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2. Une double lecture de la forme scolaire

2.1. Une lecture politique de la forme scolaire et pluralité interne

2.1.2. Du sujet scolaire au sujet didactique

Dans la forme scolaire de la relation pédagogique, l’élève est aussi un sujet-didactique, c’est-à-dire un acteur « constitué par des relations d’enseignement ou d’apprentissage institutionnalisés, par des objets de savoirs, référés à des disciplines » (Reuter, 2007 : 91). Ainsi défini, le concept de sujet didactique permet de situer l’apprenant par rapport à trois types de relations systémiques :

 institutionnelle, c’est-à-dire que la relation pédagogique à laquelle il participe est située dans une institution comme le lycée dans le cas des individus impliqués dans notre recherche;

 pédagogique, en ce sens qu’il existe dans chaque contexte d’enseignement scolaire des principes et des manières de travailler qui déterminent le comportement attendu de l’élève pour apprendre ;

 disciplinaire, dans la mesure où le comportement attendu de l’apprenant est structuré en fonction des manières de faire spécifiques à chaque discipline d’enseignement scolaire.

En suivant l’idée selon laquelle chaque classe disciplinaire, au sens générique, fonctionne sur des manières spécifiques de « penser, de dire et d’agir » (Reuter, 2007 : 92), manières qui érigent le sujet scolaire générique (l’élève) en sujet didactique spécifique (l’apprenant de langue), nous proposons d’affiner par le concept de contrat d’usage d’aides didactiques le statut de sujets didactiques des lycéens. Cela nous permet de souligner, à la suite de Brousseau (1998) que ces manières spécifiques de faire propres à chaque classe disciplinaire dépendent étroitement des savoirs et savoir-faire qui y sont en jeu, lesquelles affectent à leur tour le rôle que les aides didactiques peuvent assumer dans toute situation d’enseignement-apprentissage (Larose & Ratté, 2001 ; Cohen-Azria, 2007). Mais avant d’introduire ce concept, il nous faut présenter celui dont il découle et qui permet de spécifier en quoi la classe de langue se différencie dans son fonctionnement quotidien des autres classes disciplinaires.

2.1.2.1. Du contrat didactique au contrat d’usage d’aides didactiques en classe de langue

La notion de contrat didactique a fait son apparition en recherche en acquisition des langues (RAL), et plus particulièrement dans les travaux sur la communication exolingue (De Pietro & Matthey, 1988), où elle a été mobilisée pour étudier le caractère didactique de certaines séquences dites potentiellement acquisitionnelles (SPA). Mais ce contrat qui s’instaure entre les locuteurs natif et non-natif de la conversation exolingue n’est pas assimilable à celui qui a cours au sein de l’institution scolaire (Charaudeau, 1993).

En didactique des langues, ce sont les travaux de Cambra-Giné (2003), inscrits dans une approche ethnographique de la classe de langue, qui ont suggéré la valeur heuristique de cette notion pour la recherche. Envisageant la classe de langue dans sa dimension socio-anthropologique, c’est-à-dire comme une institution, un objet social, une réalité éducative vécue et produite par des sujets (Pallotti, 2002), Cambra-Giné propose de décrire son fonctionnement en termes de contrat didactique entendu au sens large comme un ensemble « d’attentes sur l’adéquation des comportements interactionnels dans un groupe culturel » (p. 83). Le contrat didactique qui organise la relation pédagogique scolaire repose sur un principe ‒ explicite en partie mais surtout implicite ‒ de réciprocité de devoirs et de droits entre chaque partenaire de la situation

(Brousseau, 1998 ; Filloux, 1996). Pour Cambra-Giné, le contrat didactique qui s’actualise dans une classe de langue est constitué de trois types de micro-contrats :

 le contrat d’apprentissage engage enseignant et apprenants dans une situation

éducative institutionnelle (p. 83) ;

 le contrat de parole « régit […] les conditions de réalisation des échanges » (p. 85) ;

 le contrat codique, en tant que modalisation du contrat de parole, renvoie au « choix des langues selon les situations et les fonctions » (p. 83).

En reprenant à notre compte la définition du contrat codique, nous proposons d’élargir cette typologie de contrats spécifiques à la classe de langue en y introduisant un contrat d’usage d’aides didactiques. De la même manière que le contrat codique détermine les modalités d’utilisation des langues cible et source selon les situations et les fonctions, nous considérons que le contrat d’usage d’aides didactiques peut être envisagé comme ensemble de règles définies par un enseignant et ses élèves concernant l’utilisation de leurs outils numériques personnels pour réaliser des tâches d’apprentissage. Dans la perspective de la lecture politique de la forme scolaire, le concept de contrat d’usage d’aides didactiques permet ainsi de rappeler que le rôle de l’apprenant de langue ne se réduit pas à comprendre et produire des énoncés dans la L2, aussi important que cela soit comme le note Pallotti (2002). En effet, se pose dans une classe de langue ‒ aussi bien pour l’enseignant que pour l’apprenant ‒ le problème des aides didactiques (Cohen-Azria, 2007) qu’il convient de mobiliser (pour l’apprenant), d’autoriser ou de fournir (pour l’enseignant) afin de réaliser (ou de faire réaliser) telle ou telle activité de compréhension ou de production langagière. La notion permet d’interroger autrement la classe de langue dans son fonctionnement, non plus du point de vue exclusif de la communication qui s’y déploie, mais sous l’angle de la palette des outils ordinaires de travail, reconnus ou clandestins, qui y sont mobilisés dans l’agir quotidien des enseignants et des apprenants. Pour la recherche en didactique des langues, le concept de contrat d’usage des aides pédagogiques permet de construire la classe de langue en objet de recherche en la situant au croisement « des programmes, des méthodologies, des buts des acteurs » (Cicurel, 2011 : 42), tous éléments qui sont des facteurs contextuels affectant le choix et le rôle des aides didactiques dans l’enseignement-apprentissage de la L2 en milieu scolaire.

L’introduction du concept de contrat d’usage des aides didactiques dans la typologie de contrats spécifiques à la classe de langue mise au jour par Cambra-Giné (2003) nous amène ci-dessous à définir le concept d’aides didactique en relation avec les usages numériques des lycéens.

2.1.2.2. Les aides didactiques dans l’apprentissage scolaire de la L2

Nous proposons de mobiliser le concept d’aides didactiques en référence à l’utilisation des outils numériques nomades comme instrument au service de la réalisation d’activités d’apprentissage en classe et hors la classe.

La recherche didactique prenant pour objet d’étude l’usage des aides didactiques dans les situations d’enseignement-apprentissage scolaire a établi deux grandes catégories : les outils spécialement conçus pour la conduite des activités didactiques en situation de classe (les manuels, le tableau, les cahiers, etc.) et ceux qui ne sont pas initialement conçus pour l’école mais qui sont détournés pour l’école (Cohen-Azria, 2007 ; Mœglin, 2005). Dans la première catégorie, celle des outils conçus pour l’école, il y a les outils de l’enseignant et ceux de l’apprenant. Mais quels que soient l’outil considéré (fait pour l’école ou détourné par et pour l’école) et le partenaire de la situation didactique (l’enseignant ou l’apprenant), l’outil a pour fonction de servir la situation d’enseignement-apprentissage en tant qu’aide didactique. En posant que la notion de situation didactique n’est réductible ni à la chronogenèse ni à la topogenèse (Lahanier-Reuter, 2007) du contrat didactique qui se déploie dans l’ici-et-maintenant de la classe, on peut définir l’aide didactique comme tout artefact qui est censé participer, du point de vue de l’apprenant , à l’apprentissage de la langue, et cela quels que soient les contextes (scolaire ou extrascolaire) et les situations (en classe pour faire une activité demandée par l’enseignant ou pour réviser au domicile par exemple). Il s’agit par conséquent de prendre en compte les usages qui sont associés à l’objet technologique (téléphone, tablette, ordinateur) et qui lui donnent un statut d’aide à l’apprentissage. Cela signifie que le caractère didactique de l’outil doit être pensé en intégrant aux éléments d’analyse les représentations et les fonctions que lui associe celui ou celle qui en fait usage. La prise en compte conjointe des usages réels et des facteurs affectifs dans la définition de l’aide didactique est nécessaire car « chacun peut l’appréhender différemment selon son positionnement et des fonctions qu’il lui attribue » (Cohen-Azria, 2007 : 158), d’autant que « la part du possible dans l’usage » (Jarrigeon & Menrath, 2008 : 99) des outils numériques nomades importables en classe reste ouverte. Les fonctions associées à l’outil peuvent varier d’un individu à un autre, de sorte qu’elles en déterminent et différencient les usages dans les contextes sociaux que l’individu habite.

L’avantage d’envisager l’aide didactique à partir des usages de l’objet matériel et des fonctions qui lui sont associées par le sujet didactique est de rendre visible la singularité du rapport de l’individu à cet objet et de comprendre ainsi plus finement la construction de ses usages. C’est dans une telle perspective que nous tâcherons de donner à voir au lecteur comment, moment par moment, les lycéens impliqués dans

notre recherche mobilisent, comme aide didactique, les outils numériques nomades dont ils disposent dans le cadre de leur travail scolaire.