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Mise en place de contrats contingents par les prêteurs

I NTRODUCTION DE LA PREMIERE PARTIE

1.1. L ES PROBLEMES INFORMATIONNELS ENTRE PRETEURS ET EMPRUNTEURS ET LES SOLUTIONS PARTIELLES

1.1.2.2. Mise en place de contrats contingents par les prêteurs

Afin de réduire les risque de sélection adverse, d’aléa moral ou d’opportunisme, la solution peut se situer du coté des prêteurs : ils devraient proposer des contrats contingents.

Les contrats de dettes (par opposition à l’apport en fonds propres) semblent optimaux dans ce cas, dans la mesure où ils conditionnent le financement au respect des engagements conclus (Towsend, 1979). Ces contrats peuvent être assortis de clauses (covenants) qui permettent de limiter les coûts indirects liés aux conflits d’intérêt, mais également les coûts directs liés aux pertes en capital qu’un transfert de richesse pourrait occasionner. Ces clauses sont généralement dites positives, car fondées sur les chiffres comptables, avec pour but d’imposer aux firmes le maintien de ratios financiers ou d’indices budgétaires précis ; dans certains cas, elles peuvent spécifier la nature des informations que les dirigeants doivent fournir aux prêteurs. Mais ces clauses peuvent également être négatives, c’est-à-dire destinées à limiter le comportement des dirigeants/actionnaires (Smith et Warner, 1979) ; elles concernent alors la politique d’investissement (afin de décourager le sous-investissement ou la substitution d’actifs), mais également la politique de financement (de manière à ce que l’entreprise ne soit pas exposée à un trop grand risque de défaillance et le prêteur à un risque de défaut supérieur) et la politique de distribution de dividendes (pour s’assurer que les propriétaires ne retirent pas de l’entreprise des montants excessifs de

64 Par la suite, la théorie financière a proposé un certain nombre de signaux à émettre par les sociétés pour révéler leur qualité au marché telles que la politique d’endettement (Ross, 1977, Harris et Raviv, 1991), de distribution de dividendes (Bhattacharya, 1979, Kalay, 1980), etc.

capitaux et qu’ils lui laissent suffisamment de ressources internes pour se développer de manière équilibrée). Ces clauses, pourtant contraignantes, sont généralement acceptées par les entreprises qui y voient un moyen d’obtenir des conditions de crédit plus avantageuses, mais également une condition parfois nécessaire à l’aboutissement d’une contractualisation avec le prêteur. Une conséquence majeure à ce mécanisme incitatif est que les entreprises qui ne respectent plus les termes du contrat en violant une (ou des) clauses(s) sont considérées en en état de « défaut stratégique », et se trouvent obligées de payer des indemnités de rupture de contrat, tout en s’exposant au désengagement brutal du prêteur (Chen et Wei, 1993 ; Beneish et Press, 1995 ; Chava et Roberts, 2008).

Pourtant, il n’est pas toujours opportun de rompre le contrat (ou pire de précipiter la liquidation), notamment lorsque la poursuite de l’exploitation paraît plus avantageuse. C’est le cas, par exemple, lorsque la société emprunteuse ne peut assurer une échéance (ou plus simplement connaît des problèmes de liquidité) du fait d’un aléa conjoncturel ou d’un brusque changement d’environnement. Ainsi, dans certaines circonstances, la possibilité de renégocier les clauses améliore l’efficience du contrat. Mais les différents types de prêteurs ne présentent pas la même flexibilité, ni la même capacité de renégociation.

Au demeurant, il est impossible d’envisager toutes les éventualités et d’inclure toutes les clauses possibles, à un coût financièrement acceptable pour les deux parties. Les contrats resteront donc toujours incomplets. Dès lors, la propriété des actifs non humains est essentielle car elle procure à son titulaire des droits de contrôle ex post sur ces actifs, c’est-à-dire le droit de décider de tous usages de l’actif d’une manière qui n’entre pas en contradiction avec le contrat précédent, la coutume ou la loi (Hart, 1995). Autrement dit, la propriété est source de pouvoir quand les contrats sont incomplets (Aghion et Bolton, 1992 ; Dewatripont et Tirole, 1994 ; Gorton et Kahn, 2000). D’où l’intérêt d’inclure dans le contrat une contrainte supplémentaire : celle de l’apport de garanties par les entreprises emprunteuses.

L’exigence de garanties dans les contrats de crédit est justifiée sur deux fronts : éviter la sélection adverse et limiter l’aléa moral. Les deux arguments sont fondés sur les asymétries d’information. Ils proposent pourtant des prédictions opposées sur la qualité des entreprises qui devraient émettre des garanties. Dans les modèles de sélection adverse (Bester, 1985 ; Besanko et Thakor, 1987), la capacité des firmes à offrir des garanties sert de signal sur leur qualité. Mais, de même qu’on ne peut agir sur les taux d’intérêt seuls (Stiglitz et Weiss, 1981),

on ne peut pas non plus considérer uniquement les garanties demandées. L’idée consiste alors à jouer simultanément sur le niveau des taux d’intérêt et le montant des garanties pour proposer des contrats séparateurs, dont les conditions amènent les entreprises à révéler au moins approximativement le risque de leurs projets. Logiquement, les firmes les plus risquées devraient accepter de payer un taux d’intérêt plus élevé, en échange de garanties plus faibles puisqu’elles savent qu’elles ont une forte probabilité de les perdre. Tandis que les firmes les moins risquées devraient, au contraire, payer un taux d’intérêt plus faible quitte à offrir des garanties plus importantes. Le choix des contrats révèlerait ainsi les caractéristiques des sociétés, ce qui ferait disparaître l’asymétrie d’information ex ante. Mais cette solution s’avère partielle, et même contre intuitive, puisqu’elle revient à dire que les prêteurs doivent prendre des garanties plus élevées sur les sociétés les moins risquées, ce qui est évidemment contraire à l’observation. Les modèles à aléa moral (Holmström et Tirole, 1997; Stultz et Johnson, 1985) considèrent, au contraire, que les prêteurs devraient exiger des garanties plus élevés sur les entreprises les plus risqués. La prise de garanties, en rendant la défaillance plus coûteuse pour la firme, l’incite à réduire le risque de ses projets (Bester et Hellwig, 1987), à augmenter son effort (Boot, Thakor et Udell, 1991) et à déclarer les véritables résultats de ses investissements (Lacker, 1991 ; Bester, 1994).

Les garanties servent donc à signaler, comme à contrôler, l’entreprise emprunteuse. En définitive, elles sont employées avec intention (en cas de signalisation) ou elles sont subies (en cas de contrôle). Mais alors, les prêteurs devraient-ils prendre des garanties plus élevées sur les sociétés les moins risquées (pour éviter la sélection adverse), ou les plus risquées (pour limiter l’aléa moral) ? La plupart des résultats des études empiriques, notamment ceux de Berget et Udell (1990 ; 1995), penchent pour la seconde solution, dans la mesure où ils montrent une relation positive entre la détention de garanties et le risque ex ante de l’emprunteur. Jiménez, Salas et Saurina (2006) testent directement les hypothèses de sélection adverse et d’aléa moral en séparant les mesures ex ante et ex post du risque de l’emprunteur, à savoir le risque de crédit avant et après la mise en place de l’emprunt. Leurs résultats suggèrent que, même si le risque observé accroît la probabilité de demande de garanties de la part du créancier, il existe également une association négative entre les garanties et le défaut une fois que l’emprunt a été octroyé, ce qui est conforme à l’argument de sélection adverse65. Il convient de noter que ces théories, qui présentent les garanties

65 En outre, sur la base de données de prêts belges, Voordeckers et Steijvers (2006) trouvent que l’effort de sélection des prêteurs, approché par le nombre de jours nécessaires pour juger les dossiers de crédit, n’affecte pas de manière significative la probabilité de demande de garanties.

comme solution à l’aléa moral et/ou aux problèmes de sélection adverse, supposent que les garanties sont externes à l’entreprise. Brick et Palia (2007) et Pozzolo (2004) complète le débat par l’introduction de garanties internes. Brick et Palia (2007) montrent que les entreprises les plus risquées ont plus de chance de donner des garanties internes, mais il n’existe pas de relations significatives entre l’offre de garanties externes (personnelles) et le risque. Pozzolo (2004) trouve au contraire que les garanties physiques, qui peuvent être internes ou externes, ne sont pas associées au risque observé de la firme, mais que les garanties personnelles (garanties externes) sont positivement associées à ce risque.

Finalement, ces mécanismes incitatifs peuvent-ils, à eux seuls, suffire pour limiter les risques liés aux asymétries d’informations ? Certaines recherches en doutent (Rajan et Winton, 1995 ; Gorton et Kahn, 2000). Les arguments avancés sont de plusieurs ordres. Tout d’abord, les garanties ne sont effectives que si leur valeur peut être contrôlée ; en effet, la valeur de certaines garanties (comme les créances clients ou les stocks) peut fluctuer avec le temps et se déprécier rapidement si les conditions d’exploitation se détériorent. Ensuite, certaines clauses restrictives peuvent limiter la capacité d’intervention des prêteurs ; c’est le cas par exemple lorsque ces derniers obtiennent une information défavorable sur la société emprunteuse, sans pour autant qu’il y ait violation de clause(s) contractuelle(s). Enfin, ce sont généralement les firmes qui offrent le plus de garanties, qui ont l’aversion au risque la plus faible (Stiglitz et Weiss, 1986) ; elles sont donc plus enclines à procéder à une substitution d’actifs, même en cas de garanties « prises en otage ». Au total, la mise en place d’un mécanisme complémentaire permettant de surveiller les entreprises emprunteuses est nécessaire, afin de rendre les solutions incitatives pleinement efficientes. Mais cette procédure de contrôle (ou de surveillance) peut s’avérer plus coûteuse pour certains prêteurs que pour d’autres.

1.2. LES SOLUTIONS PARTICULIERES APPORTEES PAR LES