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Le pouvoir symbolique du discours dans les théories économiques et les pratiques du

II.2. Un surendettement de l’Etat initiateur de la crise économique

C’est dans le courant des années 1970, que le gouvernement ivoirien plonge la Côte d’Ivoire dans le surendettement en raison d’un excès de confiance dans ses capacités économiques et financières (cf. point II.2.1.). A partir de 1978, conscient des dérapages dans la gestion financière de son économie, il réagit afin d’assainir la situation macroéconomique. Cette tentative arrive toutefois un peu tardivement et la crise économique s’installe durablement (cf. point II.2.2.). Dès lors, la Côte d’Ivoire ne disposera plus de son pouvoir symbolique pour tout échange d’ordre linguistique comme économique sur le marché du développement, car, elle se retrouvera dans l’impossibilité de rembourser sa dette.

II.2.1. Un excès de confiance du gouvernement dans les capacités économiques de Côte d’Ivoire

Après des années de prospérité, la Côte d’Ivoire se retrouve en difficulté financière à partir de la fin des années 1970.

Comment ce pays qui avait réussi à supporter les conséquences du 1er choc pétrolier de 1973 grâce à ses propres ressources a-t-il pu succomber au second choc pétrolier de 1979, alors que le prix de ses matières premières principales avaient été au plus haut jusqu’en 1977 ? Cela demande réflexion.

Comme nous venons de le voir, l’un des facteurs du surendettement de la Côte d’Ivoire est dû aux coûts élevés de main d’œuvre étrangère et de rémunération des capitaux étrangers. Cependant, un autre facteur va aussi jouer un rôle dans ce surendettement : ce sont les trop nombreux investissements improductifs qui ont contribué à l’augmentation constante du service de la dette. Ainsi, de 1975 à 1980, le

100 déficit public passe de 2,2% à 11,8% du PIB. Quant aux intérêts sur la dette, ils passent de 3,2%, en 1980, à 8,3% du PIB en 1983 (PNUD, 2004).

En effet, tout au long de la décennie 70, ce sont les dépenses publiques en termes d’investissement, qui ont maintenu le taux de croissance global de l’économie. Or, ces dépenses publiques étaient financées par l’endettement extérieur. Le problème vient du fait que le rythme de croissance de ces dépenses publiques se révélera structurellement plus rapide que celui des ressources. Ainsi, par exemple, les dépenses courantes de l’Etat en matière d’éducation passent de 6,2% en 1965 à 32% du budget annuel en 1975.

Il faut aussi rappeler qu’au milieu des années 1970, afin de réduire les inégalités régionales, le président Houphouët-Boigny, s’est lancé dans un large programme d’investissement dans le Nord du pays. Ce Programme connu sous le nom de Programme du Nord coûtera environ 40 milliards de FCFA (représentant à l’époque 4% du PIB) et consistera en l’installation d’usines de sucre, pour la SODESUCRE, avec toutes les infrastructures que cela nécessitait (plantation de sucre de canne, routes…). Malheureusement, ce projet se révélera être un gouffre financier car 100 milliards de FCFA seront investis, soit 10% du PIB en 1974, avec une rentabilité à court terme qui ne pourra être assurée (Cogneau & Mesplé-Somps, 1999).

Par ailleurs, selon Barthélemy et Bourguignon (1996), ce programme se situe dans une période d’investissements publics massifs où la part de l’investissement dans le PIB passe de 7% entre 1960-1965 à 13% en 1973-1974, soit quasiment le double. C’est en effet, à cette période que le gouvernement se lance dans la construction de la nouvelle capitale, Yamoussokro, ainsi que la ville de San Pedro avec son port. Le volume des investissements publics effectués par le gouvernement ivoirien, en terme nominal triple entre 1974 et 1978, faisant augmenter leur part dans le PIB de 11,4% à 21% sur la même période. Les bénéfices accumulés par la caisse de stabilisation ne seront alors plus suffisants pour couvrir de telles dépenses d’investissement.

Aussi, pour continuer à financer ses projets gigantesques, le gouvernement se tourne vers les capitaux étrangers dont le montant passe de 2% du PIB en 1974 à 9% en 1977.

Pendant cette période, la dette publique extérieure va doubler de volume et passer de 200 milliards de FCFA en 1975 à 435 milliards en 1977 et à 972 milliards en 1980 (Berthelemy & Bourguignon, 1996).

101 Or, au milieu des années 1970, les capitaux étrangers deviennent plus rares et plus chers, si bien que la proportion des emprunts, à des conditions rigoureuses dans le total de l'endettement public, double entre 1970 et 1975, passant de 35 % à environ 65 %. Quant à l'élément don, il tombe de 25 % à environ 14 % durant cette même période et le rapport du service de la dette publique atteint près de 11 % en 1975. La Côte d'Ivoire a par ailleurs de plus en plus recours au marché des eurodollars et aux crédits des fournisseurs dont le coût indirect est souvent fort élevé (The World Bank, 1977).

De plus, le coût de nombreux produits dépasse de beaucoup les prévisions et cela pour un certain nombre de raisons :

 la sous-estimation des investissements publics en bâtiments, routes et infrastructures sociales nécessaires pour atteindre les objectifs de développement ;

 le contrôle insuffisant des frais généraux et des programmes de dépense des sociétés d'Etat;

 le choix d'un procédé technique de production trop compliqué dans le cas du sucre;

 les retards dans l'exécution des projets et une préparation insuffisante de ceux-ci.

En matière d'infrastructures, d'urbanisation et de transports, on retient aussi des normes élevées. Les normes étrangères prenant souvent le pas sur les normes locales, plus appropriées et moins coûteuses. On surdimensionne les projets et on les « étend » au lieu de les « densifier », alors que souvent, la densification aurait été la meilleure solution d'un point de vue économique.

Pour Duruflé, tous ces éléments constituent : « les racines du déséquilibre des finances publiques et des finances extérieures, et de l’épuisement de la croissance ». Eléments qui, toujours selon lui, étaient déjà « bien en place avant le retournement de conjoncture de 1978 » (Duruflé, 1988). Ainsi, bien que la conjoncture internationale soit devenue défavorable à la fin des années 1970 et que cela ait aussi eu un impact négatif sur l’économie ivoirienne, les effets auraient pu être moindres, si les bases du déséquilibre financier n’étaient pas déjà présentes lors du retournement de la conjoncture économique mondiale.

Le gouvernement ivoirien, conscient de la gravité de la situation, a tenté de réagir dès 1978 en mettant en place un premier programme de stabilisation financière.

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II.2.2. Echec du premier programme de redressement financier et installation de la crise économique

A la fin des années 1970, la Côte d’Ivoire se retrouve dans une situation financière critique. Le boom des cours des matières premières de 1975 à 1977, n’a pas permis de financer, dans sa totalité, le programme ambitieux d’investissement lancé par le gouvernement. Ce dernier a alors été obligé de faire appel à l’endettement extérieur pour poursuivre le financement de ses chantiers. La dette publique du pays se retrouve ainsi multipliée par 4 entre 1975 et 1979 (Banque Mondiale, 1997 cité dans Cogneau & Mesplé-Somps, 1999). Dans la même période, le rapport du service de la dette par rapport aux exportations atteint 20%. Quant à l’épargne privée disponible, elle chute de 50%39 (Cogneau & Mesplé-Somps, 1999).

Face à cette baisse continue de l’épargne nationale, et devant la dégradation rapide du solde des finances publiques, le gouvernement réagit au début de l’année 1978, afin de corriger ces déséquilibres naissants. Il adopte un premier programme financier pour la période couvrant le mois d’avril 1978 au mois de mars 1979 (Duruflé, 1988).

Mais, ce programme arrive trop tard et la combinaison des différents facteurs que nous venons d’évoquer ci-dessus (Investissements improductifs, emprunts extérieurs massifs, baisse de l’épargne publique et privée…) va précipiter la Côte d’Ivoire dans une crise des paiements extérieurs qui survient en 1980. Force est alors, pour le gouvernement, de constater que le déficit de la balance courante est de l’ordre de 18% du PIB (Banque mondiale, 1997, cité dans (Cogneau & Mesplé-Somps, 1999) et que le déficit budgétaire global atteint les 8,5% du PIB (BNEDT 1997, cité dans Cogneau & Mesplé-Somps, 1999). Le compte des opérations de la Côte d’Ivoire auprès du Trésor français devient alors déficitaire pour la première fois (Cogneau & Mesplé-Somps, 1999).

En définitive, le taux de croissance de 15,9% du secteur manufacturier d’exportation, prévu par le plan quinquennal 1976-1980, n’est que de 7,4%, si bien qu’en 1978, le déficit de la balance des paiements courants dépassait les 10% du PIB (Duruflé, 1988). Par ailleurs, on assiste à une importante sortie de devises sous forme de

39 Cette baisse de l’épargne s’explique en partie par le rapatriement de profits réalisés par les entreprises étrangères et notamment françaises implantées en Côte d’Ivoire, mais aussi de revenus des différentes communautés telles que les expatriés français, la population libanaise, et les travailleurs immigrés du Burkina et du Mali (Duruflé, 1988).

103 transferts privés des travailleurs étrangers, mais aussi ivoiriens. Ces transferts privés qui étaient déjà de l’ordre de 3% en 1963, atteignent les 7% du PIB, c'est-à-dire environ 150 milliards de FCFA dès 1976.

Le gouvernement reconnait alors que l’ajustement nécessaire au rééquilibrage de la balance des paiements ne peut se faire de manière efficiente qu’à moyen terme. Il décide donc de faire appel au FMI, afin de poursuivre cette politique d’ajustement. Un accord de facilité élargie est donc signé en janvier 1981 (Duruflé, 1988) ; accord qui marque le début de l’application des politiques d’ajustement structurel des IBW en Côte d’Ivoire. Cette dernière ayant déjà perdu son « pouvoir symbolique », n’aura dorénavant que peu de poids dans les échanges linguistiques avec les IBW. En conséquence, elle se verra imposer de lourdes conditionnalités associées à cet accord et elle n’aura d’autres choix que de s’y soumettre.

Conclusion du chapitre I

Il ressort de ce premier chapitre de la thèse, que pendant la période économique de l’après-guerre jusqu’aux années 1980, de nombreux mots et concepts ont fait leur apparition dans le discours du développement. Au niveau international, il a surtout été question de guerre froide, de communisme, de capitalisme, de conjoncture, de récession, de chômage, d’inflation, de stagflation et de politique de relance. En Côte d’Ivoire, ces mots sont essentiellement axés sur la valorisation du « miracle économique ». C’est ainsi que le gouvernement ivoirien a choisi de mettre en avant des mots tels que : libéralisme, infrastructure, croissance endogène ou autocentrée, planification, et croissance.

En effet, la vision d’un capitalisme d’Etat, a permis à l’Etat ivoirien d’investir dans tous les secteurs de l’activité économique, en attendant l’émergence d’entrepreneurs privés. Toutefois, le manque d’une politique réelle, en matière d’appropriation technologique n’a pas permis à la Côte d’Ivoire de s’industrialiser. Le choix d’une industrialisation rapide sans appropriation technologique a créé un déséquilibre entre le secteur agricole et le secteur industriel. Cette situation a entrainé un coût important pour l’ensemble de l’économie, car pour bénéficier des technologies nécessaires à son développement, le pays a eu recours aux compétences étrangères (PNUD, 2004).

104 En conclusion de ce premier chapitre de notre travail, nous pouvons dire qu'afin de parvenir à un schéma de croissance durable, il aurait été nécessaire que le gouvernement ivoirien procède beaucoup plus tôt à un ajustement majeur de ses politiques économiques, y compris la réduction de ses investissements ou le retardement de certains projets. De plus, il aurait dû inciter à une augmentation de l'épargne dans le secteur public, comme dans le secteur privé qui est le grand absent de ce modèle économique. Par ailleurs, l’incorporation des bénéfices de la Caisse de stabilisation dans le cadre de la procédure budgétaire ordinaire et, surtout l'amélioration du contrôle des dépenses courantes de l'Etat, auraient été des mesures judicieuses pour préserver l’équilibre économique et financier du pays. De tels ajustements auraient permis une plus grande participation du secteur privé au processus de développement économique et à une création, plus importante, d'emplois locaux lors des investissements.

Enfin, le gouvernement ivoirien aurait pu prêter plus d'attention aux petites entreprises, ainsi qu'au secteur dit informel, ce dernier créant souvent beaucoup d'emplois lorsqu’il utilise des facteurs de production correspondant aux ressources du pays. C’est en outre, un secteur qui a un dynamisme spontané et qui fait appel à des éléments d'esprit d'entreprise qui sont cruciaux pour la croissance et la modernisation d’une économie. Au lieu de cela, le gouvernement ivoirien a continué de faire de l’agriculture le moteur principal de sa croissance économique et à se tourner vers les capitaux étrangers lorsque les ressources tirées de l’agriculture se sont avérées insuffisantes.

Au final, les choix économiques de la Côte d’Ivoire combinés à une conjoncture internationale défavorable, ne lui ont pas permis de garder son « pouvoir symbolique » sur le marché du développement. Ce qui montre bien qu’un discours positif et de propagande n’est pas forcément un gage d’efficacité réelle des politiques de développement, même si dans le cas de la Côte d’Ivoire, ce discours traduisait une certaine réalité sociale. Du moins jusqu’à la fin des années 1970.

Ayant ainsi échoué à mettre en place une politique économiquement et socialement durable, la Côte d’Ivoire aborde la décennie 1980 endettée et contrainte de se soumettre à l’ajustement structurel. On peut alors se demander si le discours des Institutions de Bretton Woods, auquel se soumettra le gouvernement ivoirien, sera plus efficace dans la définition de politiques économiques adaptées aux réalités des populations d’un pays en développement comme la Côte d’Ivoire.

105 C’est à cette question que nous répondrons dans le second chapitre de cette première partie.

106 « Le langage d’autorité ne gouverne jamais qu’avec la collaboration de ceux

qu’il gouverne »

P. BOURDIEU, Ce que parler veut dire : L’économie des échanges linguistiques, 1982, p. 113.

Chapitre II

De 1980 à 1999 : Ajustement structurel et appropriation du