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Les « lieux contestés » : vers un partage obligé des régions ressources ?

Cette troisième partie visera à démontrer la pertinence d’envisager les régions québécoises comme des « lieux contestés », c’est-à-dire comme des espaces organisés autour de négociations, tensions et conflits relatifs à la place des ressources dans l’économie locale (la scène économique) et à la place respective des différents acteurs dans la gestion de ces évolutions structurelles (la scène politique). Car, si ces espaces sont historiquement centrés sur les ressources, le fonctionnement de base de cette économie politique des régions ressources est encore en jeu dans les dossiers les plus contemporains du Québec. Ces deux cas révèlent la transition économique des régions ressources, puisqu’ils illustrent le renouvellement de certains régimes de politique publique pour intégrer des ressources moins conventionnelles (respectivement la production éolienne dans le régime hydroélectrique et l’exploitation des gaz de schiste dans le régime des hydrocarbures (pétrole et gaz)). Mais ils indiquent aussi l’ancrage différencié de cette transition en fonction des territoires, des tensions et des conflits autour du partage de l’espace (ainsi de la politique éolienne en Gaspésie et de l’exploration relative au gaz de schiste dans la Vallée du Saint-Laurent). La comparaison entre ces deux cas est intéressante puisqu’elle envisage des régions différentes (seule la première pouvant être qualifiée de « ressource »), mais on y observe plusieurs paramètres similaires structurant les dynamiques contestataires et les nouvelles exigences pour repenser le partage de l’espace.

3.1. L’éolien en Gaspésie

La Gaspésie présente tous les traits d’une région-ressource. Éloignée des centres de décision et grands marchés urbains, peu peuplée, son économie a été fondée sur une exploitation brute des ressources halieutique, forestière et minière destinée à l’exportation. Les grandes entreprises y jouent un rôle de locomotive, bénéficiant d’un régime juridique et de politiques publiques favorisant leurs activités. Comme dans d’autres régions ressources, le modèle historique du staples montre cependant des défaillances majeures : épuisement des ressources menant à l’adoption de règles drastiques de gestion, voire d’interdiction d’activités d’extraction (la pêche en particulier), financiarisation et fusion d’entreprises dans de puissants conglomérats, fermeture et relocalisation d’activités de production (années 1990). Pour relancer la trajectoire de développement sur de nouvelles bases, l’élite gaspésienne se mobilise autour de divers projets, appuyée par le gouvernement central. L’éolien apparaît comme une nouvelle ressource autour de laquelle s’organise une vaste coalition extrarégionale.

Québec adopte une politique volontariste forte, structurée autour d’un pari : attirer en sol gaspésien un des trois-quatre grands fabricants étrangers qui se partagent le marché mondial des turbines afin qu’ils essaiment leur savoir- faire technologique dans un tissu de manufactures locales encore inexistantes mais qui devraient rapidement se tourner vers l’exportation. Au moyen de politiques publiques, dont des appels d’offres mêlant mesures incitatives et coercitives, la stratégie est de générer un marché local pour les turbiniers étrangers en construisant, sur une courte période, de nombreux parcs de production d’énergie éolienne par des producteurs privés. La stratégie reconduit donc en partie le modèle des ressources premières, misant sur l’exportation et la grande firme étrangère.

De prime abord le projet est conforme aux attentes des Gaspésiens. Des décalages apparaissent cependant lors de la mise en œuvre, surtout autour des parcs de production. D’une part, les retombées économiques tant attendues sont estimées trop modestes dans les collectivités, que ce soit sur le plan de la taxation locale des équipements, non reconnue par la législation québécoise, ou des profits tirés des contrats d’achat d’électricité qui sont accaparés par des entreprises privées exogènes. Le gouvernement ouvrira le jeu en matière de propriété des parcs, en lançant deux appels d’offres dits « communautaires », basés sur des partenariats privé/public, qui ne s’appliquent cependant que sur une portion congrue du mégaprojet éolien (moins de 10 %) et dont les effets restent à évaluer. Les élus, regroupés au sein de la CRÉ, avanceront aussi des propositions innovantes pour tenter de rééquilibrer la concurrence lors des appels d’offres (Régie intermunicipale). Les parcs sont aussi critiqués, d’autre part, pour des impacts imprévus sur la qualité du cadre de vie (paysage, bruit) et qui motivent des contestations particulièrement fortes au Bas-Saint-Laurent et ailleurs en province. Au-delà des enjeux de proximité, les critiques portent aussi sur l’enjeu de la participation citoyenne dans la gouvernance des grands projets et des choix de développement. Les quelques réponses suggérées par Québec en termes de planification territoriale ne répondent que partiellement aux critiques car elles cadrent le débat au niveau de la localisation des grands parcs, ne permettant pas de questionner leur taille, leur mode de propriété et encore moins leur pertinence.

3.2. Le gaz de schiste dans la Vallée du Saint-Laurent

Autre cas récent d’un mégaprojet énergétique contesté au Québec, l’exploitation du gaz de schiste. Apparaissant comme une nouvelle ressource exploitable grâce à des avancées technologies mises au point aux États-Unis, de grandes compagnies sont attirées par des gisements prometteurs. Elles reçoivent le soutien du gouvernement provincial, qui présente l’industrie

comme pouvant apporter des retombées importantes pour l’économie du Québec, dont 11 000 emplois. Le cadre législatif en vigueur est aussi favorable au projet, donnant préséance aux activités minières sur d’autres types de droit (municipal en particulier). Face à ces éléments très favorables, le choc du territoire est particulièrement brutal.

D’abord, le territoire convoité couvre une étendue très vaste dans la Vallée du Saint-Laurent (121 permis couvrant plus de 20 000 km2). Reconnue comme le « grenier » du Québec et la plus densément peuplée de la belle province, cette région possède une économie forte et diversifiée et montre une démographie en hausse dans différents secteurs stratégiques pour l’industrie. À plusieurs égards, il ne s’agit donc pas à proprement parler d’une région- ressource.

On soulignera tout de même une familiarité avec la ressource, l’industrie du gaz naturel y étant présente depuis plus de 30 ans. Toutefois, la donne est différente avec le schiste car il s’agit ici de gaz non conventionnel qui comporte un lot d’incertitudes, liées aux technologies particulières d’extraction (fracture hydraulique). La confusion règne d’ailleurs entre les deux types de gaz aux premiers temps de la prospection. Certains élus et des citoyens (y compris parmi ceux qui deviendront par la suite des opposants acharnés) se montrent alors intéressés par cette nouvelle ressource qui pourrait contribuer au développement de leur milieu. Mais la mise à jour de certains impacts et risques mal connus, couplée aux réponses insatisfaisantes fournies par l’industrie et les autorités gouvernementales incitent les citoyens à s’organiser en collectifs locaux (comités de vigilance) et à se coordonner dans un regroupement interrégional pour s’opposer au projet gazier. En quelques mois, la contestation prend une ampleur rarement vue au Québec. Les impacts sur l’environnement sont au cœur des arguments, en particulier la qualité et la disponibilité de l’eau. L’économie aussi. Des agriculteurs devenus leaders de la mobilisation font valoir la distinction entre les deux modèles d’exploitation des ressources en concurrence : d’un côté, une économie agricole prospère, fondée sur des entreprises familiales bien enracinées dans les communautés locales depuis plusieurs générations, de l’autre une économie d’extraction maîtrisée par quelques grands groupes financiers exogènes qui sont susceptibles de bouleverser l’économie locale et l’organisation du territoire avant de repartir après quelques années d’activités. Mais le thème le plus central des revendications touche les processus et le cadre de gouvernance (ex. dans 9 mémoires sur 10 déposés au BAPE). Les élus et leurs associations (FQM, UMQ) sont particulièrement virulents, dénonçant un manque de reconnaissance de leur droit à gouverner leurs territoires, droit qui s’est construit progressivement au fil des décennies et reconnu par Québec en 2005 (Loi sur les compétences municipales). De fait,

le projet gazier met à jour de sérieux problèmes de cohérence entre différents régimes juridiques sectoriels, voire de véritables paradoxes entre cadres hérités et plus récents.

Face à ces critiques vives et nombreuses, Québec adopte de nouvelles règles administratives concernant l’obtention de permis et le contrôle et suivi des activités de forage. Quant à une position globale et définitive sur la pertinence et la sécurité de cette activité, celle-ci est décalée de plus de deux ans, le temps de renforcer les connaissances au moyen d’une vaste évaluation environnementale stratégique (ÉES). Comportant un volet relatif à « l’acceptabilité sociale » du gaz de schiste25, cette procédure équivaut à imposer un moratoire sur ces activités gazières, ce qui suspend la controverse pendant la durée des travaux de l’ÉES. La polémique se poursuit cependant sur d’autres territoires, alors que d’autres promoteurs souhaiteraient recourir à la fracturation hydraulique pour extraire le pétrole de schiste. Le conflit tourne même en bataille judiciaire entre une pétrolière et les élus de la Ville de Gaspé. Comme Québec tarde à fournir un nouveau cadre intégré pour assurer le partage, tout en avançant sur le plan sectoriel (réforme du droit minier, promesse de nouveau règlement sur l’eau), il revient aux tribunaux de trancher entre les droits des uns et des autres. Les régions ressources reviennent encore à l’avant-plan pour établir les bases d’un nouveau pacte, plus contemporain, entourant le partage du territoire. Reste à voir si les règles seront les mêmes pour tous, partout. Le jeu reste ouvert.

Conclusion

Finalement, envisager les régions ressources en termes d’économie politique mène à nuancer les approches académiques épurées qui, centrées sur les seules forces économiques ou sociologiques, en offrent des définitions homologues assez limitatives (des régions trop peu centrales ou denses). Plutôt, l’on peut considérer les régions ressources comme des espaces pleins, structurés par une lutte ou une concurrence pour le contrôle des ressources par l’intermédiaire de l’espace, encadrée par des structures économiques propres (l’exploitation industrielle des ressources insérée dans la compétition internationale), et menée par un jeu de forces économiques et sociales

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Notre équipe a été mandatée pour avancer des propositions tant théoriques que méthodologiques sur cette notion floue (Fortin & Fournis, 2013), ce qui nous a amenés dans ce papier à envisager les dynamiques contestataires observées autour du projet gazier comme une lutte de société visant le renouvellement du modèle d’exploitation des ressources.

territoriales régulé par les politiques publiques de ressources (acteurs et politiques nécessairement différents de leurs homologues métropolitains). Dans ce contexte, il est peut-être moins utile de regretter ce qui ne se produit pas dans les régions ressources (la sécrétion d’effets d’agglomération et de PME innovantes) que, plus modestement, de décomposer les couches qui se sont historiquement sédimentées dans des types particuliers d’économies liées aux ressources. Dans cette perspective, un renouvellement des outils conceptuels des études régionales est peut-être nécessaire, pour interroger plus largement les réalités contemporaines que peut recouvrir la notion de « région », en rendant compte à la fois des lourdeurs des structures sociales et économiques (en termes de staples ou plus largement), de la plasticité différenciée des politiques publiques (en termes de régimes de ressources, mais aussi de sous-secteurs) et des dynamiques croissantes des acteurs locaux (Beaudry & Dionne, 1996). À tous ces égards, les deux cas présentés ne manquent pas d’intérêt.

Que retenir de leur bref examen ? D’abord, les deux mégaprojets énergétiques sont introduits dans des territoires dont les trajectoires diffèrent sensiblement : si la Gaspésie peut être associée à une région ressource, tel n’est pas le cas de la Vallée du Saint-Laurent. Pourtant, la « scène économique » de la transition des ressources reflète fort peu cette distinction, tant les mégaprojets semblent souscrire au même modèle historique d’exploitation des ressources, dit des staples26. Même pour l’éolien, sous- secteur du régime de l’hydro-électricité, le pacte historique faisant d’Hydro- Québec le seul propriétaire et maître d’œuvre public de la ressource est brisé au profit d’une marchandisation du vent, tirée par de grands acteurs privés. Parallèlement, la « scène politique » n’est pas vraiment plus différenciée : les dynamiques territoriales semblent peu influencer les stratégies de structuration des grands projets suivies par les promoteurs, privés ou gouvernementaux. Ceux-ci imposent les mêmes paramètres sur ces territoires, qui empruntent largement à la représentation historiquement dominante accordée aux régions ressources, comme espaces ouverts pour « accueillir » l’exploitation, sans considération d’identité propre. Certes, cette gouvernance des ressources s’ouvre parfois à quelques acteurs, mais ceci apparaît comme une exception aux routines des secteurs – ainsi de l’élite

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Grossièrement, la grande entreprise, souvent d’origine étrangère, fournit les capitaux et l’expertise, en valorisant l’extraction à gros volume pour assurer des économies d’échelle, variable clé de la rentabilité des projets, et dont le produit brut est destiné au grand marché continental de l’énergie.

gaspésienne, partie prenante du mégaprojet éolien à certaines phases (premiers contours, volet industriel), mais marginalisée par les grands acteurs (Hydro-Québec, MRN) lors des phases majeures (élaboration des instruments, mise en œuvre du volet énergétique).

Finissons par une note optimiste, en valorisant une variable discrète mais sans doute décisive : dans les limites posées par l’économie politique des ressources, cette gouvernance des ressources compte peut-être plus qu’il y paraît. L’ouverture de la scène politique des ressources en Gaspésie a permis au projet éolien de recueillir le soutien d’acteurs locaux importants (élus et divers agents institutionnels) en faveur d’un projet éolien territorial, alors que le projet gazier brille par l’absence systématique d’appui régional, sans doute faute de délibération territoriale (si ce n’est, à la pièce, quant aux modalités techniques d’insertion d’activités ponctuelles de forage). Or, et c’est peut-être là la nouveauté à considérer : malgré le poids historique et légal conféré au modèle traditionnel de la région ressource, il devient de moins en moins possible de faire avancer un projet uniquement à partir du centre, sans tenir compte des intérêts locaux. L’évolution est certes modeste, à l’aune du partage de l’espace, mais tout de même significative au vu du poids des régimes historiques de cette économie continentale…

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V

Développement régional et touristique en Gaspésie,

la poursuite du modèle de l'économie primaire

Jean-François Spain27

Introduction

La Gaspésie, territoire maritime aux paysages naturels spectaculaires. Vaste région de 20 272 km2 où la population est majoritairement installée sur le pourtour littoral, dotée de nombreuses richesses naturelles dont les produits de la mer, un imposant domaine forestier, de bonnes richesses minéralogiques et plus récemment, éoliennes et pétrolières. Territoire riche et diversifié dont la population est parmi les plus pauvres du Québec. Sa situation péninsulaire, sa faible densité de population, son histoire et sa culture très singulière ont ici fait émerger une territorialité unique. Paysage et culture étant les assises de l’industrie touristique reposant sur trois piliers, la gastronomie, la mer et les montagnes. La mythique route 132 ceinturant la péninsule sur tout le littoral fait aussi partie du produit « gaspésien ».

Fondée sur la pêche, l’économie de la Gaspésie ne verra pas d’établissements d’importance sur son territoire avant la conquête. En 1757, après la déportation des Acadiens, des agglomérations plus significatives commencent à se développer d’abord au sud. Avec l’arrivée des Britanniques, les entrepreneurs anglais, Jersiais et Guernesiais s’installent, certaines des entreprises créées alors dureront jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale. La transformation du monde de l’après-guerre se vérifiera aussi en Gaspésie. Grâce aux poussées technologiques, on assiste à une forte industrialisation des deux secteurs primaires que sont la pêche et la forêt. L’exploitation minière se développe au même moment. Parallèlement à l’essor de l’industrie se développe une nouvelle industrie en Gaspésie, le tourisme.

Cette industrie s’envisage-t-elle sous le même modèle que ceux ayant présidé à l’exploitation des ressources naturelles de la Gaspésie ? Nous tenterons d’évaluer si l’économie touristique gaspésienne rencontre les critères d’une transition économique ou renouvelle davantage la logique extractive. Nous définirons la transition à partir de caractéristiques consistant à éloigner

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l’économie de l’exploitation de produit de base, notamment en appuyant son modèle sur des éléments de durée, de proposition d’immersion tenant compte des réalités historiques et culturelles.

La littérature scientifique ne semble pas abonder en analyses portant sur