un bon exemple).

Les auteurs post-staples et les auteurs postfordistes parlent, autant les uns que les autres, des bouleversements engendrés par les nouvelles conditions économiques : ouverture plus poussée à la concurrence mondiale, changements technologiques, instabilité des conditions économiques et sociales dans les territoires de ressources, incertitude quant à l’avenir. Cependant, la perspective régulationniste qui anime les tenants du postfordisme les conduit à accorder une place plus importante que les auteurs post-staples aux rapports entre les grands joueurs sur le terrain et aux stratégies respectives de chacun : l’État, les ONG, les syndicats, les nations

autochtones, les grandes entreprises, etc. C’est d’ailleurs ce qui rend cette approche particulièrement pertinente.