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Quand on considère les dix commandements du « consensus de Washington », énumérés ci-dessus, on voit bien que l’orientation des nouvelles politiques de développement est clairement imprégnée par les écoles de pensée néolibérale. Le modèle part du constat qu’il faut réduire les déséquilibres structurels créés par le modèle précédent influencé par le keynésianisme. Le but est alors de s’attaquer aux causes de ces déséquilibres, c’est à dire aux préceptes sur lesquels se fondait le modèle précédent, dit des indépendances nationales. C’est ainsi que, les privatisations sont préférées aux nationalisations, l’ouverture au marché remplace le protectionnisme, et le marché se substitue à la planification.

En effet, pour les IBW, il s’agit surtout de proclamer la suprématie du marché (cf. point I.2.2.) dans le processus d’allocation des ressources, et de favoriser les échanges privés (considérés comme seuls créateurs de richesses) en supprimant toute intervention de l’Etat (Berr, 2003).

Dans les faits, cette politique est portée par deux courants de pensée qui vont se développer au sein des IBW et fonder leur discours (cf. point I.2.1.).

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I. 2. 1. Les courants de pensée développés au sein des IBW

Rappelons que les années 1970 sont marquées au niveau mondial, par un essoufflement de la croissance qu’avaient connu les « Trente glorieuses » et par une montée de l’inflation.

Pour faire face à cette situation, les gouvernements de l’époque ont adopté soit des « politiques de relance », soit des « politiques d’austérité ». C’est ce qu’on appellera le « stop and go », et qui de fait, sera bien souvent une alternance entre les deux modèles économiques. Mais à partir des années 1980, seule la politique du « stop » va prévaloir, ce qui constitue un changement radical dans la pensée économique. Dès cette période, les politiques keynésiennes n’ont plus lieu d’être et les critiques les plus virulentes à leur encontre viennent des deux courants de pensées qui sont alors développés au sein des IBW.

Nous avons d’une part, la référence à la théorie néoclassique qui ressurgit sous forme néolibérale menée par les monétaristes dont le principal représentant est Milton Friedman (école de Chicago). Ce courant de pensée s’est développé dans les années 1950. Il prône le contrôle rigoureux de la masse monétaire en circulation afin d'atteindre un certain équilibre, dans le but d’éviter l'inflation, la hausse des taux d'intérêt, et surtout, pour garder une masse de monnaie équivalente au volume de production. Selon Friedman, il existe un taux de chômage naturel fixe, qui ne nuit pas à l'économie. Les politiques monétaires n'ont donc aucune incidence sur le taux de chômage.

Ils contestent d’abord la courbe de Philips concernant l’arbitrage de l’Etat entre inflation et chômage. Ensuite, ils dénoncent l’inefficacité de l’intervention publique, ainsi que de la politique économique à long terme et prônent la nécessité d’un retour au libre jeu du marché. Friedman et ses amis affirment ainsi, qu'il est possible d'éviter les politiques de relance et de rigueur, car le contrôle de la masse monétaire permet de réguler la croissance économique et, par la même occasion, la hausse des taux d'intérêts ou l'inflation.

118 D’un autre côté, il y a aussi le courant des « anticipations rationnelles »40 développé par Robert Lucas et qui fait référence aux comportements des agents face aux différentes incitations étatiques. Cette théorie avait connu un premier développement avec Friedman, sous le nom « d’anticipations adaptatives ».

Les « anticipations adaptatives » de Friedman supposaient une adaptation progressive des agents, en fonction de la variation des prix et des salaires. Mais Lucas va plus loin. Pour lui, les agents sont totalement rationnels dans leurs comportements. Ils disposent d’une capacité illimitée de traitement des informations et cette capacité leur assure un comportement rationnel qui permet d’annuler l’incertitude dans le futur. Au regard de la théorie des « anticipations rationnelles », la mise en œuvre de politiques économiques perd de son intérêt car les agents anticipent instantanément les variations de prix et de salaires liées à une politique économique donnée. Les effets de cette dernière s’annulent donc automatiquement. Cette hypothèse du comportement rationnel des agents renforce ainsi celle de l’inefficacité des politiques économiques, puisque les agents sont parfaitement capables d’anticiper telle ou telle mesure que l’Etat pourrait prendre, les rendant ainsi totalement inefficaces.

La différence entre les monétaristes et la nouvelle économie classique des « anticipations rationnelles », c’est que pour les monétaristes, il y a toujours une possibilité d’action de l’Etat par le biais de la politique monétaire. Ce qu’ils contestent, c’est le rôle central de la politique budgétaire. Ils préfèrent une action sur l’économie par le biais du taux d’intérêt. Si bien que pour la nouvelle économie classique des « anticipations rationnelles », c’est la totalité des interventions de politique économique qui est jugée inefficace. Ils récusent ainsi toute intervention de l’Etat, que celle-ci soit monétaire ou budgétaire.

Ces deux théories se rejoignent donc sur un point : celui de la contestation du rôle de l’Etat.

Ces théories vont fonder le cadre macroéconomique et le discours sur les ajustements structurels qui seront mis en œuvre dans les PED par les IBW.

40La théorie des anticipations rationnelles a été développée en économie dans les années 1960, et plus particulièrement en macroéconomie. Bien que le principe d’un comportement rationnel des agents économiques soit plus ancien ; il est introduit en ce qui concerne les anticipations des agents par John Muth en 1961 et sera par la suite surtout développé par Robert E. Lucas. Ceci constitue le principe fondateur de la Nouvelle économie classique. En 1995, Lucas reçoit le « prix Nobel » d'économie pour ses travaux.

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I. 2. 2. Le moins d’Etat ou le tout marché dans les PAS

La plupart des PED comme la Côte d’Ivoire, abordent les années 1980 endettés avec une balance des paiements déséquilibrée. Dès lors, l’objectif des IBW est d’assainir les économies de ces PED, afin de permettre le remboursement de leurs dettes à travers une meilleure intégration au marché mondial. Cette intégration n’est possible que grâce à l’exploitation de leurs « avantages comparatifs » qui permet de développer des activités exportatrices génératrices de revenus. Les pays en difficulté économique comme la Côte d’Ivoire n’ont guère d’autres choix pour obtenir les crédits souhaités que de se soumettre aux conditions des IBW, mettant d’une certaine manière, leur économie sous tutelle.

Les IBW partent du principe de base que pour retrouver l’équilibre au trois niveaux de déficits (public, budgétaire et financier), il ne faut surtout pas que l’Etat intervienne dans l’économie car il est à l’origine de ces déséquilibres. En effet, conformément à la nouvelle approche des IBW, le marché est à même de s’équilibrer automatiquement si aucune interférence (sous-entendue de l’Etat) ne vient perturber ce processus. La régularisation de l’économie par le marché devient ainsi une condition du développement. Quant à l’Etat, il doit se cantonner à ses fonctions régaliennes (justice, police, défense nationale…)41. Le principe du moindre Etat devient alors l’élément central des PAS, surtout que pour la théorie néolibérale, si le marché ne fonctionne pas parfaitement, c’est bien à cause de l’intervention de l’Etat. Ainsi, cette vision des politiques économiques va totalement à l’encontre de ce qui prévalait dans la période précédente où le rôle de l’Etat était privilégié. En effet, avant les années 1970, on partait de l’idée que les marchés étaient imparfaits, surtout dans les pays en développement et qu’il était donc nécessaire de corriger ces imperfections par des interventions de l’Etat. Cette intervention se devait d’orienter l’activité économique vers le développement des PED. C’est d’ailleurs ce qui se retrouve dans certaines stratégies de développement telles que l’industrialisation par substitution aux importations adoptées par de nombreux pays, notamment la Côte d’Ivoire. L’Etat se devait donc toujours de coordonner l’activité des agents

41La fonction ou pouvoir régalien désigne les pouvoirs exclusifs du seigneur que personne d'autre n'a le droit d'exercer sur son territoire. En économie, les fonctions régaliennes désignent des tâches que l'État ne doit pas ou ne peut pas déléguer à des sociétés privées. La liste des droits ou fonctions régaliennes dépend du système politique et de l'opinion de chacun.

120 économiques. Quant à l’effort d’investissement, il devait s’effectuer sur plusieurs secteurs d’activités appelés à converger pour corriger le marché et favoriser le développement. C’est ce qu’on a appelé la théorie du « big push » ou de la « croissance équilibrée » (Rosenstein-Rodan, 1943)42.

Les années 1980 marquent donc un tournant important dans l’application des théories économiques de développement, car on assiste à un renversement historique de la situation et à un changement radical du discours. Désormais, on met l’accent sur les imperfections de l’Etat et non plus sur celles du marché. L’Etat n’est plus le coordonnateur, mais devient l’obstacle principal au développement.

De manière concrète, les programmes correspondants, sous forme de PAS, encouragent la privatisation des entreprises publiques, les entreprises privées étant supposées être mieux gérées et donc plus rentables. Malheureusement, ces PAS sont mis en œuvre sans prendre en considération leurs effets négatifs en matière de transports publics, d'accès à l'électricité, à l'eau, pour ne citer que quelques-uns de ces services sociaux de base. Dans les faits, la déréglementation du marché, avec la suppression des barrières à l'entrée et à la sortie des produits, aggrave les problèmes des PED en favorisant excessivement l’ouverture économique de ces pays face à la concurrence internationale. Si bien que, les entreprises multinationales peuvent inonder le marché des PED avec des produits subventionnés dont les prix sont très bas. Le fait que les pays développés vendent ainsi leur production sur le marché mondial à un prix inférieur à leur coût de production, crée un sérieux déséquilibre dans les échanges avec les pays en développement. Connue sous le nom de « dumping social», cette façon de procéder viole délibérément les règles de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC).

Cette situation défavorable dans les termes de l’échange, rend les pays en développement à économie agricole comme la Côte d’Ivoire plus vulnérables, face aux fluctuations des cours mondiaux.

Ainsi, cette option retenue et encouragée du tout libéral susceptible de permettre un retour à l’équilibre sera par la suite très critiquée, en raison de ses effets néfastes sur l’économie des PED.

42 Il est connu pour sa théorie de la croissance équilibrée (également développée par R. Nurkse) et s'oppose, sur ce point, à A. O. Hirschman qui est partisan d'une croissance déséquilibrée.

121 Il nous faut maintenant étudier dans la partie suivante, les effets de ces politiques préconisées par les Institutions de Bretton Woods, l’ajustement structurel de 1981 à 1993, sur l’économie et la société ivoirienne en général.

II. Les effets de la mise en œuvre des PAS sur la société