• Aucun résultat trouvé

Surveillance exercée par les intermédiaires financiers

I NTRODUCTION DE LA PREMIERE PARTIE

1.2. L ES SOLUTIONS PARTICULIERES APPORTEES PAR LES FINANCEMENTS INTERMEDIES ET RELATIONNELS

1.2.1.2. Surveillance exercée par les intermédiaires financiers

Les asymétries d’informations ex post favorisent certaines informations cachées des entreprises emprunteuses. Les contrats contingents, à eux seuls, ne peuvent suffire à inciter ces entreprises à respecter leurs engagements. Une solution complémentaire est à chercher du coté des modèles à vérification coûteuse (costly state verification)67 dans lesquels les entrepreneurs observent sans coûts la rentabilité de leur projet, alors que les autres agents (les prêteurs) doivent engager des coûts pour avoir une telle information. Dans ce cadre, les prêteurs peuvent déclencher une procédure de contrôle (un audit) afin de vérifier les informations rapportées par les entreprises emprunteuses. Selon Townsend (1979), puisqu’une telle procédure est coûteuse pour les prêteurs, il n’est pas nécessaire d’y recourir à chaque fois. En effet, les contrats de dettes étant optimaux, les prêteurs n’ont à vérifier que les informations provenant d’entreprises qui se déclarent en difficulté (et donc dans l’incapacité de payer), et à accepter les remboursements fixes des autres firmes.

Diamond (1984) approfondit cette idée pour montrer que les intermédiaires financiers dominent les autres prêteurs sur le marché, dans la surveillance des entreprises emprunteuses. Mais à la différence de Townsend (1979), la procédure de contrôle ne dépend

pas de l’état de payement, puisqu’elle doit être engagée avant que la réalisation de l’output du projet de l’emprunteur ne soit connue de quiconque68. Selon Diamond (1984), le marché échoue dans le contrôle des entreprises emprunteuses, essentiellement pour deux raisons : la duplication des coûts de contrôle si chaque acteur sur le marché décide de suivre individuellement l’emprunteur, et le comportement de « passagers clandestins » (free rider) si certains acteurs, conscients que leurs choix n’affectent pas de manière sensible et mesurable le résultat final, laissent le coût du contrôle aux autres, tout en bénéficiant des effets de celui-ci69. Alors que le marché met en relation des agents anonymes opérant de façon décentralisée, la relation intermédiée est de nature bilatérale et hiérarchique puisqu’un principal (l’intermédiaire) surveille et pose ses conditions à un agent (l’emprunteur). Cette délégation de la fonction de contrôle produit automatiquement une économie de coûts de contrôle : sur l’ensemble des n prêteurs, un seul désormais engage le coût de contrôle (le moniteur délégué). Mais cette délégation a son propre coût. En effet, le problème d’aléa moral qui se posait initialement entre prêteurs et emprunteurs est reporté au niveau de la relation prêteur/intermédiaire : les n-1 prêteurs (devenus désormais déposants auprès de l’intermédiaire) n’observent que très imparfaitement le contrôle exercé par l’intermédiaire, qui peut être incité à ne pas surveiller70. En d’autres termes, la question qui se pose est celle du contrôle du contrôleur. Diamond déduit alors les conditions de viabilité de l’intermédiation : il faut que le coût de la délégation soit inférieur à l’économie de coûts autorisée par l’intermédiaire. Cette condition est vérifiée si l’intermédiaire finance un grand nombre de projets, c’est-à-dire s’il diversifie les fonds qui lui sont confiés. Il tire alors partie de la loi des grands nombres et le coût unitaire de délégation décroît. Dès lors, les intermédiaires financiers peuvent être considérés comme des contrôleurs délégués (delegated monitoring) qui dominent l’alternative d’un financement de marché.Les idées de Diamond (1984) ont été reprises et développées par la suite (S. Williamson, 1986 et 1987 ; Fama, 1990 ; Krasa et Villamil, 1992 ; Winston, 1995).

68 Avant d’arriver à cette conclusion, Diamond (1984) envisage la situation où les prêteurs ne peuvent pas vérifier la réalisation des projets, à quelque coût que ce soit. Dans ce cas, le contrat de prêt peut être assorti d’une “pénalité non pécuniaire” dont pâtirait l’entreprise emprunteuse (et plus précisément son dirigeant) en cas de défaut : temps consacré par le dirigeant à la procédure de faillite, coûts engagés pour expliquer la pauvreté des résultats, coûts de recherche d’un nouveau dirigeant, perte de réputation du dirigeant, etc.

69 Les marchés n’exercent leur contrôle qu’à travers les prix, ici les taux d’intérêt : si l’emprunteur réalise de mauvaises performances ou prend des décisions contraires aux intérêts des apporteurs de capitaux, il en résultera une baisse de la valeur de la dette, donc une augmentation du coût du capital qui s’appliquera aux futures émissions de l’entreprise.

70 Encore une fois, les prêteurs dispersés ne peuvent pas contrôler l’intermédiaire. Mais ils peuvent l’inciter à surveiller en faisant peser sur lui une pénalité non pécuniaire.

Toutefois, ces études justifient la supériorité des financements intermédiés à travers uniquement une économie mécanique de coûts de contrôle ; elles ne développent donc pas toutes les caractéristiques des intermédiaires financiers (et plus particulièrement des banques). Leur avantage comparatif en matière de gestion des coûts de contrôle, qui peut résulter des relations de long terme qu’ils entretiennent avec leurs clients et de la gestion parallèle des dépôts et des crédits, est supposé, mais n’est pas endogène dans ces modèles.

Pour conclure, ces premières théories de l’intermédiation financière justifient le rôle des intermédiaires par la production d’information et le contrôle des emprunteurs. Mais elles modélisent la réalité de manière relativement simple : l’évaluation ou le contrôle constituent une action à une seule période, les contrats de prêts optimaux sont relativement simples, les emprunteurs recourent à un seul prêteur, et si une concurrence entre prêteurs est modélisée, elle concerne un nombre infini d’intermédiaires parfaitement diversifiés qui offrent des termes identiques. Mais la réalité du financement bancaire est plus complexe : les banques et les emprunteurs interagissent souvent de manière répétée au cours du temps, les contrats sont implicites ou incluent des conditions complexes, les termes sont souvent renforcés de manière sélective ou bien renégociés, les emprunteurs obtiennent souvent des financements de multiples sources, les banques sont rarement parfaitement diversifiées et affrontent des degrés variés de concurrence. Un autre volet de la littérature s’est donc donné pour objectif de compléter les analyses existantes en modélisant un type de financement particulier, voir « spécial » (Fama, 1985), qui lie les entreprises emprunteuses à leur banque.

1.2.2. Les spécificités des financements relationnels : les modèles multi-périodiques

Les études anglo-saxonnes emploient souvent le terme relationship banking (relation de clientèle ou littéralement « banque de relation ») pour caractériser l’interaction particulière entre entreprise emprunteuse et banque. Plusieurs auteurs proposent des définitions complémentaires de ce concept (Boot, 2000 ; Ongena et Smith, 2000a ; Berger et Udell, 2002 et 2006 ; Elsas, 2005 ; Freixas, 2005). Selon Boot (2000) :

“We define relationship banking as the provision of financial services by a financial intermediary that: (i) invests in obtaining customer-specific information, often proprietary in nature; and (ii) evaluates the profitability of these investments through multiple interactions with the same customer over time and/or across products”.

La banque de relation disposerait donc d’informations spécifiques (souvent privées) sur les entreprises emprunteuses, obtenues à travers les services de sélection et/ou de monitoring qu’elle offre ; en outre, ces informations peut être enrichies et (ré)utilisées dans le cadre d’une interaction avec le même client, au cours du temps et à travers de multiples produits71 ; elles peuvent être coûteuses à acquérir, mais peuvent parfois être générées gratuitement. D’où l’idée, simplificatrice certes, que les banques proposeraient des financements relationnels fondés sur l’instauration d’une relation de long terme et multi produits, alors que les marchés proposeraient des financements transactionnels anonymes, ponctuels et sans autres effets de mémoire que ceux liés à la réputation72.