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Nos résultats confrontés aux deux hypothèses

4. Discussion

4.2. Nos résultats confrontés aux deux hypothèses

Dans cette section, nous confrontons nos résultats avec chacune des deux hypothèses.

Nous notons dans le tableau XXI ci-dessous, en regard de chaque résultat, si l’hypothèse est invalide (= résultat incompatible), suffisante (= résultat compatible) ou nécessaire (= résultat plus fort que compatible) pour rendre compte du résultat en question.

Tableau XXI : Caractère invalide, suffisant ou nécessaire de chacune des deux hypothèses pour rendre compte de chacun des résultats ; OAM = ordre agrammatical des mots ; OGM = ordre grammatical des mots ; PV = pseudo-verbe ; V = verbe

Résultats Hypothèse lexicale Hypothèse grammaticale

1) peu de match OAM suffisante suffisante

2) match OAM petits = match OAM grands

invalide suffisante

3) match OGM V > match OGM PV suffisante suffisante

4) match OGM > match OAM invalide nécessaire

5) petits match OGM avec PV > match OAM avec PV

invalide nécessaire

6) réversion OAM V > réversion OAM PV

suffisante suffisante

7) réversion OAM petits = réversion OAM grands

invalide suffisante

8) réversion OAM mais pas OGM invalide nécessaire 9) réversion OAM = corrections invalide nécessaire 10) morphologie verbale dans OGM invalide nécessaire 11) pronominalisation dans OGM invalide nécessaire

Du tableau XXI, il ressort que l’hypothèse lexicale, hypothèse selon laquelle les petits ont une représentation de l’ordre des mots spécifique aux verbes, est suffisante pour rendre

compte de nos résultats 1, 3 et 6 mais invalide pour rendre compte de tous nos autres résultats.

Du tableau XXI, il ressort également que l’hypothèse grammaticale, hypothèse selon laquelle les petits disposent déjà d’une représentation abstraite de l’ordre des mots, est suffisante pour rendre compte des résultats 1, 2, 3, 6 et 7 mais nécessaire pour rendre compte des résultats 4, 5, 8, 9, 10 et 11. Il est donc difficile de rendre compte de ces résultats sans faire appel à cette hypothèse.

Rappelons encore, avant de reprendre chacun de ces résultats, que toute observation montrant que les petits se comportent comme les grands va dans le sens de l’hypothèse grammaticale, hypothèse selon laquelle les petits comme les grands disposent d’une grammaire.

Nous montrons maintenant en quoi chacune des deux hypothèses (puces rondes) est invalide, suffisante ou nécessaire pour rendre compte de chacun des résultats présentés (tirets) :

- Les deux groupes d’enfants réutilisent rarement l’ordre agrammatical des mots : o L’hypothèse lexicale est suffisante pour rendre compte de ce résultat.

Réutiliser rarement un ordre agrammatical des mots est en soi compatible avec cette hypothèse. La prédiction selon laquelle seuls les petits réutiliseront l’ordre agrammatical des mots comprenant un pseudo-verbe doit toutefois être revue.

o L’hypothèse grammaticale est suffisante pour rendre compte de ce résultat car les petits comme les grands réutilisent rarement l’ordre agrammatical. Les petits ne le font que rarement (4.2%) et pas plus que les grands (12.5%). De plus, réutiliser un ordre agrammatical n’indique pas une absence de grammaire car les grands (qui disposent d’une grammaire) réutilisent aussi l’ordre agrammatical.

- Les petits réutilisent l’ordre agrammatical des mots à un taux semblable aux grands : o L’hypothèse lexicale est invalide pour rendre compte de ce résultat : si les

petits réutilisent l’ordre agrammatical (résultat compatible), les grands le réutilisent à un taux semblable (résultat incompatible).

o L’hypothèse grammaticale est suffisante pour rendre compte de ce résultat car

les petits réutilisent l’ordre agrammatical à un taux semblable aux grands.

Réutiliser un ordre agrammatical n’indique pas une absence de grammaire car les grands (qui disposent d’une grammaire) réutilisent aussi l’ordre agrammatical. lexicalité) doit toutefois être revue car les grands réutilisent aussi plus souvent l’ordre grammatical s’ils connaissent le verbe (68%) que s’ils ne le connaissent pas (19.4%).

o L’hypothèse grammaticale est suffisante pour rendre compte de ce résultat car les grands se comportent comme les petits. La lexicalité ne peut donc pas être considérée comme un indice de présence ou d’absence de grammaire chez les enfants.

- Les deux groupes d’enfants réutilisent plus souvent l’ordre grammatical des mots que l’ordre agrammatical des mots, y compris dans les conditions avec pseudo-verbe :

o L’hypothèse lexicale est invalide pour rendre compte de ce résultat car les petits, supposés ne pas avoir de grammaire, réutilisent plus souvent l’ordre grammatical des mots que l’ordre agrammatical des mots, y compris dans les conditions avec pseudo-verbe.

o L’hypothèse grammaticale est nécessaire pour rendre compte du fait que les petits comme les grands réutilisent plus souvent l’ordre grammatical des mots que l’ordre agrammatical des mots (effet de grammaticalité). Un tel effet de grammaticalité ne peut être expliqué que par la présence d’une grammaire chez les petits comme chez les grands. Si les petits ne disposaient pas d’une grammaire, ils devraient réutiliser aussi souvent l’ordre grammatical que l’ordre agrammatical comprenant tous deux des verbes inconnus.

- Les petits reproduisent plus souvent l’ordre grammatical des mots comprenant un pseudo-verbe que l’ordre agrammatical des mots comprenant un pseudo-verbe :

o L’hypothèse lexicale est invalide pour rendre compte de ce résultat. Seule l’hypothèse grammaticale peut rendre compte de cet effet de grammaticalité.

o L’hypothèse grammaticale est nécessaire pour rendre compte de ce résultat car lexicale doit toutefois être revue car les grands le sont aussi.

o L’hypothèse grammaticale est suffisante pour rendre compte de ce résultat car les grands sont sensibles aussi à cet effet de fréquence lexicale. Cet effet de fréquence lexicale ne peut donc pas être considéré comme un indicateur de l’absence de grammaire.

- Les petits corrigent l’ordre agrammatical des mots à un taux semblable aux grands, y compris lorsqu’il comprend un pseudo-verbe :

o L’hypothèse lexicale est invalide pour rendre compte de ce résultat car selon l’hypothèse lexicale, les petits devraient corriger moins souvent que les grands l’ordre agrammatical.

o L’hypothèse grammaticale est suffisante pour rendre compte de ce résultat car les petits corrigent l’ordre agrammatical à un taux semblable aux grands (absence d’effet d’âge). En outre, s’il est nécessaire de disposer d’une grammaire pour corriger un ordre incorrect, la présence d’une grammaire n’implique pas forcément une correction de cet ordre incorrect (corrections impliquent grammaire mais grammaire n’implique pas forcément corrections).

Même si les petits corrigeaient moins souvent que les grands l’ordre agrammatical, on ne pourrait conclure à une absence de grammaire chez les petits qui ne corrigent pas. Ces mêmes enfants pourraient très bien ne pas réussir à inférer une représentation sémantique des phrases agrammaticales ou ne pas inférer que l’expérimentateur attend de lui des corrections.

- Les deux groupes d’enfants modifient l’ordre agrammatical des mots seulement, jamais l’ordre grammatical, y compris lorsqu’ils comprennent des pseudo-verbes :

o L’hypothèse lexicale est invalide pour rendre compte de ce résultat. Si les petits ne disposaient pas d’une grammaire, ils devraient aussi modifier, de

manière aléatoire, l’ordre grammatical des mots comprenant un pseudo-verbe.

o L’hypothèse grammaticale est nécessaire pour rendre compte du fait que les deux groupes d’enfants modifient l’ordre agrammatical des mots (dans le sens d’une correction) seulement, pas l’ordre grammatical (effet de grammaticalité). Un tel effet de grammaticalité ne peut être expliqué que par la présence d’une grammaire chez les petits comme chez les grands.

- Les deux groupes d’enfants corrigent l’ordre agrammatical quand ils le modifient, y compris lorsqu’il comprend un pseudo-verbe :

o L’hypothèse lexicale est invalide pour rendre compte de ce résultat. Si les petits ne disposaient pas d’une grammaire, ils devraient aussi, de temps à autre, modifier l’ordre agrammatical entendu pour un autre ordre agrammatical.

o L’hypothèse grammaticale est nécessaire pour rendre compte du fait que les deux groupes d’enfants corrigent l’ordre agrammatical quand ils le modifient (effet de grammaticalité). Un tel effet de grammaticalité ne peut être expliqué que par la présence d’une grammaire chez les petits comme chez les grands.

Sans cela, les modifications de l’ordre présenté devraient être aléatoires et non pas systématiquement dans le sens d’une correction.

- Les deux groupes d’enfants montrent des marques de productivité dans leurs phrases grammaticales (morphologie verbale, pronominalisations) mais pas dans leurs phrases agrammaticales :

o L’hypothèse lexicale est invalide pour rendre compte de ce résultat. Les marques de productivités, présentes seulement dans des phrases grammaticales, montrent bien que les processus en jeu sont différents. Cela montre bien que les enfants ont intégré la structure grammaticale au point de pouvoir pronominaliser des noms et transformer les temps des verbes. Ils sont créatifs dans les phrases grammaticales seulement. Les enfants ne produisent pas des phrases agrammaticales selon les mêmes processus. Réutiliser un ordre agrammatical ne peut donc être considéré comme un indice de l’absence de grammaire.

o L’hypothèse grammaticale est nécessaire pour rendre compte du fait que les deux groupes d’enfants montrent des marques de productivité dans leurs phrases grammaticales mais pas dans leurs phrases agrammaticales (effet de grammaticalité). Les mécanismes en jeu dans le cas de productions de phrases

agrammaticales sont différents : l’enfant répète sans intégrer la grammaire. Ils appliquent des règles, certes, comme lorsqu’ils s’amusent à parler à l’envers, mais ne les intègrent pas à leur grammaire. Sinon, ils seraient aussi productifs dans ce cas. Quand ils produisent des phrases grammaticales, des marques de productivité sont présentes. Il y a donc un effet de grammaticalité. Or, s’il y a un effet de grammaticalité, c’est que la grammaire est représentée.

En résumé, l’hypothèse lexicale est suffisante pour expliquer certaines données ou parties de résultats. Mais d’autres observations ne peuvent pas s’expliquer par cette hypothèse.

L’hypothèse grammaticale est quant à elle suffisante pour rendre compte des résultats 1, 2, 3, 6 et 7 mais nécessaire pour rendre compte des résultats 4, 5, 8, 9, 10 et 11.

Fort de ces résultats, nous pouvons conclure que le pouvoir explicatif de l’hypothèse grammaticale est supérieur à celui de l’hypothèse lexicale.

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