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4. Discussion

4.6. Au sujet de toutes ces différences

Ces différents tableaux montrent bien que les méthodes de calcul influent très peu sur nos résultats.

Pour ce qui nous concerne, que nous prenions en compte les non-réponses ou que nous ne les prenions pas en compte, nous obtenons toujours des résultats compatibles avec l’hypothèse grammaticale.

Pour ce qui concerne la recherche de Matthews et al. (2007), nous avons vu, dans la rubrique 2.3 de la partie théorique que les résultats concernant les réponses match changeaient avec la méthode de calcul utilisée.

Un résultat que nous ne trouvons pas reste stable chez Matthews et al. (2007), quelle que soit la méthode calcul. Ce résultat est le suivant :

- les petits corrigent moins que les grands.

Alors qu’ils trouvent que les petits corrigent moins que les grands, nous trouvons que les petits corrigent tout autant que les grands, et cela indépendamment de la méthode d’analyse.

Nous nous proposons donc de nous interroger sur les éventuelles causes explicatives de cette divergence de résultats en examinant les différences entre notre recherche et celle de Matthews et al. (2007).

- Les enfants ayant uniquement entendu, dans l’expérience conduite par Matthews et al.

(2007), des amorces agrammaticales, cela aurait-il pu jouer en leur défaveur ? Les grands s’autorisant plus volontiers à corriger l’ordre incorrect des mots ? Les petits que nous avons testés n’auraient peut-être pas reproduit souvent l’ordre incorrect des mots (et donc pas plus souvent que les grands) car ils auraient inféré plus que les petits testés par Matthews et al. (2007) (qui n’entendaient jamais de phrases dont l’ordre des mots était grammatical) que nous attendions des réponses grammaticalement correctes, comme l’étaient d’ailleurs la moitié des amorces entendues. Mais pourquoi les petits seulement l’auraient-ils inféré, dans notre expérience, et plus que les grands ? Il pourrait donc être intéressant de conduire la même expérience auprès de deux groupes d’enfants, avec pour une partie d’entre eux des amorces exclusivement agrammaticales et pour l’autre des amorces à la fois

grammaticales et agrammaticales, comme dans notre expérience. Nous pourrions ainsi voir si le matériel expérimental lui-même a une influence sur le nombre de réponses reproduisant l’ordre agrammatical des mots, auprès d’une population pour laquelle la question de la présence ou non d’une représentation abstraite de l’ordre des mots ne se pose pas.

- Le fait d’entendre uniquement des phrases agrammaticales pourrait-il avoir une influence sur le nombre de non-réponses et donc sur les pourcentages de réponses match et réversion ? Car en effet, le pourcentage de non-réponses que nous obtenons est nettement inférieur à celui obtenu par Matthews et al. (2007) et n’est pas plus élevé chez les petits que chez les grands. Les non-réponses étant beaucoup plus importantes chez les petits, dans la recherche de Matthews et al. (2007), pourrait-on imaginer un effet du facteur âge qui apparaîtrait chez nous, si nous avions opté pour un tel paradigme, i.e. un paradigme sans condition grammaticale ? Pas sûr, car le taux de non-réponses que nous avons obtenu pour les petits est déjà plus élevé que celui obtenu pour les plus grands et aucun effet de l’âge n’est trouvé dans toutes nos analyses.

- Plutôt que des verbes de basse fréquence, nous avons choisi d’utiliser des pseudo-verbes, comme l’a fait Akhtar (1999), de façon à être certains qu’ils ne soient pas connus des enfants. Pourrait-on imaginer que si des verbes de basse fréquence avaient été présentés, certains grands auraient corrigé plus souvent quand même car en connaissant certains ? Par conséquent, le pourcentage de corrections des grands serait augmenté et de fait plus élevé que celui des petits. Akhtar (1999) ayant aussi utilisé des pseudo-verbes et ayant trouvé comme Matthews et al. (2007) que les petits corrigent moins que les grands, cette explication n’est que peu vraisemblable.

- Tous les pseudo-verbes et verbes ayant été présentés à tous les enfants, de façon à ce que l’effet ou l’absence d’effet de lexicalité puisse être mis en évidence dans un paradigme intra-sujets, cela pourrait-il expliquer que nous ne trouvons pas que les petits corrigent moins que les grands ? Le fait d’entendre des pseudo-verbes pourrait-il perturber l’enfant au point de le conduire à corriger moins ? Mais pourquoi seuls les grands corrigeraient-ils moins ? Seraient-ils plus à même de distinguer un verbe qui n’existe pas d’un verbe qui existe et du coup plus sensibles aux pseudo-verbes que les petits ? Ils corrigeraient donc moins que les grands testés par Matthews ?

- Nous avons choisi d’enregistrer les amorces grammaticales et agrammaticales au préalable, de façon à ce que tous les enfants les entendent dites de la même manière.

Ce procédé peut-il expliquer que nous trouvions que les petits corrigent tout autant que les grands ? Le biais de la tendance à se conformer à l’adulte est en effet connu.

Ce recours à un tiers qui dit les phrases amorces (ici le tiers c’est la voix de l’ordinateur) autorise-t-il davantage les petits à corriger le parler faux de l’ordinateur ? En clinique, sachant que les petits ont tendance à qualifier la parole de l’adulte comme correcte, il est souvent recommandé, dans les épreuves de reconnaissances d’erreurs de parole, d’avoir recours à une marionnette. En ayant eu recours à un tiers, avons-nous autorisé les petits à corriger plus qu’ils ne l’auraient fait dans le cas de phrases amorces dites par l’expérimentateur lui-même ? La question reste ouverte.

Quoi qu’il en soit, nous ne pouvons pas confirmer, avec nos données, l’assertion avancée par Matthews et al. (2007) selon laquelle le jeune enfant a plus tendance à utiliser un ordre des mots incorrect avec un verbe inconnu qu’avec un verbe connu et qu’il corrige moins que le plus âgé l’ordre agrammatical des mots.

Nous pouvons par contre affirmer, grâce aux comparaisons entre la condition grammaticale et la condition agrammaticale possible dans notre recherche,

- que les petits ont plus tendance à réutiliser un ordre des mots correct comprenant un pseudo-verbe qu’un ordre des mots incorrect comprenant un pseudo-verbe ;

- que les petits comme les grands réutilisent plus souvent l’ordre grammatical des mots amorcé que l’ordre agrammatical des mots amorcé

- et donc que l’hypothèse grammaticale est non seulement suffisante mais nécessaire pour rendre compte de ces deux résultats.

Discussion générale et conclusion

Le but de ce travail était de confronter, parlant de la représentation de l’ordre des mots chez le jeune enfant francophone, l’hypothèse lexicale à l’hypothèse grammaticale.

Nous avons pour ce faire répliqué, moyennant quelques adaptations, la recherche de Matthews et al. (2007).

A l’aune des données obtenues, nous pouvons affirmer que le jeune enfant âgé en moyenne de 2 ans 11 mois dispose déjà d’une représentation abstraite de l’ordre des mots :

- les petits comme les grands enfants que nous avons testés ont réutilisé plus souvent l’ordre grammatical des mots amorcé que l’ordre agrammatical des mots amorcés, y compris lorsqu’ils comprenaient un pseudo-verbe ;

- les petits que nous avons testés ont réutilisé plus souvent l’ordre grammatical des mots comprenant un pseudo-verbe que l’ordre agrammatical des mots comprenant un pseudo-verbe ;

- les petits comme les grands enfants que nous avons testés n’ont jamais produit de phrases agrammaticales après avoir entendu en amorce une phrase grammaticale ; - les petits comme les grands enfants que nous avons testés, lorsqu’ils ont produit une

phrase agrammaticale, n’ont jamais modifié le temps du verbe, ni pronominalisé le sujet et/ou l’objet.

Les enfants disposent donc, à 2 ans 11 mois en tous les cas, d’une représentation abstraite de l’ordre des mots de leur langue.

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Abréviations

NNV nom-nom-verbe NVN nom-verbe-nom

OAM ordre agrammatical des mots OGM ordre grammatical des mots PV pseudo-verbe

SOV sujet-objet-verbe SVO sujet-verbe-objet

V verbe

VNN verbe-nom-nom VSO verbe-sujet-objet

WWO weird word order (ordre des mots bizarre)

Annexes

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