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Incitations et intensité de la concurrence sur le marché bancaire

C ONCLUSION DU CHAPITRE 1

2.1. L A PRODUCTION D ’ INFORMATIONS PAR LES BANQUES : EVOLUTION ET RENOUVEAU

2.1.2.1. Incitations et intensité de la concurrence sur le marché bancaire

La structure du marché, c’est-à-dire l’intensité de la concurrence, affecte sans doute fortement l’incitation des banques à rechercher l’information. Théoriquement, les marchés concurrentiels se traduisent par des marges plus faibles, des coûts opérationnels réduits et des produits distribués accrus et mieux alloués. Mais cette logique ne peut pas être transposée au secteur bancaire car les opérations financières diffèrent des transactions ordinaires, du fait de l’existence d’asymétries d’information et d’incomplétude des contrats. La résolution de ces problèmes implique que l’on protège l’investissement des institutions financières dans la connaissance et le contrôle des emprunteurs. Or une concurrence plus vive peut faire obstacle à cet investissement si elle rend trop instable la relation de clientèle. Ainsi, selon certaines études théoriques, la concurrence et le financement relationnel seraient incompatibles. La raison est qu’avec le développement de la concurrence, les emprunteurs peuvent être tentés de changer pour une autre banque ou pour le marché financier. Lorsque les banques anticipent des relations plus courtes, elles pourraient réagir en réduisant leurs investissements dans la connaissance et l’offre de services personnalisés aux clients.

Chan, Greenbaum et Thakor (1986) proposent un modèle dans lequel les banques sélectionnent les candidates au prêt à un certain coût (exogène). L’information obtenue lors de la sélection peut être réutilisée par les emprunts en seconde période. Ceci fournit un avantage informationnel à la banque en question qui peut profiter d’un surplus positif. Ainsi, l’investissement dans la sélection en première période dépend de l’anticipation du surplus informationnel potentiel obtenu ultérieurement. Lorsque la concurrence sur le marché bancaire s’accroît, le surplus informationnel en seconde période est réduit. Puisque la valeur des informations acquises diminue, l’investissement dans la sélection est réduit. L’effort des banques dans la genèse d’informations décroît donc avec la concurrence. Greenbaum et Thakor (1993) reprennent également cette idée et, en définissant la structure concurrentielle par le niveau des taux d’intérêt bancaires débiteurs, montrent que la mise en concurrence

implique une révision à la baisse de la tarification bancaire89, et réduit donc l’incitation de la banque à rechercher de l’information sur les entreprises emprunteuses. Dewatripont et Maskin (1995) définissent, quant à aux, la structure concurrentielle du système financier par la répartition des fonds prêtables90 et montrent que le niveau d’effort de la banque dans la collecte et le traitement de l’information, ainsi que dans le suivi des prêts engagés, est plus élevé quand elle est en monopole que lorsque le système financier comprend un autre prêteur (système décentralisé). Udell (1989), quant à lui, insiste sur le comportement opportuniste que peut adopter un banquier en situation de concurrence : si dans un environnement bancaire très concurrentiel, la rémunération du banquier est indexée au volume de prêts accordés, il peut être incité à consacrer la plus grande partie de ses efforts à la recherche de nouveaux clients et à négliger le suivi des prêts déjà initiés. Plus récemment, Freixas (2005) trouve que l’augmentation de la concurrence dans le secteur bancaire diminue l’effort de recherche d’information et de monitoring dans chaque emprunt de la banque91. De même, pour Hauswald et Marquez (2006), lorsque la concurrence croît, les investissements en acquisition d’informations diminuent, entraînant des décisions de prêt moins efficientes.

Mais certaines autres théories nuancent l’effet de la concurrence. Derrière cette intuition, se trouve l’idée selon laquelle la collecte d’informations privées, lors de la mise en place d’emprunts relationnels, peut constituer un facteur de différenciation de la part des concurrents, facteur qui opèrera en retour comme protection contre la concurrence. C’est dans cet état d’esprit que Boot et Thakor (2000) présentent un modèle dans lequel les banques peuvent s’engager dans des financements à la fois relationnels et transactionnels. Un emprunt relationnel requiert que la banque investisse antérieurement dans l’acquisition d’une expertise ou d’une “spécialisation sectorielle” dans l’activité des emprunteurs. Au contraire, un emprunt transactionnel est une pure transaction de financement similaire à celle qui pourrait avoir lieu sur les marchés. Le premier type d’emprunt (relationnel) procure donc plus de valeur à l’emprunteur (car la banque utilise son expertise afin d’améliorer les remboursements), mais en même temps plus de coûts. Boot et Thakor (2000) montrent alors

89 L’étude de l’évolution des marges d’intermédiation des banques confirme cette affirmation (cf. chapitre 0).

90 Cette formalisation est cependant très spécifique dans la mesure où il n’existe pas une réelle relation de concurrence entre les prêteurs mais plutôt une relation de délégation d’un prêteur par l’autre.

91 Mais, selon Freixas (2005), cette augmentation de la concurrence accroît (ou du moins laisse inchangée) l’étendue du marché du crédit ; la quantité d’emprunts relationnels ne diminue donc pas avec la concurrence. Freixas (2005) analyse également l’effet de la concurrence sur la tarification des prêts et aboutit aux résultats traditionnellement obtenus pour les organisations industrielles à savoir que, dans un environnement moins compétitif, l’accès aux fonds est réduit et les taux d’intérêt augmenté à la première et seconde période.

que les financements relationnels sont offerts à des emprunteurs de qualité faible ou moyenne, car ils ont plus de valeur pour ce type d’emprunteurs. Mais, lorsque la qualité de l’emprunteur s’améliore, la valeur ajoutée marginale de l’expertise de la banque décroît, et les emprunteurs de meilleure qualité se voient offrir des emprunts transactionnels. Pour affiner leur analyse, Boot et Thakor (2000) distinguent deux sources de concurrence – la concurrence interbancaire et la concurrence avec les marchés de capitaux. Lorsque la concurrence entre les banques augmente, les banques sont plus incitées à offrir des emprunts relationnels, mais chaque emprunt procure moins de valeur ajoutée aux emprunteurs : en effet, la concurrence entre les banques entraîne une baisse plus importante des profits dans les emprunts transactionnels que dans les emprunts relationnels (qui permettent de différencier clairement la banque de ses concurrentes), ce qui encourage la banque à s’orienter vers des financements relationnels ; néanmoins, la concurrence entre les banques fait pression sur les surplus que chaque banque peut extraire, ce qui réduit l’investissement dans la spécialisation sectorielle, et diminue donc la valeur ajoutée de l’emprunt relationnel. D’un autre côté, la concurrence avec les marchés de capitaux produit l’effet opposé : elle fait baisser les rentes des banques obtenues ex ante à partir des financements, ce qui réduit l’entrée dans le secteur bancaire, diminue la concurrence entre les banques et au final réduit les emprunts relationnels, mais en procurant à chaque emprunt une plus grand valeur ajoutée.

Enfin, certains modèles ne prédisent pas une direction unique de l’effet de la concurrence sur l’incitation de la banque à rechercher l’information. Dell'Ariccia (2001) développe un modèle théorique de différenciation spatiale pour démontrer comment les asymétries d’informations peuvent à la fois affecter les produits concurrentiels des banques et la structure du marché ; les résultats obtenus quant à l’effet de la concurrence sont relativement ambigus. Dinc (2000), Yafeh et Yosha (2001) et Anand et Galetovic (2006) proposent, pour leur part, des modèles dans lesquels la recherche d’information par les banques a plus de chance de se produire lorsque le degré de concurrence n’est ni trop faible, ni trop élevé, suggérant ainsi une relation non monotone entre le degré de concentration sur les marchés bancaires et la production d’information par les banques.

Au final, il semble à l’issue de cette revue de la littérature que l’effet de la concurrence est une question empirique. Certaines études analysent donc l’impact direct de la concurrence sur l’orientation des banques - i.e. leur choix d’un financement relationnel nécessitant une connaissance approfondie de l’entreprise emprunteuse ou d’un financement

transactionnel plus impersonnel. Degryse et Ongena (2007) entreprennent une telle démarche sur la base de d’un échantillon de 13 098 emprunts octroyés à des entreprises belges. L’originalité de leur contribution réside dans l’utilisation d’une variable binaire qui prend la valeur un si une banque se considère comme la banque principale de l’entreprise. Ils trouvent qu’une augmentation de la concurrence entre les banques les conduit à s’orienter davantage vers le financement relationnel, et donc à fournir un plus grand effort dans la connaissance des entreprises emprunteuses. Elsas (2005) adopte une approche similaire et met en évidence une relation non linéaire entre la concentration du marché et le comportement des housebanks : pour des degrés de concentration faibles ou intermédiaires, les banques s’orientent davantage vers les entreprises emprunteuses et fournissent des efforts de recherche d’information conséquents lorsque le concurrence s’accroît ; mais, lorsque les marchés sont fortement concentrés, la baisse de la concurrence entretient l’incitation des banques à développer des relations de clientèle et à collecter les informations nécessaires à ce type de relation. Ces études ne semblent donc pas valider l’effet de la concurrence sur le comportement des banques ; mais les résultats peuvent s’expliquer non seulement par le choix des pays d’étude, mais également par le choix de la mesure de la concentration qui est fréquemment approché par le degré de concentration du secteur bancaire92. Or, selon certaines études (Claessens et Laeven, 2004 ; Fernandez de Guevara, Maudos et Perez, 2005 ; Beck, Demirgüç-Kunt et Levine, 2006 ; Schaeck et al., 2006), un tel choix n’est pas pertinent puisque la concurrence et la concentration décrivent deux caractéristiques différentes des systèmes bancaires.