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La promotion sociale mise en échec

Dans le document La division capitaliste du travail (Page 142-144)

entre l'évolution de la division capitaliste du travail et la formation de la force de travail

8.1. La promotion sociale mise en échec

La bourgeoisie a constamment développé l'idée qu'en régime capitaliste tout travailleur intelligent, laborieux et économe pouvait lui aussi devenir patron et accéder à la notorié- té publique et à l'honorabilité. La mythologie de la première phase du capitalisme abonde d'exemples de grands capitaines d'industrie ayant commencé sans un sou, au mieux avec une épingle... Dès le début, la bourgeoisie a compris qu'une société ne pou- vait durablement se perpétuer sur les mêmes bases sociales si la majorité de la popula- tion n'avait d'autre perspective que d'être maintenue dans le même état d'infériorité et de dépendance.

Mais il est apparu de plus en plus difficile pour un travailleur de devenir industriel ou commerçant. Au fur et à mesure du développement des forces productives, la masse de capital nécessaire pour créer une nouvelle entreprise a constamment augmenté, au point de ne jamais pouvoir être rassemblé par le travailleur le plus laborieux et le plus éco- nome qui soit.

Simultanément à cette séparation croissante du capital et du travail, la division de la partie manuelle et de la partie intellectuelle du travail s'est développée. Les travailleurs constataient que non seulement il devenait illusoire d'espérer retrouver un jour la pos- session de leurs moyens de production mais aussi que la valeur de leur propre force de travail était progressivement dépréciée, et même rendue inutile par l'utilisation de ma- chines de plus en plus spécialisées.

Dans le discours de la bourgeoisie, le thème du progrès technique et de la science est alors devenu central. S'il est vrai, argumente-t-on, que le progrès technique peut avoir des inconvénients immédiats pour les travailleurs (suppression de postes, licenciement, déqualification, etc.), il nécessite cependant un nombre croissant d'ingénieurs, de tech- niciens, de spécialistes divers. Les meilleurs parmi les travailleurs, ou leurs enfants, peuvent accéder à ces métiers nouveaux s’ils ont soif de connaissances. De plus, le pro- grès technique permet de produire des biens variés toujours plus abondants, et moins coûteux, auxquels tout le monde aspire. Qui souhaiterait revenir à la lampe à huile et aux bateaux à voile, disait le Général de Gaulle? Le progrès technique que nous connaissons est la seule forme de progrès. Par son accélération, il impose à tous, ou plus

tes exigeant, mais cela est possible. C'est la grandeur de notre époque et le défi qu'elle lance à l’Homme. Et les meilleurs y parviennent. Et les meilleurs se recrutent dans tou- tes les couches de la société. Certes les enfants des milieux aisés sont plus favorisés dans le combat, mais un enseignement toujours plus démocratique, se libérant des pe- santeurs sociologiques, du corps enseignant et des parents d'élèves, égalise toujours plus les chances des enfants.

Ce discours élitiste, valorisant la technique et les techniciens, a eu une certaine effi- cacité tant que la promotion sociale a été possible et réelle. La période de forte expan- sion de la production et de modernisation progressive qu'a connue la France de la der- nière guerre jusqu'aux années 65-66 a permis à une proportion non négligeable d'ou- vriers et d'employés de ne pas subir de déqualification, mais au contraire d'accéder aux postes plus qualifiés qui étaient créés, car il a été possible, dans le même temps, de confier le travail déqualifié à de la main-d’oeuvre nouvelle, contrainte de se vendre à bas prix. L'amélioration du niveau de vie de certaines couches de la population, l'énorme besoin d'ingénieurs et de techniciens, de cadres administratifs et de professeurs etc., et l'incitation des pouvoirs publics au développement de la scolarisation ont permis durant cette période l'élévation du niveau scolaire et l'accession à des professions tech- niques ou non manuelles d'un plus grand nombre d'enfants de milieux populaires.

Mais plusieurs facteurs ont rompu cet équilibre précaire, faisant clairement apparaître que personne n'est à l'abri de la déqualification et que la possession d'un diplôme ne ga- rantit pas l'accès aux professions et au statut social correspondants. Tout d'abord, une accélération presque brutale de la « modernisation » des entreprises a eu pour effet de déqualifier effectivement des travailleurs qui dans la période précédente de modernisa- tion plus progressive pouvaient non seulement y échapper, mais même être promus à des postes plus qualifiés. Dans le même temps, le processus de déqualification des nou- velles catégories de travailleurs « surqualifiés » (ingénieurs, techniciens, informaticiens, etc.) a commencé à se développer et à être manifeste. De même, la progression très ra- pide des emplois administratifs a pu être ralentie par la mécanisation du travail de bu- reau et de plus en plus par l'informatique de gestion. Les emplois administratifs ont commencé à perdre leur charme discret pour devenir des emplois d'O.S. de bureau (mé- canographes, perforatrices, codeurs, etc.).

Les couches sociales salariées «intermédiaires », présentées aux travailleurs comme autant de marches d'escalier parfaitement accessibles vers une plus grande aisance, une plus grande sécurité, un travail plus intelligent, des horizons plus larges, une considéra- tion sociale plus grande, etc. perdent de leurs attraits, et sont de moins en moins la preuve que la promotion sociale est la solution la plus efficace et la plus rapide pour sor- tir de l'état d'insécurité et d'infériorité.

C'est dans cette période de crise de confiance vis-à-vis de l'enseignement, du progrès, et d'incertitude face à l'avenir que nous nous trouvons. Le développement rapide des forces productives sur le mode capitaliste a accentué la contradiction entre classes socia- les, née de la séparation du capital et du travail. Cette crise larvée peut être analysée à travers l’évolution de l'efficacité sociale des diplômes, la critique du contenu de l'ensei- gnement, et la fonction effective de la formation professionnelle continue.

Dans le document La division capitaliste du travail (Page 142-144)

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