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I. La période de transition

I.1. De l’ajustement macroéconomique à la lutte contre la pauvreté

Cette évolution s'est faite de manière progressive. Pour les IBW, tout commence en en 1986 lorsque la Banque mondiale fait sa première évaluation des effets de la première génération des PAS sur les performances économiques des PED. Bien que cette étude n’ait pas permis de formuler de conclusion définitive sur l'efficacité de ces programmes, elle va toutefois, constituer un déclencheur pour des critiques plus poussées qui vont conduire à un changement de paradigme en matière de politiques économiques de développement.

En effet, c’est suite à cette évaluation, que l’UNICEF va établir son rapport sur les conséquences sociales de l’ajustement intitulé « l’ajustement à visage humain » (cf. point I.1.1.).

Dans la même période, le développement macroéconomique n’est plus la seule préoccupation des institutions internationales. C’est ainsi qu’en 1990, le Programme des Nations-unies pour le développement (PNUD) met en place son Indice de développement humain (IDH) (cf. point I.1.2.).

I.1.1. L’ajustement à visage humain et la création de la Dimension Sociale de l’Ajustement

A la fin des années 1980, les conséquences sociales des politiques d’ajustement dans les pays d’Afrique subsahariennes sont telles que l’UNICEF va s’intéresser à ces politiques de la Banque mondiale et du FMI. Dans ce contexte il publie en 1987 un rapport intitulé : « L’ajustement à visage humain ». C’est un titre qui signifie bien que les politiques d’ajustement de première génération, ont négligé le côté humain. C’est d’ailleurs ce qui transparait de l’analyse que nous avons effectué sur la Côte d’Ivoire sous ajustement, dans la section 1 de ce chapitre. En effet, l’analyse textuelle des différents PAS appliqués en Côte d’Ivoire de 1981 à 1986, montre clairement le caractère macroéconomique de ces mesures. C’est ce qui ressort des trois figures suivantes qui représentent le nuage des fréquences de mots représentant le corpus de chacun des trois textes d’ajustement qui ont été produits et appliqués durant cette période.

147 Figure 1 : Nuage des fréquences de mots du PAS de 1981

148 Figure 2 : Nuage des fréquences de mots du PAS de 1983

149 Figure 3 : Nuage des fréquences de mots du PAS de 1986

Source : auteur.

Comme on peut le constater sur ces trois figures, ce sont les mêmes mots qui se répètent dans les trois textes analysés. Ces mots sont essentiellement « programme », « projet », « investissement », « secteur public », « banque » et « gouvernement ». On retrouve ensuite en arrière-plan le mot « growth », qui signifie « croissance » en français. Ainsi, la mise en place de ces projets et programmes, a pour finalité de favoriser la croissance, afin de permettre à la Côte d’Ivoire de redevenir solvable.

Cette analyse nous permet aussi de constater que durant les 12 années d’ajustement en Côte d’Ivoire, il a uniquement été question de politiques

150 économiques d’austérité. Même si celles-ci ont entrainé une diminution des salaires, une augmentation du chômage et plus généralement de la pauvreté. Il fallait donc réagir rapidement, ce qu’à fait l’UNICEF avec ses critiques formulées dans son rapport de 1987.

Ce rapport arrive à point nommé pour tirer la sonnette d’alarme. Toutefois, il ne remet pas en cause le principe même des politiques d’ajustement. Ce qui est critiqué, ce sont surtout les conséquences sociales néfastes. L’UNICEF propose la mise en œuvre de politiques d’ajustement alternatives qui prennent mieux en compte le côté social afin de permettre une croissance durable et équitable (Conte, 2003). C’est ce qui explique le titre donné au rapport, à savoir « L’ajustement à visage humain ». Mais en quoi consiste réellement cet « ajustement à visage humain » ? Pour l’UNICEF, les PAS devaient, entre autres56, repenser ou, du moins, restructurer les secteurs de la santé, de l’éducation, et tous les services sociaux de base, pour plus d’efficacité et ce, à moindre coût (Cornia et al., 1987). A travers ce document, l’UNICEF, organisme à vocation humanitaire, vient bousculer les organismes financiers que sont les IBW dans l’exercice de leur pouvoir sur le marché du développement, en les contraignant à changer leur discours.

En effet, suite à ce rapport de l’UNICEF, les IBW décident d’ajouter une dimension sociale aux politiques d’ajustement, appelée « la dimension sociale de l’ajustement » (DSA), visant des objectifs sociaux comme ceux définis dans ce rapport.

Ainsi, à partir de 1987, en guise de réponse aux critiques de l’UNICEF, une seconde génération des PAS est instaurée intégrant la dimension sociale, avec un accent mis sur l’accès aux services sociaux de base, notamment l'éducation et la santé.

Selon Dubois (1996), le premier projet conçu pour intégrer les DSA date de juillet 1987, et il sera mis en œuvre en Gambie, le programme DSA n’étant officiellement lancé qu’en mai 1988 sur la base d’un accord entre le PNUD, la BAD et la Banque mondiale.

Par la suite, on remplacera la Facilité d'ajustement structurel renforcée (FASR) du FMI par une Facilité pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance (FRPC). Ce qui fut appliqué au cas de la Côte d’Ivoire. En fait, ces nouvelles mesures font partie d’une seconde génération des PAS qui seront mis en œuvre après 1988.

56 En effet, d’autres aspects tels que, l’austérité en matière de politiques fiscales, monétaires et salariales, ainsi que la création de revenus et d’emplois productifs pour les plus pauvres et la préservation d’un niveau alimentaire minimal sont aussi pointés du doigt par le rapport de l’Unicef.

151 Le fait même que les IBW fassent mention d’une dimension sociale de l'ajustement, montre bien, que les politiques passées étaient dans un certain sens « inhumaines », c'est à dire ayant un coût social excessif (Reed, 1999). Dorénavant, les DSA auront à prendre en compte les conséquences négatives des PAS sur les groupes de populations pauvres afin de viser à une meilleure articulation entre l’économique et le social. Ainsi, certains programmes d’action sociale seront conçus pour avoir un impact direct sur les pauvres en offrant la possibilité d’exercer des activités génératrices de revenus. Les IBW mettent alors en place ce qu’on a appelé des « filets sociaux57 », c'est-à-dire un ensemble de programmes qui sont censés avoir un impact immédiat en termes de réduction de la pauvreté car stimulent directement ou remplacent par le biais de substitution, la consommation en produits de base et en services essentiels pour les ménages. Mais, ces « filets sociaux » se sont révélés, en définitive, insuffisants pour subvenir aux besoins des plus pauvres.

En effet, malgré ces bouées de sauvetage pour les pauvres, l’esprit du « Consensus de Washington » plane toujours sur les programmes DSA. En définitive, on assiste toujours à la mise en place de programmes économiques de court terme qui ne doivent surtout pas porter préjudice aux efforts de réforme macroéconomique engagés auparavant par les pays.

Le seul point positif, c’est que le programme DSA a permis de porter les préoccupations relatives à la lutte contre la pauvreté au niveau international et à encourager des débats portant sur les orientations politiques de la Banque mondiale, du FMI et des autres donateurs, bilatéraux ou multilatéraux.

C’est ce qui explique que, dans la même période, d’autres voix se soient élevées pour condamner le côté inhumain des politiques d’ajustement et surtout demander de remettre l’individu au centre des politiques de développement. Ainsi, en 1990, le Programme de développement des Nations Unies élabore de nouveaux indicateurs de pauvreté, notamment « l'indice de développement humain » (IDH) qui est devenu une référence en matière de niveau et qualité du développement.

57 Les filets sociaux sont des programmes de transferts non contributifs, en espèce ou en nature, axés sur les populations pauvres ou vulnérables (Grosh, del Ninno, Tesliuo, & Ouerghi, 2008).

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I. 1. 2. L'Indice de Développement Humain (IDH)

L’IDH a été créé par le PNUD en 1990, afin d’évaluer le niveau de développement humain des pays. A travers cet indice de développement, on met l’accent sur le fait que les capacités des personnes sont l’un des critères primordiaux qui permettent d’évaluer le niveau de développement d’un pays. Cette démarche du PNUD montre que, désormais, ce n’est plus seulement la croissance économique, mesurée par le niveau du PIB, qui doit être prise en compte pour évaluer le développement des pays dans le monde. Autrement dit avec l’IDH, c’est un nouveau discours qui est introduit dans le monde du développement.

Le calcul de l’IDH se présente sous la forme d’un nombre compris entre 0 et 1. Le principe est que plus le nombre se rapproche de 1, plus le niveau de développement du pays peut être considéré comme élevé.

Depuis 1990, l'IDH est calculé et présenté dans le Rapport mondial sur le développement humain du PNUD. Il permet d'établir annuellement un bilan du niveau de développement humain dans le monde en y classant les 187 pays actuels.

Grâce à l'IDH, le PNUD a mis en place une mesure statistique originale qui allie à la fois des indicateurs de performance économique, et de performance sociale pour décrire le bien-être des populations. C’est un instrument qui non seulement reflète les réalités économiques d'un pays, mais y inclue des éléments liés à la justice sociale et au bien-être de sa population. Il comprend trois composantes, à savoir :

 Le niveau de santé et de longévité (appréciées par l'espérance de vie à la naissance) ;

Le niveau d’éducation (en mettant en relation le taux d'alphabétisation des adultes et le taux de scolarisation combiné entre l'école primaire et secondaire) ;

 Le niveau de vie (calculée à partir du produit intérieur brut par habitant en parité de pouvoir d'achat en dollars américains).

En 1997, le PNUD a complété l'IDH par un indicateur spécifique de la pauvreté, connu sous le nom « d'indice de pauvreté humaine » ou IPH, qui est aussi basé sur trois composantes variables :

 le risque de mourir avant l'âge de 40 ans ;

 le taux d'alphabétisation des adultes, la mesure des conditions de vie basée sur l'accès aux services de santé et de l'eau potable ;

153  la malnutrition chez les enfants de moins de cinq ans.

En 2006, le PNUD a montré, sur la base de ces mesures, que sur 178 pays évalués à l’époque, 63 connaissaient un développement humain élevé, 83 étaient dans la gamme moyenne et 32 avaient un faible niveau de développement humain.

La Côte d’Ivoire, longtemps considérée comme un modèle de réussite économique, de stabilité et de prospérité sociale en Afrique occidentale (d'où l'expression du «miracle ivoirien») se classe aujourd'hui au 172e58 rang de l'IDH sur 187 pays évalués (PNUD, 2015). Ce qui la place dans la moitié inférieure c’est à dire dans le groupe des pays souffrant d’un développement humain faible. De fait, l’IDH n’a cessé de baisser depuis le milieu des années 1980.

Par ailleurs, avec un indice de 0,45 sur 1, elle se classe, en Afrique, à la 37e place sur les 54 pays, alors qu’elle connait un taux de croissance du PIB d’environ 8%, depuis 2012.

Une question nous vient alors à l’esprit : pourquoi la croissance n’arrive-t-elle pas à mieux atteindre les pauvres ? Quel lien y-a-t-il entre la croissance et la réduction de la pauvreté ?

Selon le PNUD, « il n'y a aucune garantie que les pauvres se retrouvent dans les bénéfices de la croissance du PIB par habitant », car « l'ampleur de la pauvreté absolue dans un pays dépend tout à la fois du revenu par habitant et de la distribution des revenus dans ce pays ». Ainsi, plus la répartition est inégale, et moins les bénéfices de la croissance profitent aux pauvres. Un tel rappel est utile, et honnête, parce que, la comparaison entre le niveau du PIB et celui de l'IDH met clairement en évidence les inégalités dans l'accès à la richesse dans un pays. C’est aujourd’hui, le cas en Côte d’Ivoire où presque la moitié de la population est considérée comme pauvre, le taux de pauvreté monétaire étant estimé à 48,9% en 2008 (Ministère du Plan et du Développement, 2012). La Banque mondiale estime cependant que ce taux a diminué passant à 46,3% en 1015.

Ces nouvelles réflexions sur les politiques de développement économique et humain ont conduit les IBW à revoir leur position et à adopter de nouvelles stratégies qui constituent, du moins en apparence, une certaine rupture avec les politiques du passé.

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I. 2. Rupture avec les PAS et avènement d’un nouveau discours