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Le pouvoir symbolique du discours dans les théories économiques et les pratiques du

I. L’apparition du mot « conjoncture » dans le contexte économique de la fin des années 1970 économique de la fin des années 1970

I.1. Une conjoncture économique défavorable

Selon le dictionnaire Larousse, le mot « conjoncture » désigne un concours de circonstances, c'est-à-dire un ensemble d’éléments qui déterminent une situation économique, sociale, politique et démographique à un moment donné. La conjoncture, ainsi définie peut s’avérer favorable ou défavorable selon que ces circonstances sont considérées comme positives ou négatives. C’est ainsi qu’en Côte d’Ivoire, le mot « conjoncture » sera perçu avec une connotation négative car essentiellement associé à la situation de crise économique des années 1980 à 199028.

En ce qui concerne l’Occident, la conjoncture économique est devenue défavorable au début des années 1970 en raison de la survenance de deux évènements graves, à savoir la crise du système monétaire international de 1971 (cf. point I.1.1.), et les chocs pétroliers de 1973 et de 1979 (cf. point I.1.2.).

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I.1.1. La crise du système monétaire international de 1971

Au lendemain de la seconde guerre mondiale qui a principalement touché l'Europe et le Japon, les Etats-Unis acquièrent une position hégémonique dans le monde, en détenant 70 % des réserves d'or mondiales. Ils ont été moins touchés par la guerre et leur économie a continué de prospérer pendant cette période. De plus, en 1944, les américains venus combattre aux côtés des occidentaux découvrent en Allemagne, un trésor composé de lingots d’or et d’autres biens précieux, dont des tableaux, qu’ils rapatrient aux Etats-Unis. Une partie de ce trésor servira à refinancer la construction de l’Europe via le plan Marshall, après la fin de la guerre29.

Enfin, les Etats-Unis se retrouvent aussi, finalement, les seuls à disposer d’une monnaie indexée sur l'or.

Entre le 1er juillet et le 22 juillet 1944, une conférence financière internationale des Nations unies se réunit à Bretton Woods (New Hampshire), pour entériner cette hégémonie américaine. Lors de cette conférence, des accords signés le 20 juillet sous le nom d’accords de Bretton Woods instituent un nouveau système monétaire basé sur le dollar comme monnaie de réserve, ce qui confirme le monopole des Etats-Unis en matière de parité fixe par rapport à l’or.

Conformément à ce nouveau système monétaire international (SMI), chaque Etat doit assurer la convertibilité de sa monnaie sur la base d’une parité fixe, en or ou en dollars américains, avec une marge de fluctuation de 1%. Le dollar devient de ce fait, la seule monnaie indexée sur l’or et toutes les autres monnaies se retrouvent à leur tour indexées sur le dollar. Ceci, sur la base de 35 dollars pour une once d’or.

Les accords de Bretton Woods entérinent aussi la création du FMI et de la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD), ancêtre de la Banque mondiale. Ces deux institutions règneront par la suite sur le marché du développement. Grâce à leur poids économique, elles vont acquérir un pouvoir d’ordre symbolique qui leur permettra d’imposer leur discours dans l’échange linguistique avec les autres acteurs du développement, notamment les pays en développement.

Le nouveau système monétaire international a eu pour rôle d’assurer la fluidité des échanges du commerce international, car il garantissait une relative stabilité

29 Information révélée dans le documentaire de 2011 « Apocalypse Hitler », en deux parties « la menace » et le « Führer » diffusé sur France 2, le 8 mai 2016.

74 monétaire, et ceci accompagnera la croissance mondiale pendant les « Trente Glorieuses ». Cependant, aucun système de contrôle n’a véritablement été institué et les pays participants au SMI accumuleront les prêts en dollars nécessaires à leur croissance. Si bien que le montant des devises étrangères, surtout européennes, basé sur la contrepartie dollar explose dans les années 1960. En 1963, un rapport officiel de la Réserve fédérale américaine tire la sonnette d’alarme sur le risque d’un déséquilibre de la balance des paiements américaine. Une situation qui était susceptible de mettre en danger l’équilibre financier international et, surtout, la convertibilité du dollar en or.

Or depuis 1957, le système s’est désagrégé peu à peu du fait de poussées inflationnistes qui, aux Etats-Unis, ont entraîné une perte de confiance dans le dollar. A la fin des années 60, le dollar se met à fluctuer énormément et les banques centrales ne parvenaient plus à arrêter ces fluctuations. Si bien que, le 3 octobre 1969, un amendement est apporté aux accords de Bretton Woods, pour permettre la création de Droits de tirage spéciaux (DTS), panier de devises30 fortes qui constitue la nouvelle unité de compte du FMI, et un nouvel instrument de paiement visant à remplacer l’or.

Mais, le danger d’un déséquilibre financier demeurait toujours présent aux Etats-Unis, car ces derniers avaient beaucoup puisé dans leurs réserves pour financer la guerre au Vietnam31.

Afin de ne pas perdre leur hégémonie financière dans le monde et se voir ainsi dépossédés de leur pouvoir symbolique dans les échanges linguistiques, mais aussi et surtout, économique face à leurs partenaires, les Etats Unies prendront dès lors des décisions assez radicales.

Le 15 août 1971, le président américain Richard Nixon craignant que les demandes de remboursement en dollars redeviennent excédentaires, en raison principalement de l’augmentation des importations et de l’affaissement de la balance commerciale américaine, décide de la fin de la convertibilité du dollar en or. Le président Nixon annonce, par ailleurs, l’imposition d’une taxe sur les importations, ainsi que le blocage des prix et des salaires. Par cette démarche, les Etats-Unis pouvaient

30 Le panier de monnaies qui compose les DTS est actuellement la livre sterling, le dollar, l'euro et le yen.

31 La guerre du Vietnam a duré de 1955 à 1975. Elle a opposé, d'un côté la République (ou Nord-Viêt Nam) soutenue matériellement par le bloc de l'Est et la Chine et le Front national de libération du Sud Viêt Nam (dit Viet Cong), et de l'autre côte la République du Viêt Nam (ou Sud-Viêt Nam), militairement soutenue par l'armée des États-Unis appuyée par plusieurs alliés (Australie, Corée du Sud, Thaïlande, Philippines).

75 imposer leur vision au reste du monde, en utilisant tout leur pouvoir symbolique, afin de préserver leurs intérêts économiques. Ceci corrobore l’idée de P. Bourdieu (1982) que « le rapport de force linguistique n’est jamais défini par la seule relation entre les compétences linguistiques en présence ». D’autres facteurs tels que les intérêts économiques rentrent aussi en ligne de compte.

Cette décision de rendre le dollar non convertible sera entérinée par les accords du Smithsonian Institute du 18 décembre 1971. Des accords qui prévoient l’inconvertibilité du dollar en or et la dévaluation de la monnaie américaine de 7,89%, faisant ainsi passer l’once d’or de 35 à 38 dollars. Ils procèdent aussi à la réévaluation de plusieurs monnaies étrangères par rapport au dollar, dont le yen (+16,88%), le deutsche mark (+13,57%) et le franc belge (+11,57%) [Martin, 2011]. Cependant, en 1975, la quantité de monnaie en circulation dans le système économique vient à dépasser le montant des réserves mondiales en devises. Ceci s’explique par le fait que les pays qui exportent le plus vers les Etats-Unis accumulent des dollars qui engendrent à leur tour encore plus de devises en monnaie nationale. On assiste alors à un accroissement gigantesque de la masse monétaire en circulation, ce qui devient un facteur majeur d’inflation. Craignant le déclenchement d’une crise inflationniste, la République Fédérale d’Allemagne sera le premier pays à se désengager des dispositions de Bretton Woods.

Pour résoudre le problème, sont alors négociés les accords de Jamaïque entre le 7 et le 8 janvier 1976. Ces accords mettent en place un système de taux de change flottants : c’est la démonétisation de l'or comme moyen de règlement international des échanges commerciaux.

La fin de la convertibilité du dollar en or a pour conséquence principale non seulement l’arrêt du SMI, mais aussi l’avènement d’un système monétaire à taux de changes flottants. Ceci encouragera également la Communauté Economique Européenne à relancer ses projets de monnaie unique.

Bien que la décision du président Nixon ait semé la panique sur le marché des changes, elle a cependant obligé tous les grands pays à laisser la parité de leur monnaie flotter pour ralentir l’entrée massive de dollars dans leur économie. Par cette réaction, les grands pays européens pouvant être considérés ici comme les dominés au sens de P. Bourdieu (1982), ont été aptes à opérer la révolution symbolique qui est la condition de la réappropriation de leur identité économique et sociale.

76 C’est dans ce nouveau contexte d’insécurité monétaire qu’intervient le premier choc pétrolier de 1973. Il sera suivi, six ans plus tard, d’un deuxième choc, celui de 1979. L’émergence de la notion de « choc pétrolier » marque l’apparition d’autres acteurs sur le marché du développement. Ces nouveaux acteurs que sont les pays pétroliers, essayeront aussi d’imposer leur discours au reste du monde, car ils sont aussi devenus détenteurs d’un pouvoir symbolique qui peut s’affirmer dans l’échange linguistique. Leur pouvoir symbolique est alors fondé sur la possession d’une marchandise énergétique rare et précieuse : le pétrole.

I.1.2. Les chocs pétroliers de 1973 et de 1979

En un peu plus d’un siècle, le pétrole est devenu l’un des facteurs indispensable pour la croissance économique mondiale, d’où son surnom « d’or noir » pour décrire le niveau de richesse de ceux qui possèdent cette ressource naturelle. Il est utilisé, directement ou indirectement, comme source d’énergie dans un grand nombre de processus de production industriel et dans les transports. Dès lors, toute variation de son prix peut avoir un impact considérable sur l’évolution de la conjoncture économique. Ceci est d’autant plus vrai qu’il n’existe que peu de « biens de substitution », pouvant répondre rapidement aux mêmes besoins et à moindre coût. Pourquoi parle-t-on de « choc pétrolier » ?

Deux « chocs pétroliers" ont marqué l’histoire du XXe siècle selon les économistes : en 1973 puis en 1979, tous deux étant provoqués par l’Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole (OPEP).

En effet, en 1960, cinq parmi les principaux producteurs d'hydrocarbures (l'Iran, l'Irak, le Koweït, l'Arabie Saoudite et le Venezuela) s’unissent pour contrer ce qu’ils considèrent être un « échange inégal » sur le marché du pétrole en créant l’OPEP. L'objectif de cette organisation, est de contrebalancer le pouvoir des grandes compagnies pétrolières internationales afin de revaloriser le prix du pétrole brut, ceci toujours dans un contexte d'émancipation des pays du Sud.

L’OPEP nait ainsi en réaction contre la tendance à la baisse des prix du pétrole ; ce dernier valant à l’époque, moins de deux dollars le baril de brut sur le marché mondial, ce qui avait des conséquences néfastes sur les recettes des pays producteurs. L’OPEP décide alors de hausser le prix du pétrole considéré comme

77 injustement sous-évalué. A partir de 1973, elle obtient gain de cause et réussit à imposer un nouveau prix du baril de pétrole, bien plus élevé. Ceci a certes pour conséquence d’accroitre les recettes des pays producteurs et de baisser le profit des compagnies, mais aussi d’augmenter le coût global de l’énergie. On définit alors le « choc pétrolier » comme un phénomène de hausse brutale du prix du pétrole qui, en renchérissant le prix de l’énergie, a une incidence négative sur la croissance économique mondiale.

En réalité, le choc pétrolier nait de la conjonction de deux variables qui sont à l’origine des fluctuations du prix du pétrole : d’une part, un déséquilibre entre l’offre et de la demande de ce produit et, d’autre part, la présence de fortes tensions géopolitiques.

En fait, le premier « choc pétrolier » fait suite à un évènement géopolitique majeur au Moyen Orient : la guerre israélo-arabe de 1967 dite « Guerre des 6 jours » qui provoque la fermeture du canal de Suez, obligeant les navires à faire le tour de l'Afrique. Ceci a pour effet de provoquer une pénurie de pétrole et en conséquence une hausse du prix sur le marché mondial. Ceci montre aussi la dépendance des pays industrialisés vis-à-vis du pétrole et le fait que pour maintenir leur approvisionnement, ils soient prêts à payer le prix fort. Ce qui veut dire qu’en matière de pétrole, l’échange linguistique sur le marché du développement est devenu défavorable aux pays industrialisés, et que le discours qui s’impose est bien celui de l’OPEP.

Devenus conscients du nouveau pouvoir dont ils disposent, tant au niveau économique que symbolique, les pays de l’OPEP se réunissent en février 1971, c'est-à-dire en pleine crise monétaire internationale, et décident de fixer eux-mêmes le prix du baril de pétrole brut de façon à accroître leur part de bénéfice à l’extraction qu’ils jugeaient être trop bas. Cette révolution des pays de l’OPEP considérés au départ comme des dominés dans l’échange économique et linguistique, avec les pays industrialisés (dominants), est devenu possible grâce au produit « pétrole » pour lequel ils disposent d’un monopole. La rareté du produit sur le marché mondial et l’importance de la demande ont permis cette inversion du pouvoir symbolique dans les rapports de force.

En 1973, une seconde guerre appelée « Guerre du Kippour » oppose à nouveau Israël aux pays arabes. L’OPEP, majoritairement composée de pays arabes, décide alors de multiplier par quatre le prix du pétrole qui passe de 3 à 12$. Elle décide

78 aussi de réduire sa production de 25% envers les pays soutenant Israël, ce qui crée une pénurie, accompagnée de panique chez les consommateurs. D’autant que la conjonction entre cette limitation de la production de pétrole brut et l’augmentation soudaine de son prix engendre aussi une inflation au niveau mondial. Cette victoire de l’OPEP contribue à déclencher une crise économique mondiale dans la même année. C’est ce qu’on a appelé le premier « choc pétrolier » dont les effets sur l’économie mondiale apparaissent dès 1974. Cette crise pétrolière amplifie la récession déjà présente, sous forme latente, à la suite de la crise monétaire de 1971.

A la fin des années 1970, la situation politique au Moyen-Orient s’enflamme de nouveau, du fait des agitations révolutionnaires en Iran. En effet, une révolution islamique iranienne éclate à la fin de l’année 1978 et aboutit, le 11 janvier 1979, à la chute du Shah d’Iran pourtant soutenu par les Etats-Unis. C’est le point de départ du second « choc pétrolier ».

La dégradation des relations entre l’Iran et l’Irak suite à cette révolution islamique et l’arrivée au pouvoir en Iran de l'Ayatollah Khomeiny débouche sur une guerre qui va durer de 1980 à 1988. La déstabilisation de ces deux grands pays producteurs de pétrole engendra alors des tensions sur le marché pétrolier au début des années 80. Afin de se prémunir contre d’éventuels troubles, les compagnies pétrolières des pays consommateurs accroissent leur demande auprès des pays producteurs dans le but de constituer des stocks. Concomitamment à cette hausse de la demande, l’Arabie Saoudite, l’un des pays créateur de l’OPEP, décide de diminuer sa production de 1 million de barils par jour afin de réduire l’offre. Le baril de brut atteint alors les 32 dollars au plus haut de son prix.

A la fin de l’année 1978, les pays de l’OPEP s’engagent toutefois à pratiquer une hausse dite modérée du prix du pétrole pour 1979. Mais en réalité, le cours du baril atteint 43,80 dollars à la fin de l’année 1980, son record historique.

L'OPEP regroupe de nos jours 12 pays qui assurent 43 % de la production mondiale de pétrole et concentrent les 3/4 des réserves pétrolières. Il conserve donc toujours un pouvoir d’action sur les quantités de pétrole mises sur le marché, contribuant de ce fait aux variations du prix mondial du baril. Ses interventions, en surenchérissant le prix du pétrole, contribuent à freiner la croissance au niveau mondial et à accroitre les déséquilibres internes dans les pays non producteurs de pétrole. Par effet de

79 ricochet, les prix des autres matières premières se trouvent être aussi sujets à fluctuation. Ainsi, suite à la crise pétrolière de 1979, la demande globale du prix du cacao et de café entrainera une baisse des prix de 30%, alors qu’on assistera, dans la même période, à une augmentation rapide du prix des produits importés, ce qui contribuera à une détérioration des termes de l’échange de 37% entre 1977 et 1980. Par ailleurs, les énormes disponibilités ou liquidités financières issues de cette hausse du prix du pétrole (sous la forme de pétro dollars) encourageront certains pays du Sud, comme la Côte d’Ivoire, à s’endetter en empruntant massivement pour financer leur développement ; au point de ne plus, pouvoir rembourser leur dette, comme ce fut le cas pour le Mexique en 1982.

Par conséquent, avec la création de l’OPEP, on assiste dans une certaine mesure, à une forme de redistribution des rôles et un changement dans les détenteurs du pouvoir linguistique symbolique en matière d’économie du développement.

La crise financière et les chocs pétroliers auront, notamment, pour conséquence un ralentissement de la croissance qui entraînera l’économie mondiale dans une récession de longue durée.

I. 2. Ralentissement de la croissance et installation de la récession