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Asymétries d’information on going et aléa moral

I NTRODUCTION DE LA PREMIERE PARTIE

1.1. L ES PROBLEMES INFORMATIONNELS ENTRE PRETEURS ET EMPRUNTEURS ET LES SOLUTIONS PARTIELLES

1.1.1.2. Asymétries d’information on going et aléa moral

Les asymétries d’information on going sont liées à des comportements cachés de l’entreprise emprunteuse pendant le déroulement du contrat ; les prêteurs ne peuvent donc pas s’assurer de manière certaine de l’usage des fonds distribués (i.e. du projet d’investissement réellement mis en place par l’entreprise). Si l’entreprise agit dans l’intérêt des créanciers, ses comportements cachés n’ont pas de graves conséquences. Mais si les intérêts des deux parties divergent, les asymétries d’information génèrent un certain nombre de problèmes. Ces problèmes ont été mis en évidence par la théorie de l’agence.

D’une manière générale, une relation d’agence ou de « mandat »54 s’établit entre deux parties chaque fois qu’un principal (le mandant) donne mandat à un agent (le mandataire) pour agir à sa place55. Dans ce type de relation, le principal rencontre des difficultés pour apprécier les efforts accomplis par l’agent et ne parvient généralement qu’à une connaissance imparfaite des prestations mises en jeu par le contrat qui le lie à son mandataire. Or les relations d’agence sont caractérisées par des conflits d’intérêts entre parties. L’agent peut alors être incité à faire passer son intérêt avant tout et le principal sera de facto soumis à un

54 La littérature française a adopté l’usage qui consiste à traduire « agency » par « agence » ; on se conformera à ce choix consacré par l’usage ; cependant, il serait plus exact d’employer, en français, le terme « mandat ».

55 C’est le cas dans l’entreprise « managériale » dans laquelle les responsabilités de direction et de gestion sont assurées par des dirigeants non propriétaires, nommés, par les propriétaires. Mais au-delà, de multiples relations établies au sein de l’entreprise ou avec des tiers s’analysent également comme des relations d’agence ; on peut par exemple interpréter dans ces termes les rapports entre employeurs et salariés, entre prêteurs et emprunteurs, entre donneurs d’ordre et sous traitants, etc.

aléa moral56 (Jensen et Meckling, 1976). Pour prévenir ce risque, le mandant assume des coûts spécifiques ou coûts d’agence qui correspondent à des dépenses de contrôle, de dédouanement et à des coûts résiduels57. Dès lors, dans un contexte d’asymétrie d’information on going, la recherche d’une minimisation de ces coûts d’agence constitue un principe directeur dans la gestion des relations internes ou externes à l’organisation.

Appliquée aux relations de crédit, la théorie de l’agence intervient dans les conflits d’intérêts pouvant exister entre les actionnaires et leurs créanciers après la conclusion du contrat de crédit (les créanciers étant censés agir pour le compte des dirigeants). En effet, pour Sharpe (1990) et Diamond (1991), l’actionnaire et le détenteur de la dette n’ont pas les mêmes objectifs. L’intérêt du créancier, s’il demeure extérieur ou s’il n’envisage pas une participation directe dans la firme à laquelle il octroie le prêt, porte essentiellement sur l’appréciation de son risque de défaillance, sa viabilité, sa solvabilité immédiate ou, à terme, sa robustesse financière. A l’opposé, et même s’il n’exclut pas une analyse attentive aux risques, l’intérêt de l’actionnaire porte prioritairement sur la capacité bénéficiaire de la firme et l’accumulation de valeur qu’elle offre. Etant donné ces conflits d’intérêt, les comportements cachés de l’emprunteur (du fait d’asymétrie d’information on going) peuvent générer un aléa moral. Cet aléa se définit comme un risque de politique d’investissement sous-optimale de la part de la firme emprunteuse, particulièrement sensible en cas de difficultés financières. Une telle politique repose soit sur une stratégie de sous-investissement (Myers, 1977), soit sur une stratégie de substitution d’actifs (Jensen et Meckling, 1976).

Le sous-investissement consiste à ne pas mettre en oeuvre des projets d’investissement si leur valeur actuelle nette (VAN) - même positive - est inférieure au montant que la firme doit rembourser à ses créanciers. Pour décrire un tel cas, Myers (1977) considère que la valeur d’une firme (V) est formée de deux composants essentiels : la valeur de marché des actifs déjà en place (VA) et la valeur présente des opportunités d’investissement futures (VG). Cette dernière peut être considérée comme la valeur d’option que l’entreprise peut ne pas lever si elle n’y a pas intérêt. Myers (1977) démontre alors que, si

56 Le terme aléa moral est né dans le secteur des assurances pour désigner la tendance des assurés à modifier leur comportement afin de recourir plus fréquemment aux prestations offertes par les compagnies d’assurance.

57 Les dépenses de contrôle (monitoring expenditure) permettent au principal de s’assurer que l’agent agit conformément aux objectifs qui lui ont été assignés. Les dépenses de dédouanement (bonding expenditure) rendent compte des efforts déployés par le principal pour persuader l’agent qu’il agit conformément à ses intérêts. Les coûts résiduels (residual cost) traduisent le décalage entre les résultats liés aux décisions de l’agent et les résultats liés aux décisions optimales du point de vue du principal.

l’entreprise est endettée, et si l’échéance de la dette est postérieure à la date où la décision d’investir doit être prise, les actionnaires ne prendront cette décision que si « l’état de la nature » à ce moment là est tel que la VAN du projet (VS – I) est supérieure à la VAN du montant à rembourser (D0). Si (VS – I) < D0, les actionnaires renonceront à entreprendre le projet bien que sa VAN soit positive, car ils supporteront alors l’entier coût de l’investissement, alors que les retours sur investissement seront captés essentiellement par les prêteurs. Myers (1977) montre donc que, dans certain cas, les actionnaires sont faiblement incités à engager de bons projets. Ce sont les créanciers qui supportent le coût de tels choix.

La substitution d’actifs consiste, au contraire, à entreprendre des projets plus risqués que le projet effectivement présenté au prêteur et sur la base duquel l’emprunteur avait obtenu son crédit. Ce comportement a été modélisé pour la première fois par Jensen et Meckling (1976). Selon eux, l’échec du projet n’aggrave pas la situation des actionnaires en raison de la responsabilité limitée, mais sa réussite pourrait accroître le rendement potentiel pour les actionnaires. Pour illustrer une telle stratégie, Jensen et Meckling (1976) considèrent deux projets d’investissement qui ne diffèrent que par la variance des leurs revenus, le projet 2 étant plus risqué que le projet 1. Ils supposent en outre que les actionnaires détiennent une option d’achat sur la valeur totale de la firme (V), où V=Bi + Si (Bj étant la valeur de marché de la dette et Si la valeur de marché des actions). Dans la mesure où une augmentation de la variance des revenus accroît la valeur des actions, S2 sera supérieure à S1, donc B2 inférieur à B1. Si l’actionnaire a par la suite la possibilité de changer de projet, il ne sera pas indifférent entre les deux options, puisqu’il pourra réaliser un transfert de richesse des créanciers en sa faveur. En effet, puisque S2 – S1 = (B1 – B2) – (V1 – V2), où (B1 – B2) représente le montant des richesses « transféré » à partir des prêteurs, et (V1 – V2) la réduction de la valeur de la firme, (S2 – S1) peut être positif, même si la réduction de la valeur de la firme est positive. Ainsi, en substituant les actifs les moins risqués par des actifs plus risqués, les actionnaires augmentent la valeur de leurs actions, et les créanciers supportent le coût de cette stratégie.

Les coûts d’agence de la dette, liés à ses stratégies sous-optimales d’investissement, ont été repris par la suite, mesurés et analysés à travers notamment des modèles dynamiques58.

58 Cette littérature inclut notamment Mauer et Triantis (1994), Leland (1998), Mello et Parsons (1992), Parrino et Weisbach (1999), Ericsson (2000), Decamps et Faure-Grimaud (2002), Henessy et Tserlukevich (2004), Titman, Tompaidis et Tsyplakov (2004), Childs, Mauer et Ott (2005), Ju et Ou-Yang (2006), Moyen (2007), etc. Pour une revue exhaustive de cette littérature, voir Gugler, Mueller et Yurtoglu (2007).