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La primauté donnée au discours des IBW dans l’échange linguistique et économique : « le consensus de Washington »

L’expression « consensus de Washington » a été utilisée pour la première fois en 1989 par l’économiste J. Williamson (Williamson, 1990). Il qualifie ainsi les mesures de libéralisation économique proposées par les IBW qui ont leur siège dans cette ville. Williamson distingue en effet, le « Washington politique du Congrès, et des hauts fonctionnaires de l’administration » et « le Washington technocratique des institutions financières internationales, des agences économiques du gouvernement, de la Federal Reserve Board, et des groupes de réflexion » (Williamson, 1990). Sous ce vocable, les pays du Nord et plus particulièrement les institutions financières internationales (IFI) désignent une série de mesures économiques qui permettraient aux PED endettés de sortir de la dette et de s’intégrer au marché mondial, source de débouchés pour leurs exportations et donc de recettes pour les équilibres budgétaires. La Côte d’Ivoire, très endettée à la fin des années 1970, n’a pas échappé à ce traitement de choc.

Toutefois, il est important de souligner que cette idée d’un consensus particulier n’a pris forme qu’à partir de l’analyse de Williamson, qui n’apparait, qu’en 1990, soit dix ans après l’application de ces politiques dans un nombre de pays (en 1981 en Afrique).

Ainsi, les IBW installent leur « pouvoir », tant linguistique qu’économique sur le marché du développement, à travers l’imposition d’un langage particulier expression

112 d’un système commun de perception et d’appréciation, s’appuyant sur une vision unifiée du monde social.

La BM et le FMI, initiateurs de ces politiques, adoptent dès le début des approches fort différentes pour résoudre « la crise de la dette », tout en donnant tous deux, priorité au marché.

La BM choisit de régler le problème de l'endettement des PED en mettant en place des politiques d'ajustement structurel, qui favorise l’offre globale, pendant que le FMI opte pour des programmes de stabilisation monétaire, visant à réduire la demande globale.

L'ajustement qui regroupe un certain nombre de mesures permettant d’agir sur l'offre, s'appuie sur un modèle dualiste où le développement et le financement doivent être associés. L'objectif principal est de changer les structures de l'offre globale par des politiques de prix, de salaires et de restructuration sectorielle.

Quant à la stabilisation, il s’agit plutôt de mesures à court terme visant à contrôler la demande globale soit par l’octroi de crédits spécifiques (Facilités d'ajustement structurel renforcées - FASR) soit par des dépenses publiques permettant de réguler des circuits financiers. Il s'agit donc d'une gestion de l'endettement par action sur la demande globale, avec pour objectif de stabiliser les structures d'actifs.

Sur le terrain, les experts de chacune de ces deux organisations, appliquent leurs préceptes, sans forcément se concerter.

Mais, comme le souligne P. Bourdieu (2001, p. 64) : « le recours à un langage neutralisé s’impose toutes les fois qu’il s’agit d’établir un consensus ». Par conséquent, le « Consensus de Washington » s’installe petit à petit en mettant l’accent sur la promotion de politiques strictement macroéconomiques visant en une ouverture croissante des économies à la libre concurrence. La priorité est donnée à la libéralisation des échanges, aux privatisations, à la réduction des dépenses publiques considérées comme improductives. Cela se traduit notamment par la réduction des budgets de la santé et de l’éducation, la dévaluation de la monnaie, etc. Par ailleurs, il ressort de la revue de littérature que nous avons effectuée, que les principes fondamentaux de ce nouveau modèle de développement s’articulent grosso modo autour de trois équilibres : la balance des paiements, la balance commerciale, et le budget de l’Etat.

113 Dans son ouvrage de 1990, J. Williamson, donne sa propre interprétation de ce qu’est le "consensus de Washington" en considérant "dix commandements" qui sont un mix de mesures de stabilisation et de mesures structurelles (Berr & Combarnous, 2004). Lorsqu’on examine ces "dix commandements" de près, on remarque que six mesures peuvent être classées au titre des mesures structurelles de la BM (cf. point I.1.1.), et, seulement quatre au titre de la stabilisation du FMI (cf. point I.1.2.).

I.1.1. Les six mesures structurelles de la Banque mondiale

Pour atteindre ces trois équilibres de la balance des paiements, de la balance commerciale et du budget de l’Etat, la BM recommande aux pays de suivre les six principes suivants :

La libéralisation

Au départ, cette mesure avait pour but de libérer les échanges commerciaux, par la promotion des exportations. En fait, il s’agissait de supprimer les barrières tarifaires et non tarifaires (droits de douane etc.) pour donner une totale liberté de circulation aux mouvements de capitaux. Il faut toutefois souligner que l’impact de la libéralisation financière sur la croissance s’est avéré bien plus incertain que pour toutes les autres mesures. Par ailleurs, bien que Williamson ait pris le soin de préciser que la libéralisation des mouvements de capitaux ne soit pas une priorité (Williamson, 1990 et 2000), cette mesure sera largement imposée par les IFI aux PED, dans les années 1990, sans que sa mise en œuvre ne soit ni progressive, ni accompagnée d'un quelconque suivi-évaluation des résultats.

La compétitivité

Afin d’attirer les investissements directs étrangers (IDE), pour financer le développement des PED, le consensus préconise, l'élimination de toute barrière à ces investissements. Ce qui revient donc à supprimer toute mesure protectionniste car elle ne garantirait pas les mêmes droits aux IDE.

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La privatisation

Elle consiste à vendre les actifs de l’Etat détenus dans les entreprises publiques pour assainir les finances publiques et développer des entreprises privées, supposées être mieux gérées. Ces mesures officiellement adoptées par le plan Baker en 1985, visent en outre à restaurer l’équilibre budgétaire et à réduire l’investissement public, donc le poids de l’Etat. Bien qu’ayant fait l’objet d’un large consensus, Williamson considère que dans certains cas, la privatisation peut être inappropriée, surtout en matière de transports publics et de gestion de l’eau.

La déréglementation

Elle vise à éliminer toutes les règles qui freinent les initiatives économiques et la libre concurrence. L’objectif étant de réduire, voire de supprimer toutes les barrières à l'entrée et à la sortie des marchés.

La réforme fiscale

L'objectif de cette réforme est d’augmenter le nombre de contribuables, en élargissant l’assiette fiscale par le biais d’une généralisation de la TVA. Par ailleurs, cette mesure préconise aussi la baisse des taux d’imposition jugés trop élevés dans les PED. En effet, les fiscalistes s'accordent à penser que les bons impôts se caractérisent par des bases larges et des taux faibles. Or dans les PED, c’est bien souvent l'inverse.

La garantie des droits de propriété

Ceci est une des conditions de l’Etat de droit (cf. article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789). Par ailleurs, selon le consensus de Washington, le renforcement des droits de propriété permettrait de promouvoir la création privée de richesses.

A ces mesures d’ordre structurel s’ajoutent d’autres mesures ayant pour but de stabiliser l’économie des PED.

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I. 1. 2. Les quatre mesures relatives à la stabilisation

Pour le FMI, quatre mesures sont nécessaires pour que l’économie des pays en développement puisse être stabilisée et ainsi retrouver le chemin de la croissance.

L’austérité budgétaire

Les déficits budgétaires trop importants étant source d’inflation, il faut imposer une discipline budgétaire aux PED en limitant les dépenses publiques, afin de revenir à l’équilibre. Williamson ajoute toutefois qu’un déficit budgétaire peut être acceptable à court terme s’il ne se traduit pas par un accroissement du poids de la dette (mesuré par le ratio dette/PNB).

L’action sur les dépenses publiques

Pour Williamson, il convient de réduire les subventions afin de réorienter les dépenses publiques vers des investissements plus productifs. Il précise surtout qu'il ne s'agit pas forcément de réduire la taille des dépenses, mais de mieux dépenser. En effet, la dépense publique dans les PED, est souvent consacrée à des projets ne visant ni la croissance, ni les missions d'intérêt général (ex. les dépenses militaires et/ou improductives, projets d'investissement surdimensionnés offrant une très faible utilité sociale, multiplication des rentes au profit d'intérêts particuliers, etc.).

L'adoption d'un taux de change unique et compétitif

Il s’agit de dévaluer la monnaie (dans un régime de taux de change fixe comme cela est très souvent le cas pour les PED), ou de la laisser se déprécier (dans un régime de change flexible), afin de favoriser les exportations en les rendant plus attrayantes. Mais, l’utilisation de ce système doit être faite de façon modérée pour ne pas engendrer de pressions inflationnistes qui freineraient l’investissement.

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La politique monétaire orthodoxe

Cela passe par une action sur les taux d’intérêts qui doivent être en principe déterminés par le marché. Le consensus voudrait toutefois que les taux d’intérêts réels soient positifs et modérés pour attirer les capitaux internationaux qui sont nécessaires au financement du développement, sans mettre pour autant, en péril, l’investissement et le remboursement de la dette publique.

Ces dix préceptes synthétisés par Williamson constituent le fondement, non officiel, de la "première génération" des PAS, celles qui se sont déroulées entre le début des années 1980 et jusqu’au milieu des années 1990.

Dans les faits, l’application concrète de ces principes va se traduire par une réduction drastique du rôle de l’Etat dans l’économie des PED. Et cela, conformément aux courants de pensée économiques qui sous-tendent ce consensus de Washington.