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Asymétries d’information ex ante et sélection adverse

I NTRODUCTION DE LA PREMIERE PARTIE

1.1. L ES PROBLEMES INFORMATIONNELS ENTRE PRETEURS ET EMPRUNTEURS ET LES SOLUTIONS PARTIELLES

1.1.1.1. Asymétries d’information ex ante et sélection adverse

Les asymétries d’information ex ante sont liées à des informations cachées quant à la qualité de l’entreprise candidate au prêt. Elles sont souvent exogènes, c’est à dire qu’elles résultent de la volonté de l’emprunteur de masquer la qualité de ses projets ou d’un problème d’incitation au niveau du contrôleur délégué ; mais elles peuvent également être endogènes, du fait qu’une entreprise dispose quelque fois d’une information imparfaite sur ses propres perspectives de revenus. Au demeurant, les prêteurs se trouvent incapables de discriminer de manière efficiente parmi les différents projets de financement.

Ce type d’asymétrie est expliqué par l’un des modèles fondateurs de l’économie de l’information, illustré par l’exemple du « market for lemons » d’Akerlof (1970) sur le marché des véhicules d’occasion. Sur ce marché hétérogène, il existe deux types de voitures : celles de mauvaise qualité (lemons) et celles de bonne qualité. Une asymétrie est mise en évidence

entre, d’un côté, les vendeurs qui disposent d’une information plus précise sur la qualité des biens qu’ils offrent et qui attribuent un prix pVBà une bonne voiture et pVMà une mauvaise et, d’un autre côté, les acheteurs qui disposent d’une information restreinte et qui attribuent

un prix A B p et A M p (avec A B p > A M

p ). Ces acheteurs connaissent néanmoins la probabilité a priori q qu’une voiture soit de bonne qualité (respectivement 1-q qu’elle soit mauvaise). Par ailleurs, la valeur attribuée par l’acheteur à une voiture d’un type donné est supérieure à celle attribuée par le vendeur : pBA>pVB et pMA >pVM. Compte tenu de l’hétérogénéité des biens et de l’impossibilité d’évaluer la qualité de chaque bien considéré individuellement, les transactions s’effectuent par référence à un prix unique du marché p calculé en fonction de la qualité moyenne des voitures présentes sur le marché. Si les deux types de voitures sont

proposées à la vente, ce prix unique s’établira à

( )

A

M A

B q p

p q

p= + 1− . Deux équilibres sont

alors possibles : un équilibre mélangeant (spooling equilibrium) où les deux voitures vont être

proposées à la vente si V

B

p

p≥ , ou un équilibre séparateur (separating equilibrium) où seules les

mauvaises voitures sont présentées sur le marché si V

B

p

p< . En conséquence, les voitures de qualité supérieure risquent d’être évincées, et le marché subira une dégradation de la qualité moyenne des biens offerts : c’est le problème de la sélection adverse. Ce jeu se poursuit par la suite puisque, après le départ des bonnes voitures, la valeur moyenne des mauvaises voitures restantes diminue. Or parmi ces voitures, certaines sont plus mauvaises que d’autres. Si, dans ce cas, les voitures doivent à nouveau être vendues à un prix moyen, seules les plus mauvaises voitures restent sur le marché et les moins mauvaises le quittent. Ce processus de sélection adverse se poursuit jusqu’à ce que le marché cesse d’exister.

Jaffee et Russell (1976) et Stiglitz et Weiss (1981) reprennent la théorie d’Akerlof et l’étendent au marché du crédit, sur lequel les biens (c’est-à-dire les prêts) ne sont pas homogènes : ni le risque, ni la rentabilité des projets ne sont identiques. Jaffee et Russell (1976) montrent alors que cette hétérogénéité peut conduire à un rationnement du crédit. Pour ce faire, ils construisent un cadre dans lequel la probabilité de défaut des emprunteurs augmente avec la taille de l’emprunt. De surcroît, pour une taille donné d’emprunt, les probabilités de défaut diffèrent entre les emprunteurs en raison de facteurs que les prêteurs ne peuvent observer. Puisque les candidats ne peuvent être distingués ex ante, les taux d’intérêt vont incorporer une prime supplémentaire (lemons premium). En conséquence, les emprunteurs de bonne qualité (ceux dont la probabilité de défaut est faible) supportent les coûts introduits par les emprunteurs de mauvaise qualité. Un rationnement du crédit sous la

forme d’une restriction de la taille des emprunts survient alors, dans la mesure où il est préféré par les bons emprunteurs qui y voient un moyen de minimiser la probabilité moyenne de défaut du marché et donc de diminuer la prime ; les mauvais emprunteurs, quant à eux, ont tout intérêt à se soumettre à un tel choix afin de ne pas se révéler.

Dans un travail quelque peu analogue, mais non moins influent, Stiglitz et Weiss (1981) exploitent les asymétries informationnelles afin de motiver une autre forme de rationnement : celle où les prêteurs refusent d’octroyer des fonds à des emprunteurs et en offrent à d’autres dont les caractéristiques sont pourtant identiques.

« We reserve the term credit rationing for circumstances in which either (a) among loan applicants who appear to be identical some receive a loan and other do not, and the rejected applicants would not receive a loan even if they offered to pay a higher interest rate; or (b) there are identifiable groups of individuals in the population who, with a given supply of credit, are unable to obtain loans at any interest rate, even though with a larger supply of credit they would. »

Stiglitz et Weiss (1981, p.394-395).

Le facteur non observable dans ce cas est le risque des projets des emprunteurs. A défaut de pouvoir fixer un taux d’intérêt qui corresponde au risque effectif du projet à financer (ce risque étant noté θ), les prêteurs appliquent un taux reflétant le risque moyen des projets (appelé aussi taux « mélangeant » et noté rˆ ). Une telle pratique conduit alors à pénaliser les entreprises dont le projet est peu risqué, en leur faisant payer une prime de risque plus élevée que leur risque effectif. Inversement, elle avantage les entreprises détenant des projets risqués, la prime de risque facturée étant inférieure au risque réel de l’emprunteur. Ainsi, pour un taux d’intérêt rˆ donné, il existe un seuil de risque θ*, tel que seules les firmes présentant un risque plus élevé (θ > θ*) seront candidates à l’emprunt. Comme sur le marché des voitures d’occasions, un phénomène de sélection adverse intervient puisque les bons risques vont quitter le marché du crédit.

Mais, contrairement au processus infini présenté par Akerlof, Stiglitz et Weiss (1981) considèrent que l’offre de crédit n’est pas toujours croissante en fonction du taux d’intérêt, puisqu’une hausse des taux augmente le risque du projet critique θ*. La figure (1.1.) présente l’évolution de l’offre (Ls) et de la demande de crédit (Ld) en fonction du taux d’intérêt appliqué ( rˆ ). La demande de crédit est décroissante en fonction de rˆ , alors que l’offre de

crédit n’est pas toujours croissante. En effet, l’accroissement du taux d’intérêt peut augmenter le risque du portefeuille du prêteur et dégrader la qualité et la rentabilité de ses actifs. Le taux d’intérêt qui permet d’équilibrer les fonctions d’offre et de demande est noté rm. Mais les prêteurs préféreront appliquer *ˆr qui maximise leur espérance de profit (courbe du bas). A l’équilibre, Ls

( )

rˆ* <LD

( )

rˆ* et les entreprises qui étaient prêtes à emprunter au taux d’équilibre sont rationnées.

Figure 1.1.

Rationnement du crédit dans le modèle de Stiglitz et Weiss (1981, p. 397)

Le challenge lancé par cette théorie aux études postérieures est d’identifier un éventuel rationnement du crédit, notamment au niveau des firmes qui seraient considérées comme financièrement contraintes. Fazzari, Hubbard et Petersen (1988) testent pour la première fois l’existence d’une telle contrainte. L’idée générale est que, s’il n’existe pas de contraintes financières, l’investissement et les cash-flows devraient être non corrélés puisque les firmes peuvent exécuter leurs projets d’investissement, indépendamment de leur habilité à générer des cash-flows ; par contre, si une contrainte financière existe, les entreprises générant plus de cash-flows devraient être capables d’investir davantage. Et en effet, Fazzari, Hubbard et Petersen (1988) trouvent que les entreprises contraintes financièrement ont une plus forte sensibilité investissement/cash-flows. Un certain nombre d’études ont relayé ce travail, avec pour stratégie commune de grouper les entreprises en fonction de certaines caractéristiques qui pourraient être corrélées au degré d’asymétrie d’information ex ante (et donc à la prime de levée de fonds externe que doivent payer les firmes emprunteuses pour obtenir un emprunt). Les résultats obtenus montrent que les entreprises sont inégalement concernées par ce problème. La dotation en fonds propres (Fazzari, Hubbard et Peterson,

1988), la taille (Oliner et Rudebusch, 1992 ; Gertler et Gilchrist, 1994), la notation ou non des emprunts obligataires (Kashyap, Lamont et Stein, 1994 ; Gilchrist et Himmelberg, 1995), ainsi que l’âge des firmes (Schaller, 1993) sont des facteurs facilitant l’accès des entreprises aux prêts. Les plus petites d’entre-elles, nouvellement crées, sont les premières à pâtir de ce manque de transparence. La littérature interprète ces résultats comme une preuve de l’existence de contraintes financières pour certaines classes de firme. Cette interprétation a néanmoins été sujette à discussions lors de travaux plus récents, qui ont soulevé de sérieux problèmes méthodologiques concernant les fondements de la structure des coûts de l’investissement et des coûts du financement externe (Kaplan et Zingales, 1997 et 2000 ; Cleary, 1999 et 2006 ; Gomes, 2001 ; Alti, 2003 ; Allayannis et Mozumdar, 2004).