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La « surqualification » d’un petit nombre de travailleurs

Dans le document La division capitaliste du travail (Page 33-37)

1.5. Le mode capitaliste de mise en oeuvre du principe mécanique matérialise dans les machines elles-mêmes la séparation de la partie intellectuelle et de la partie

1.5.4. La « surqualification » d’un petit nombre de travailleurs

Au stade du machinisme, l'activité intellectuelle qui est enlevée aux ouvriers de fabrica- tion est attribuée, avons-nous dit, à quatre nouveaux secteurs : l'entretien et la répara- tion, l'outillage et la fabrication des machines-outils, le bureau d'études, le bureau des méthodes.

Le secteur de l'entretien a, pour l'essentiel, la charge de l'entretien, du dépannage et parfois de la réparation des machines et du réseau électrique. Les machines devenant de plus en plus complexes, et peu étant du même type en raison de leur spécialisation, les ouvriers de l'entretien, qui sont surtout des ajusteurs et des électriciens, ont une activité variée 5, exigeant de l'initiative et une longue expérience.

1 Georges Friedmann, Les problèmes humains du machinisme industriel, Gallimard,1963, p.

201-202

2 Ibid., p. 202-203. 3

Cahiers de Mai, n° 34.

4 Georges Friedmann, op. cité, p. 214.

5 Au stade de division du travail que nous considérons ici. Nous verrons, dans un chapitre sui-

À la Régie Nationale des Usines Renault (RNUR), en 1948 (année la plus ancienne pour laquelle nous ayons une répartition par qualification des ouvriers des différents secteurs de l'usine de Billancourt), le secteur « entretien-outillage » comprend 67,5 % d'ouvriers professionnels contre 17,5 % à l'usinage, 24,4 % â la fonderie, 32,8 % au « montage-tôlerie-emboutissage ». En 1952 les pourcentages sont respectivement de 70,2 %, contre 18,1 %, 23,8 %, 24,3 % 1. Selon une note de février 1931 présentant les effec- tifs de 1930 2, on constate qu'à cette date, 2.600 ouvriers environ sont affectés à l'entre- tien et à la réparation pour 24.865 ouvriers à la fabrication. Le rapport entre entre- tien-réparation et fabrication ne fera qu'augmenter par la suite, comme nous le verrons.

L'outillage et la fabrication des machines-outils sont aujourd'hui des secteurs distinc- ts. Le secteur machines-outils est même devenu une division autonome (Renault Machi- nes-Outils), dont la production n'est pas uniquement réservée à la Régie. « Le travail qualifié disparaît des ateliers de fabrication, chassé par la grande série et se réfugie dans les ateliers d'outillage. L’étireur ou le tréfileur fabriquait autrefois son outillage lui-même. Il le reçoit maintenant, fabriqué par de nouveaux professionnels très quali- fiés: les diamantaires-filiéristes, regroupés à l’AOC (Atelier d'0utillage Central). L'ate- lier des études de la tôlerie du D. 12 réunit presque tous les professionnels du départe- ment, sauf ceux qui entrent dans la catégorie des ouvriers de fabrication. De cet atelier s'est même détaché, depuis 1947, un service spécial de préparation des prototypes. L'atelier du D. 12 conserve la mise en route des fabrications nouvelles et la modifica- tion des montages et de l'outillage 3».

De fait, les ateliers d'outillage sont les secteurs où l'on trouve la plus grande propor- tion de professionnels. En 1953 à l'atelier « outillage forge », leur pourcentage parmi les ouvriers était de 81,9 %; à « l'outillage emboutissage », 85,8 %; à « l'outillage fonderie », 92,9 %. En 1965, année la plus récente pour laquelle nous ayons les qualifications par secteur, les pourcentages étaient respectivement de 77,7 %, 88,7 % et 94,9 %.

Pour apprécier le mouvement de déqualification des secteurs de fabrication et de sur- qualification des secteurs d'entretien et d'outillage 4, il faut savoir que le pourcentage d'ouvriers qualifiés est passé au secteur « carrosserie-montage » de 32,8 % en 1948 à 25,0 % en 1953 et à 13,0 % en 1965. Au département 74, atelier de montage, le pour- centage était en 1969 de 8,9 %, au département 12 (emboutissage) de 10,6 %. À l'usi- nage, la proportion des O.Q. est passée de 17,5 % en 1949, 18,5 % en 1953, 16,1 % en 1960 à 14,4 % en 1965. Au département 14 (usinage de grandes séries), il est de 7,9 % en 1969. Mais dans le cas du 14, nous sommes déjà au stade de l'automatisation 5.

1 Alain Touraine, op. cité, p. 87-90. 2 Patrick Fridenson, op. cité, p. 326.

3 Alain Touraine, op. cit., 1955, P. 125-126. 4

Avant qu'ils ne subissent à leur tour un processus de déqualification.

5 Les données statistiques que nous présentons ici sont extraits pour 1930-1939 de Patrick Fri-

denson, op. cité ; pour 1948-1952 d’Alain Touraine, op. cité ; pour 1953-1965 de D. L. Limon, « Évolution des effectifs ouvriers de la direction générale des fabrications: 1953-1960-1965 ». Direction centrale du personnel et des relations sociales. R.N.U.R., déc. 1965, Ronéo ; pour 1965-1969: P. Naville, J. P. Bardou, Ph. Brachet, C. Levy, L’État entrepreneur: le cas de la Ré-

En mai 1930, le secteur outillage central compte 1.301 ouvriers. Leur nombre n'est guère plus élevé aujourd'hui (1.468 en 1965), mais depuis le secteur machines-outils a été créé et séparé de l'outillage. En 1953, le secteur machines-outils rassemblait 3.000 ouvriers dont 66,7 % de professionnels. Ce pourcentage est monté à 71,8 % en 1965.

Nous disposons de très peu d'informations sur l'activité des bureaux d’études et des méthodes durant la phase qui nous intéresse, aux usines Renault. Nous savons simple- ment que le pourcentage de salariés mensualisés passe de 6,5 % du total du personnel en 1919 à 19,9 % en 1949. Mais le personnel mensualisé comprend aussi les « administra- tifs ». Une note de janvier 1932 1 nous indique que les services de direction des fabrica- tions comprennent 531 personnes et que 86 mensuels sont affectés au chronométrage. Mais l'histoire de la réorganisation des « services généraux » durant l'en- tre-deux-guerres est très significative de l'évolution de la division du travail.

Les services généraux se limitaient avant la première guerre mondiale, à deux bâti- ments centralisés comprenant « la direction avec les services de comptabilité, d'entre- tien, de construction, le bureau d'études, le service d'approvisionnement, le bureau d'établissement des prix, le service de personnel chargé de l'embauche et de la régle- mentation du travail, le laboratoire des métaux 2 ». Louis Renault est très impressionné

par l'organisation des bureaux de la Ford. Dans une note sur l'organisation des nouveaux bureaux du 12 décembre 1928, il écrit: « Ford a fait un immense hall (le plain-pied dans lequel tous les collaborateurs travaillent sans qu'il y ait à quelque endroit une seule cloison. Tous les bureaux [...] sont à même le grand hall, groupés par service ». Aussi, Louis Renault décide la construction d'un « bâtiment le plus grand, le plus ho- mogène, le plus compact qui nous permette de nous rapprocher autant que possible de l'organisation citée ci-dessus, et qui sera évidemment le cerveau de l'usine 3 ». Louis

Renault cherche à donner à la nouvelle division du travail le cadre spatial où, pense-t-il, elle atteindra le maximum de son efficacité. L'image qu'il utilise des « bureaux-cerveau » commandant les « ateliers-membres », exprime clairement que le travail d'atelier ten- dra de plus en plus à être un travail d'exécution strictement pré-déterminé.

Le cerveau de l'usine, tel qu'il le conçoit, est lui-même très compartimenté. Dans la note précédemment citée, il prévoit la disposition du bâtiment ainsi. Au rez-de-chaussée: documentation commerciale relative à la clientèle, réception des four- nisseurs, centres de pointage, archives, service d'imprimerie. Au premier étage : les di- vers services commerciaux, le service achats, les services de fabrication, une dépen- dance du service des études pour l'étude des prototypes. Au second étage: études diver- ses, services techniques d'études, chronométrage, étude des outillages, machines-outils et étude de divers matériels. Au troisième étage: laboratoire, documentation (publicité notamment) ; sur le toit: salle de réception des agents, et dans un bâtiment annexe : la comptabilité. Quelques données chiffrées partielles nous indiquent l’évolution de la cen- tralisation de l'activité intellectuelle pour la période correspondant au stade du machi- nisme à la RNUR. En 1914, les dessinateurs étaient au nombre de 200. Ils sont 351 en 1946, 412 en 1949, 449 en 1954, 689 en 1965, 909 en 1970. Les techniciens passent de 1.131 en 1946, à 1.646 en 1954, à 2.925 en 1965, à 5.256 en 1970.

1 P. Fridenson, op. cit., p. 323.

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