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Outils numériques nomades et appropriation de l’anglais oral

Les documents audio-visuels en anglais qu’Amadou télécharge au cybercafé et stocke sur son téléphone répondent à deux logiques. Il aime d’abord les personnalités dont il télécharge certains discours comme il le souligne :

Sk : en plus des trois discours de Barack Obama et des deux autres de Thomas Sankara, est-ce que tu as d’autres discours dans ton téléphone ?

Amadou : non, non c’est seulement les cinq là que j’ai

Sk : d’accord euh pourquoi ces deux personnages-là ? Je veux dire pourquoi Barack Obama et Thomas Sankara et non pas euh d’autres euh les discours d’autres personnes quoi ?

Amadou : (rires) bon quand même moi j’aime ces deux, j’aime beaucoup Obama et Thomas Sankara, pour moi c’est des personnes très importantes. L’usage répétitif des trois discours de Barack Obama s’inscrit dans une démarche appropriative de l’anglais oral. L’extrait suivant permet de comprendre que l’écoute de ces discours occasionne aussi des apprentissages lexicaux :

Amadou : parce que en écoutant ces discours-là peut-être moi, nous avons des mauvaises prononciations que je peux corriger ; souvent je trouve de nouveaux, je découvre de nouveaux mots et je consulte le dictionnaire et voir le sens et c’est une connaissance pour moi

Sk : euh ces discours-là, tu les écoutes une seule fois ou (interrompu)

Amadou : non, non ; j’écoute à plusieurs fois, par exemple le « speech victory » j’ai ça euh depuis le mois de février [l’entretien a lieu en avril] et j’ai toujours ça dans le téléphone

Sk : tu te rappelles combien de fois tu l’as écouté depuis ?

Amadou : non, non ; je ne me rappelle pas ; quand même je l’ai écouté beaucoup de fois ; je l’écoute souvent même avec Abdallah là [un camarade de classe] En évoquant ici un tiers, Abdallah, ami et camarade de classe, Amadou ne cherche pas seulement à construire un ethos discursif mais attire l’attention sur la dimension partagée de cette pratique autour du même outil, le téléphone. S’il écoute généralement seul ces discours, il le fait parfois avec Abdallah qui a lui aussi stocké sur son téléphone les mêmes discours. Celui-ci, auprès duquel j’ai cherché à enrichir le propos d’Amadou sur l’écoute en binôme de ces discours, précise que

quand on met le discours, on écoute ; en écoutant souvent je lui demande qu’est-ce que qu’est-cela veut dire, le sens des mots ; lui il m’explique et souvent aussi lui il me demande ; je le dis [je lui explique] et au cas où moi-même je ne connais pas, on consulte le dictionnaire ensemble et on a le sens et la prononciation aussi.

L’usage répétitif, en individuel ou en binôme, qu’Amadou fait de ces ressources audio-visuelles afin de corriger ses « mauvaises prononciations » en anglais semble correspondre à la perception qu’il a de la finalité de l’apprentissage d’une langue étrangère, une perception que cet extrait met au jour :

selon moi c’est juste pour que nous les élèves là on n’a pas de difficultés une fois que une fois que quand on se trouve dans un pays étranger où on parle ces langues-là.

Contrairement aux autres activités scolaires dont la réalisation au domicile le conduit à chaque occasion à produire un espace personnel de travail au sein de l’espace commun familial (cf. photos 18, 19 et 20, supra), c’est dans sa chambre uniquement qu’Amadou écoute ces discours téléchargés au cybercafé comme il l’affirme :

Sk : dans quels endroits tu écoutes ces discours-là?

Amadou : quand je suis à la maison ; à l’école moi je n’écoute pas ; euh quand je suis à la maison uniquement dans la chambre seul bon je j’écoute ça

Sk : pourquoi quand tu es seul ?

Amadou : pour bien comprendre parce que quand je suis dans la masse la voix là est petite et souvent avec la causerie là ça perturbe ma compréhension et quand moi je suis seul je peux bien me concentrer et je peux écouter ce qu’ils ce qu’ils disent.

Le type de régime d’attention que sollicite la compréhension d’un document audio-visuel en langue étrangère permet de comprendre le sédentarisme de cet usage du téléphone contrairement à l’écoute de la musique qui, elle, ne sollicite aucune attention particulière comme Amadou l’explique :

Sk : est-ce que quand tu écoutes, par exemple, il y a des gens, des jeunes qui écoutent la musique quand ils se baladent dans la rue etc., est-ce que toi tu écoutes ces discours-là en te baladant ?

Amadou : non, non ; je peux écouter de la simple musique quand je me balade mais en tout cas quand euh ces discours-là, je les écoute quand je suis à l’intérieur, seul.

La distinction qu’il établit entre l’écoute mobile de la « simple musique » et l’écoute sédentaire de ces discours souligne les enjeux cognitifs qu’il leur attribue. L’écoute individuelle, et parfois en binôme, de ces discours met en évidence des situations d’appropriation de l’anglais oral hors du lycée. Certes, la description faite ici de ces situations ne permet pas de rendre compte de ce qu’Amadou apprend réellement avec ces ressources audio-visuelles. Néanmoins, elle met au jour ses pratiques d’auto-apprentissage. Contrairement aux devoirs, l’écoute ou le visionnage des documents

audio-visuels, en ligne au cybercafé et en hors ligne dans sa chambre, relève d’un projet personnel d’appropriation de l’anglais qu’il veut étudier plus tard à l’université.

5. Conclusion

L’objectif de ce chapitre était de décrire les usages numériques d’Amadou à travers des situations inscrites en des lieux différents. La description de ces situations a mis au jour des récurrences dans ses manières de faire avec les outils dans le cadre de son travail scolaire.On a vu que pour préparer ses exposés, aussi bien au cybercafé qu’à son domicile, Amadou copie sur papier l’information trouvée sur Internet à partir de son téléphone ou de l’ordinateur. Cette manière de faire relève d’une contrainte financière au tant qu’elle en est une réponse. La logique économique qui affecte ses usages numériques a permis de comprendre la spatialisation de son travail scolaire et de ses apprentissages informels. Les usages qu’il déploie au cybercafé relèvent d’une stratégie de consommation d’Internet, les coûts de connexion y étant moindres par rapport à ceux de la connexion mobile. Cette stratégie de consommation d’Internet s’incarne particulièrement dans sa manière de créer le continuum entre le visionnage de documents audio-visuels en ligne au cybercafé et le visionnage répétitif, dans sa chambre, de certains de ces mêmes documents stockés sur son téléphone. Mais la réalisation des devoirs au cybercafé s’explique aussi par des contraintes familiales, car Amadou semble plus tranquille dans ce lieu sans son oncle et ses cousins.

Il a également été mis en évidence que l’utilisation d’internet pour la préparation des exposés permettait à Amadou de se dispenser de la lecture de l’œuvre à exposer. La logique instrumentale de son usage d’internet correspond à une manière de faire face à la pression des travaux scolaires. À celle-ci s’ajoutent d’autres sollicitations sociales dont la gestion induit d’autres manières de faire avec les outils numériques. Il a été ainsi souligné que le multitâchage qui se fait jour dans les situations de travail scolaire en classe et au domicile était pour lui une façon de tenir ensemble ses sollicitations diverses. Si le multitâchage en situation pédagogique soulève des questions concernant notamment ses effets sur l’attention, il apparaît que le téléphone constitue aussi pour Amadou une aide à la participation aux cours. La copie des mots consultés dans le dictionnaire numérique pendant les cours lui permet de répondre aux questions de l’enseignant autant que de mémoriser les mots recopiés.

Chapitre 9

Siaka : Hyperconnectivité et insociabilité

Ce chapitre décrit les usages du numérique dans le travail scolaire et les apprentissages informels de Siaka, lycéen-adolescent en classe de Terminale Langues et Littérature (TLL) au Lycée Massa Makan Diabaté de Bamako.

Son portrait est reconstruit à partir de données issus d’entretiens réalisés auprès de lui et d’Amadou (cf. chap. 8). Sont également mobilisées, des informations fournies dans son journal de bord, autour duquel un entretien a été réalisé. Des données recueillies sur son compte Facebook sont aussi convoquées et articulées à son discours relatif à Facebook afin d’approcher le sens de l’usage qu’il en fait aussi bien en classe que hors la classe.

1. Stocker des ressources dans le téléphone pour